Cet article va porter sur un thème philosophique, jubilatoire et tordu : LA VENGEANCE. Excusez le manque de glamour, mais c’est un thème qui me passionne et m’inspire, et avec lequel je compte bien vous en mettre plein la vue! Il s’agit d’une trilogie réalisée par le Coréen Park Chan Wook (« Quel nom exotique ! » Pensez-vous certainement !). J’accorderai toutefois plus d’importance au deuxième volet qui est mon film préféré. Je vous ai fait languir assez longtemps : il s’agit de “Old Boy”. Inutile d’épiloguer : voici la vengeance selon Park Chan Wook :
1) ACTE I : “Sympathy for Mr Vengeance” (2003)
Lorsque Ryu (Shin Ha-Kyun), un ouvrier sourd et muet, se fait renvoyer, rien ne va plus : sa sœur (Lim Ji-Eun) doit se faire opérer et sans travail, il ne peut plus l’aider financièrement. Sa fiancée, Young-Mi (Bae Doona), lui propose alors de kidnapper la fille de son ancien patron, Dongjin (Song Kang-Ho), et de demander une rançon qui pourra aider à couvrir les frais de l’opération chirurgicale. Le plan semble parfait. Ils ne font aucun mal à la petite fille et en viennent même à sympathiser avec elle. Mais accidentellement, l’enfant se noie et cette noyade marque le début d’une série de vengeances bestiales et sans pitié.
2) ACTE II : “Old Boy” (2004)
Après une soirée arrosée, Oh Daesu (Choi Min-sik) se fait enlever alors qu’il va rentrer chez lui rejoindre sa femme et sa fille. Personne ne sait où il est et encore moins qu’il va y rester quinze ans. Enfermé dans une chambre dans laquelle seule une télévision fera office de fenêtre sur le monde, il frôle la démence et s’interroge sans cesse sur les raisons de ce kidnapping. Une fois dehors, assoiffé de vengeance, il cherche des réponses : Pourquoi lui ? Pourquoi l’a-t-on enfermé ? Pourquoi l’a-t-on laissé sortir ? Pourquoi quinze ans ? Il retrouve facilement le responsable (Yoo Ji-tae) et ce dernier va apporter toutes les réponses à ses questions…par une mise en scène maléfique, mais brillamment orchestrée.
3) ACTE III : « Lady Vengeance » (2005)
Elle est belle, elle est jeune et elle est aussi accusée de l’enlèvement et du meurtre d’un garçon de cinq ans et condamnée à treize ans de prison. Pendant sa détention Geum-ja (Yeong-ae Lee) fait la connaissance de plusieurs femmes. Chacune a son histoire, chacune a ses malheurs, mais elles ont, pour la plupart, quelque chose en commun : elles souhaitent aider Geum-ja à se venger à sa sortie de prison. De qui ? Pourquoi ? Comment ? Il faudra attendre treize ans de préparation minutieuse pour qu’elle donne la réponse à ces questions.
J’avais quinze ans quand j’ai vu Old Boy pour la première fois, et ce n’était pas pour les bonnes raisons. J’avais eu un débat « philosophique » avec mon cousin « philosophe », durant lequel je tenais absolument à lui faire dire que le « grand cinéma » était un terme à utiliser de façon relative et que si j’en avais envie, je pouvais dire que « Danny the dog » était du « grand cinéma ». Vous connaissez les philosophes : ils ne vous donnent jamais raison ! La conversation a donc abouti à : « Va voir Old Boy ! Ce n’est pas vraiment la même histoire, mais c’est dans le même genre, et ça, c’est du grand cinéma ! ». Voulant à tout prix lui démontrer qu’il était possible de préférer « le Chien Danny » au « Vieux Monsieur », je décidai de voir ce film tout en gardant en tête mon cri de guerre : « Jet li forever ! Jet li forever ! ». A l’époque, ma culture cinématographique était assez limitée et j’étais plus ou moins hermétique aux films étrangers. Alors pour accepter de voir un film coréen, il fallait vraiment que j’aie quelque chose à prouver ! Si je propose cet article dans la rubrique des « coups de cœur », vous vous doutez bien que mon pari fut perdu et que mon « philosophe » de cousin avait, bien malgré moi, raison. Old Boy est le film qui m’a fait aimer le cinéma. Il est à l’origine de ma passion pour le septième art. C’est simplement l’un des seuls films que j’aie vu qui selon moi atteint la perfection. Il est beau, il est fort, c’est du très très « grand cinéma », Mesdames et Messieurs, je vous présente « Old Boy ».
“Old Boy” est l’adaptation d’un manga, qui a valu à son réalisateur Park Chan-Wook le Grand Prix du festival de Cannes et une entrée sur la scène internationale. Ce film est au centre d’une trilogie de la vengeance, précédé par le violent “Sympathy for Mr. Vengeance” (2003) et suivi par le touchant “Lady Vengeance” (2005).
• Avec le premier volet, on est plongé dans une vengeance purement physique qui lasse quelque peu par sa bestialité. Ce n’est pas un film atroce mais il fait pâle figure comparé aux deux chefs d’œuvre qui le suivent. Le film est assez émouvant : chacun veut venger un être cher ce qui donne un savant mélange entre amour passionné et haine profonde. Il est assez beau dans son esthétique grâce à la musique qui rend poétique les scènes les plus épouvantables. Mais le film est trop brutal : le sang, les cris et la torture pourraient suffire à le résumer. Ce premier volet montre l’aspect le plus trivial de la vengeance ce qui n’est pas nécessairement le plus intéressant. Insuffisamment pensé, insuffisamment « tordu », c’est un film sans surprises qui n’étonne pas ; pire, l’histoire finit par agacer. Car cette suite d’actions malsaines, qui n’apportent rien à personne, ne propose qu’une vengeance violente, une haine incontrôlée et sans tact. Bref ! « Sympathy for Mister Vengeance » est un début peu prometteur.
• Le dernier volet, lui, est beaucoup plus réfléchi : il concilie blessure sentimentale, violence et intelligente mise en scène. Ne se limitant pas à la vengeance purement physique et bestiale, il nous apporte beaucoup plus que « Sympathy for Mr Vengeance ». Ici, on sympathise largement avec les vengeurs et c’est un sentiment très singulier. Le film est touchant et réussi bien que les motivations de la vengeance ne soient pas particulièrement originales. L’intérêt du film réside dans la vengeance en elle-même- non pas les méthodes, peu originales, mais dans les acteurs de cette vengeance, des gens tout à fait normaux. Il manque juste la surprise, la fin fracassante qui vous laisse sans souffle.
• Entre ces deux volets, Park Chan Wook nous offre le fabuleux “Old Boy”. L’histoire est passionnante et surprenante jusqu’à la dernière minute ; la vengeance, des mieux pensées, car elle est motivée par une haine patiente et redoutable ; et les acteurs, absolument géniaux. En effet, Choi Min-sik peut aussi bien nous faire rire que pleurer. Il garde la même intensité dans les moments de tristesse que dans ceux de violence. Il est tout simplement troublant et on s’attache vraiment à lui. Quant à Yoo Ji-tae, “le méchant”, celui qui ne pardonne pas, on le déteste et on l’admire tout à la fois. On découvre une torture psychologique sans pitié, qui n’est quasiment pas présente dans les deux autres films. La violence est certes présente, mais la vengeance va plus loin et s’acharne sur les sentiments de la victime. Certains reprochent au réalisateur de ne pas avoir soigné les dialogues. C’est vrai mais, c’est un choix du réalisateur, celui de privilégier la musique, qui, selon le déroulement de l’action, nous transmet les sentiments mieux que n’importe quels mots.
On pourrait se demander si il y a une évolution entre ces trois films. Si tel est le cas, “Lady Vengeance” ne peut être considérée comme l’aboutissement de la trilogie car il contient certes plus d’éléments que “Sympathy for Mr Vengeance”, mais nettement moins que “Old Boy”. Ce dernier aurait largement mérité de clôturer en beauté le travail de Park Chan Wook. Les premier et troisième volets sont imparfaits et on retrouve tous les éléments manquant dans le chef d’œuvre du second volet. Cette combinaison parfaite gâche quelque peu “Lady Vengeance”, qui n’a simplement pas su l’égaler. On plonge dans la magie du cinéma coréen, qui mélange aisément tous les registres. On se retrouve à vouloir rire lors d’une scène de meurtre et pleurer pendant un acte sexuel. Bref, un cocktail de sensations fortes mêlé à une musique tout aussi variée, qui sait remplacer les mots quand il le faut.
En tout cas, Park Chan Wook traite de la vengeance d’une façon peu commune. Il est très difficile de juger les personnages haineux et blessés qu’il met en scène tant les situations sont extrêmes et traumatisantes. L’avis général veut que l’on puisse aller au-delà de notre haine et pardonner : ces trois films mettent précisément en scène des situations où nul ne pourrait échapper à l’envie de se venger.
SR