A tout seigneur, tout honneur. Le grand Clint Eastwood nous revient déjà alors que Gran Torino est solidement ancré dans nos mémoires. Le monsieur de bientôt quatre vingt ans n’en finit plus de tourner, ayant déjà mis en boîte son prochain film dont une partie s’est tournée en France.
Pour l’heure, il s’intéresse à l’Afrique du Sud, et plus particulièrement à la coupe de monde du rugby de 1995 qui a vu triompher les Springbocks à la surprise générale. Grâce à un homme, Nelson Mandela, qui a vite compris l’importance de l’enjeu : réunifier un pays sous le choc après trente années d’Apartheid. Il fallait à l’homme d’état un sacré sens politique et une conviction inébranlable pour arriver à ce but inespéré. C’est cette trajectoire, profondément humaniste, que nous raconte Eastwood à la manière d’une fable dans laquelle les aspects moins reluisants de l’évènement sont soigneusement mis de côté.
Si l’on accepte ce postulat, inédit chez le cinéaste d’Impitoyable et de Mystic River, le film est un plaisir de tous les instants. Chaque scène, chaque moment passent merveilleusement grâce à une fluidité et une facilité déconcertantes. Eastwood joue avec les clichés pour mieux les détourner. Pas de grands discours édifiants, pas de logorrhée inutile, surtout dans les rares face à face entre Mandela et le capitaine des Springbocks, François Pienaar (interprété par un Matt Damon presque effacé). A la fin de leur premier entretien, lorsqu’il rejoint sa femme qui le presse de questions, Pienaar répond juste : « Je n’ai jamais rencontré un homme pareil ». Et la réussite du film est là : avoir rendu aussi évidente la grandeur de Mandela. Et l’évidence s’appelle Morgan Freeman. L’acteur, adoubé par Mandela lui-même, est une réincarnation absolue, tant est si bien que l’image du personnage réel et celle de l’acteur finissent par se confondre. L’oscar qu’on espère lui voir attribuer en mars prochain devrait signer le couronnement d’une carrière en apothéose.
Peut-on faire un film avec de bons sentiments ? se demandent souvent les critiques et les spectateurs. Avec Eastwood, la réponse est oui. Car l’homme tient mieux que personne les clefs du grand cinéma classique américain où la générosité, le pardon, le dépassement de soi prennent tout leur sens. En ces temps de chaos permanent, de totale perte de repères, nous rappeler ces valeurs font du bien. Et même si l’on pourra toujours ergoter sur une dernière partie un peu trop appuyée, les derniers mots de Mandela, tirés d’un poème qui lui a permis de garder espoir durant ses vingt-cinq ans d’emprisonnement, nous accompagneront longtemps : « Je suis le maître de mon destin, le capitaine de mon âme ».