Coproduction européenne, Mr Nobody s’est fait attendre depuis son annonce en 2007. On y retrouve Jaco Van Dormael, invisible depuis Le Huitième Jour, mais aussi Jared Leto, qu’on avait laissé dans la peau de l’assassin de John Lennon. Deux revenants, des dizaines de possibilités…
Arborescences d’une vie possible
Dans le futur. Nemo Nobody, 118 ans, est le dernier humain mortel au monde. Le reste de l’humanité, qui a vaincu la mort, veut en savoir plus sur sa vie. Mais en l’interviewant, un journaliste découvre que ce Monsieur Personne n’en a pas vécu qu’une seule. Devant chaque choix, le jeune Nemo ne s’est jamais contenté d’emprunter une voie, mais les a toutes tentées en parallèle.
Impossible de trouver un scénario moins linéaire que celui-ci. A la croisée de de la science-fiction, du fantastique, de l’essai philosophique et de la romance, parfois même didactique, Mr Nobody intrigue. Il explore une vie, ses origines tirées des mythes hébraïques, ses multiples apparences, et sa fin terriblement anticipatrice. En deux heures -ni trop, ni trop peu, on observe toutes les possibles existences du personnage principal se mêler, parfois interagir. Et finalement, malgré le nombre d’histoires évoquées, on parvient à saisir une image globale de Nemo, à englober toute sa non-existence. On sort de là le souffle coupé.
Philosophie quantique
Dans ce film, le belge Jaco Van Dormael s’empare d’un sujet maintes fois traité dans tous les genres. Faire un choix, être confronté à ce qui reste immortalisé par l’écrivain Terry Pratchett comme le « pantalon du destin ». Quelle jambe choisir ? Quelle vie vivre ? Mais il donne la réponse la plus insaisissable, la plus tâtonnante : celle de la physique quantique. Le jeune Nemo est placé devant le choix de monter dans le train avec sa mère ou de rester sur le quai avec son père. Tout comme un chat de Schrödinger, parvient à « vivre » les deux évènements à la fois. Les passionnés de physique quantique se régaleront. Les autres ne seront pas perdus pour autant, puisque le réalisateur s’est attaché à une réalisation différente d’une histoire à l’autre, ce qui fait qu’on s’y perd rarement. Même si l’ensemble reste un peu complexe à appréhender.
Le monde de Nemo
Visuellement sublime quoiqu’un peu trop lisse, Mr Nobody joue beaucoup sur des codes visuels pour aider à la compréhension. Ainsi, chaque Nemo est filmé d’une façon différente, et chacune de ses femmes est représentée par une couleur. Un peu simplistes, ces variations facilitent tout de même la lisibilité du scénario. Mais au final, si on peut reprocher des raccourcis dans la réalisation, elle reste plutôt ingénieuse la majeure partie du temps.
Plus encore que par ses belles images ou sa réalisation, le film brille par ses acteurs. Jared Leto, véritable caméléon, parvient une fois de plus à faire oublier son joli minois -pas tant que ça quand même- et adapte son jeu à chaque Nemo. Il est secondé dans cette tâche par les jeunes Toby Regbo et Thomas Byrne, aussi troublants par leur ressemblance que par leur jeu.
Du côté des actrices, on retrouve avec plaisir Sarah Polley, de loin la plus convaincante des trois femmes, dans le rôle d’une Elise timbrée. Linh-Dan Pham passe un peu trop vite à l’écran. Quant à Diane Kruger, sa prestation surprend bien moins que celle de Juno Temple, la jeune actrice qui interprète Anna adolescente. Séduisante, envoûtante, la jeune fille enflamme la toile.
Au final
Pas aussi tordu qu’un bon vieux Mulholland Drive, Mr Nobody se rapproche d’un film conventionnel en jouant la carte de la romance. Quelques maladresses, quelques bonnes trouvailles. L’ensemble forme un film cohérent, prenant, une succession dynamique de scènes belles mais pas trop aseptisées. A réserver à ceux qu’une intrigue sophistiquée ne rebute pas, et qui aiment être emportés dans un univers étrange.