SIN NOMBRE con UNA VIDA LOCA * (Sans nom avec une vie de dingue)

« Sin nombre » de Cary Fukunaga (Sortie le 21 Octobre 2009)

Sayra (Paulina Gaitan) vient de retrouver un père qu’elle n’avait pas vu depuis longtemps et qui décide de l’emmener, elle et son oncle, aux Etats-Unis, pour « dire adieu à la misère ». Casper (Edgar Flores), lui, fait partie de la  Mara, un des gangs qui sème la terreur en Amérique centrale. Il en vient à tuer le chef du gang (pour des raisons que vous découvrirez vous-mêmes !), crime tout bonnement inacceptable pour ses nouveaux ex-confrères ; ces derniers veulent se venger, ce qui pousse Casper à fuir. Sayra et Casper se retrouvent dans le même train, en direction du rêve américain. Ainsi naît une amitié très particulière dans des conditions tout aussi particulières…

« La vida loca » de Christian Poveda (Sortie le 30 Septembre 2009)


Ce documentaire traite des Maras, ces mêmes gangs que l’on retrouve dans « Sin nombre ». Cette fois, cela se passe au Salvador et le réalisateur suit de près des membres de la « Mara 18 ». Ces derniers ont décidés d’arrêter leur activité et de travailler ensemble dans une boulangerie dans l’espoir de recommencer à zéro. Mais il n’est pas vraiment possible de sortir de la Mara et pas évident de devenir crédibles aux yeux des autorités…


Il y a plusieurs enjeux dans « Sin nombre ». D’un côté, nous sommes face à un film qui parle de l’immigration et qui nous présente les conditions terribles dans lesquelles les gens prennent la route en direction des Etats-Unis. Nous sommes témoins de leur périple atroce et de leur volonté incroyable. C’est grâce à cet aspect que l’on peut dire que « Sin nombre » est l’histoire d’un road trip absolument chaotique !
D’un autre côté, le film traite de la Mara et de son fonctionnement. On y voit des rites, on prend connaissance de leurs valeurs et c’est après avoir vu le documentaire et en y retrouvant beaucoup de détails préalablement vus dans le film que j’ai compris à quel point Cary Fukunaga était bien documenté et il me semble que c’est un point à ne pas négliger. Le film est très captivant et il n’y a pas de fausses notes.
L’histoire est intéressante, les personnages sont singuliers et on est très vite touché par l’amitié naissante entre Sayra et Casper. Elle connaît ses crimes, il fait peur mais malgré tout cela, elle s’attache très vite à lui et se sent en sécurité quand ils sont ensembles car ils se comprennent.
Le style de l’auteur est assez particulier. Il introduit beaucoup d’humour dans le film à des moments où on ne s’y attend vraiment pas. Je me souviens de cette scène où ils croisent des enfants dans le train et sont très enthousiastes à l’idée de leur « faire coucou », alors que les enfants ont l’air plutôt enthousiastes à l’idée de leur répondre en leur lançant des pierres à la figure…
Outre le sens de l’humour, le réalisateur a également un côté assez noir, puisqu’il fait disparaître les personnages de façon très brusque. Il insiste longuement sur le périple de ces gens désespérés : le trajet en train dure quasiment tout le long du film pour que l’on se rende bien compte que tout le monde ne peut pas aller en Amérique avec Air France en 12 heures ; et puis, en une demi seconde, il fait disparaître des personnages – et pas des personnages de moindre importance ! Pas de ralentis, pas de violons…

Dans « La Vida loca », on nous montre la Mara 18 comme une grande famille avec plus de principes et de valeur que les citoyens lambda. On est conquis par leurs convictions, leur foi, même si tout ce mélange est grandement contradictoire. Il y a un grand nombre de scènes de conversions et de discours religieux qui nous amusent car l’on ne se souvient pas vraiment de la partie dans la bible ou Jésus propose aux chrétiens de se tatouer un grand 18 sur le visage et de tuer son prochain quand la tête de ce dernier ne leur revient pas…
Le documentaire est si bien fait qu’on se croirait dans un film. Du rap sud américain accompagne les différentes scènes ; c’est très agréable et on se retrouve plongés dans la même ambiance que dans « Sin nombre ».  Cette ambiance rappelle un peu celle que l’on trouve dans « La Cité des Dieux » et « La Cité des hommes », deux films et une série absolument remarquables. Je ne peux pas ne pas dire deux mots sur la série !

« La cité des hommes », de Katia Lund et Fernando Meirelles

Pour tous ceux qui en ont assez de « Gossip Girl » et « Smallville » et qui aimeraient enfin voire une série où les acteurs n’ont pas 10 ans de plus que leur personnages, où les gens ne ressuscitent pas en permanence, où les ados de 16 ans n’ont pas tous un mort sur leur conscience et ne sont pas déjà ex-drogués ou ex-entrepreneurs, « La Cité des hommes » est fait(e) pour vous. Certes, c’est moins glamour – ce n’est même pas glamour du tout. On se retrouve confrontés à la dure réalité des favelas brésiliennes en suivant la vie très mouvementée de Laranjinha et Acérola, qui surmontent toutes les difficultés ensembles. Confrontés en permanence aux gangs qui vivent dans les favelas, ces deux amis ont sans cesse des aventures incroyables et doivent dès leur enfance apprendre à survivre et ne pas s’attirer d’ennuis. C’est une série passionnante, très originale, pleine d’humour et de rebondissements !

LA COMPASSION DES MECHANTS

Un phénomène est présent dans beaucoup de films, il consiste à nous faire compatir avec des personnages tout à fait détestables. On se met par exemple à adorer Derek dans « American History X » de Tony Kaye, bien que personne n’oublie l’homme noir qu’il tue au début du film, le bruit de ses dents explosées et l’image de sa cervelle qui s’étale sur le trottoir. Bien sûr, le film retrace sa métamorphose, sa sortie du côté obscure, mais cela reste une belle manipulation du public !
On peut parler aussi de « The reader », de Stephen Daldry. Ce film m’a beaucoup plus, mais il a recours à ce même processus. Il y a un article dans le sixième « Studio Ciné Live », où deux journalistes débattent sur ce film : l’un d’eux s’est senti manipulé et a senti un côté pervers à cela. Voici certaines de ses remarques :

[« - Mon premier étonnement a été de voir les gens pleurer sur le sort de l’héroïne qui a été garde dans un camp de concentration. A partir de son procès, Stephen Daldry, le réalisateur, abuse des gros plans sur son visage, des violons quand elle est en prison. Je trouve insupportable qu’un film fasse s’émouvoir les spectateurs sur un personnage aussi abject, qui représente le mal absolu (…) Pour moi c’est de la manipulation et c’est ce qu’il y a de pire au cinéma »


«  - Quelqu’un dans le public s’est étonné qu’il n’ait pas montré l’épisode des juifs brûlés dans l’église, qui est raconté pendant le procès des gardes. (…) En ne montrant pas l’horreur, elle est évacuée. En revanche, en nous montrant le visage de Kate Winslett en larmes, le réalisateur crée une empathie entre le spectateur et cette femme. »]

Je suis d’accord avec ceux qui trouvent que c’est de la manipulation, mais je ne suis pas sûre que cela me dérange, c’est à débattre. Il est vrai qu’aussi bien dans le film que dans le documentaire, nous avons beaucoup de mal à détester ou à mépriser les membres du gang. Bien que nous soyons face à des gens qui veulent changer, il est vrai que le réalisateur a une façon très vicieuse de vous faire oublier leurs crimes. On ne relativise pas, on pardonne et on oublie. Dans « Sin nombre », on n’a de sympathie que pour Casper et on déteste les autres, car ils lui veulent du mal. Cela donne quelque chose comme :

«- Casper, voleur ? Tueurs ? Ce n’est qu’un détail, il est bien charmant le jeune homme! Elle est fort sympathique la petite goutte qu’il a au coin de l’œil, c’est un sentimental le petit. »

Dans le documentaire, le réalisateur s’attarde sur chacun des membres de la Mara, il nous montre leurs côtés humains dans des contextes très personnels. Du coup, violeurs, tueurs, tortionnaires deviennent tous à nos yeux de « gentils gens un peu trop tatoués » !

« – Oh ! Regarde celui-là avec le visage recouvert d’un grand « 18 » c’est un mélancolique, c’est vrai que tout le monde veut se souvenir de ses 18 ans, ah la jeunesse ! »

Christian Poveda, le réalisateur de « La Vida loca », s’est fait assassiner par la Mara 18 après avoir tourné le documentaire… « Gentils gens un peu trop tatoués » ?

Sarah Rashidian (L3 Humanités)