On vit quand même une drôle d’époque, propice à la paranoïa générale…
Pas une année sans que l’espèce humaine ne soit menacée d’extinction sous les assauts de microorganismes en provenance de nos amies les bêtes : maladie de la vache folle, tremblante du mouton, grippe aviaire ou porcine, syndrome de la grande Zoa qui se fait bouffer par son boa… Pas un mois sans que Yann Arthus-Bertrand, Nicolas Hulot et consorts ne nous la jouent séquence frisson en évoquant le dérèglement climatique et vouent aux gémonies ceux qui prennent des bains plutôt que des douches et ne trient pas leurs déchets. Pas une semaine sans que l’on nous parle de la crise qui menace de faire plonger notre économie dans le gouffre, justifiant des politiques de rigueur budgétaires, le gel des salaires et les licenciements économiques. Pas une journée sans que la planète ne soit secouée par des conflits politiques, religieux, ethniques, menaçant, plus que la prédiction débile du calendrier des Postes Maya pour 2012, de déclencher un conflit mondial qui se terminerait sous une pluie d’ogives nucléaires…
Rien d’étonnant, alors, à cette recrudescence de romans, jeux vidéo, BD et films se déroulant dans des univers post-apocalyptiques.
Il y a quelques semaines, John Hillcoat nous entraînait sur La Route dans un monde en proie au chaos et à la barbarie et suivait les efforts de ses personnages – un père et son jeune garçon – pour préserver la petite flamme de l’humanité.
Le livre d’Eli repose un peu sur le même principe, avec son héros solitaire prenant la route pour mettre en lieu sûr le dernier exemplaire de la Bible (tous les autres ont été détruits rageusement après un conflit nucléaire meurtrier) et à s’assurer que personne n’en fera un usage détourné, en attendant le jour où la civilisation renaîtra de ses cendres.
Mais les réalisateurs, les frères Hughes, n’ont pas les mêmes ambitions que Hillcoat et Cormac McCarthy. Leur message est bien moins subtil. Leur truc, c’est plutôt le cinéma de genre qui déménage, l’action, la bagarre et les fusillades spectaculaires. Le personnage principal n’est pas un pauvre pasteur égaré dans le désert post-apocalyptique, mais un redoutable guerrier armé jusqu’aux dents.
D’ailleurs, le ton est donné dès les premières scènes : on voit un Denzel Washington monolithique faire la chasse au félin pour se nourrir, puis exterminer en deux temps trois mouvements une bande de voyous qui lui avaient tendu un traquenard…
Bon après tout, pourquoi pas… On n’est pas obligé de ne voir que des films à thèse intellos, et le cinéma de genre peut également offrir quelques belles réussites. Puisqu’on est dans un univers futuriste post-apocalyptique, les fans d’action futuriste se souviennent encore de la saga des Mad Max, spectaculaire à souhait.
Au début, on est plutôt confiant. La mise en scène est plutôt efficace et recèle même quelques belles idées, comme tourner le premier combat à contrejour dans un tunnel, donnant l’impression d’un spectacle d’ombres chinoises. On apprécie aussi le soin apporté à l’ambiance générale et aux décors, à cet ersatz de ville qui rappelle les villes pionnières du far-west…
Mais très vite, le film bascule dans le grand n’importe quoi.
La faute, surtout, à un scénario assez ridicule, qui oppose le héros solitaire à Carnegie, un méchant dictateur local, lorgnant avidement sur cette Bible dont les paroles inspirées lui assureraient encore plus de pouvoir… L’intérêt nous échappe un peu, vu que le bonhomme fait déjà régner la terreur dans le secteur et qu’il n’y a plus grand monde à « évangéliser »… Mais bon, admettons…
A cette histoire de conflit autour du fameux bouquin se greffe la relation qui se noue entre Eli et Solara, la fille de la maîtresse de Carnegie. Ecoeurée du traitement réservé à sa mère, et instantanément conquise par le charisme et les belles paroles du nouveau messie, la jeune femme décide de le suivre partout…
Cette relation entre les personnages permet-elle de les faire évoluer ? Pas du tout…
Remet-elle en question la foi d’Eli, le détourne-t-elle de sa mission ? Pas plus…
Apporte-t-elle un aspect romantique ou érotique à l’œuvre ? Même pas… Ah si, mais assez idiotement, en suscitant la jalousie du principal lieutenant du tyran (Ray Stevenson, caricatural en diable).
Bref, là encore, on ne voit pas bien l’utilité de cette ramification narrative, si ce n’est de masquer la vacuité de l’intrigue et, quand même, d’offrir un temps de présence à l’écran plus conséquent à la très sexy Mila Kunis, pour le plus grand plaisir des yeux de l’auteur de ces lignes…
Mais le pompon, c’est le dernier quart d’heure du film, qui rend incompréhensible toute cette bagarre autour du fameux livre, et qui se paie le luxe d’un twist final complètement idiot, totalement risible. Non, n’insistez pas, on ne vous dira pas de quoi il retourne, afin que vous vous en preniez plein la vue si, malgré notre critique négative, vous décidez d’aller voir cette hallucinante série B…
En revanche, on peut vous dire que le film est globalement assez mal joué : Denzel Washington, d’ordinaire pas mauvais, s’abandonne à un cabotinage éhonté et en fait des tonnes en héros impassible, monolithique. Gary Oldman n’est absolument pas crédible en méchant psychopathe. On se demande comment l’être aussi pathétique qui l’incarne à l’écran peut bien avoir un ascendant sur ses sbires… Mila Kunis et Jennifer Beals servent de potiches – de belles potiches, certes – et Malcolm MacDowell et Tom Waits viennent faire de la figuration de luxe.
On peut aussi vous dire que la mise en scène, si elle n’a rien de déshonorant, n’est pas bien transcendante non plus, pillant allégrement dans ce qui a été fait ailleurs en mieux.
Et vous dire, enfin, que le film est plombé par son côté trop sérieux, trop premier degré, et son message religieux à deux balles, mal amené et plutôt ambigu.
Certes le film prend bien soin de séparer les valeurs véhiculées par la religion de l’interprétation qui en est faite, ou en a été faite par certaines personnes malintentionnées, ecclésiastiques ou hommes de pouvoir manipulateurs, mais à ce moment-là, comment peut-on justifier la violence d’Eli ? Le bonhomme semble s’ingénier à chercher les problèmes et prendre un malin plaisir à les régler en faisant couler le sang. Pas franchement compatible avec l’idée de tendre la joue droite quand on vous gifle sur la gauche tout ça… Le combat entre le Bien et le Mal ? Mouais… Les méchants du film sont surtout des êtres faibles, désorientés en l’absence de repères sociaux, pas des démons sortis des enfers…
Bref, il y a de quoi faire tiquer les spectateurs croyants…
Mais les athées ne seront guère plus emballés par le propos global du film, qui semble affirmer que dans le chaos, seule les religions – en insistant maladroitement sur le Christianisme – sont capables de guider les hommes. Pfff… Et puis quoi encore ? Heureusement que non… Personnellement, nous pensons plutôt aux valeurs universelles que sont la fraternité, la solidarité, la compassion…- celles-là mêmes qui étaient entretenues par les personnages de La route…
Avec son message philosophico-mystique confus, son scénario digne des plus mauvaises séries Z – mais qui assument, elles, leur côté ringard – et ses acteurs égarés, Le Livre d’Eli est un beau gâchis et une cruelle déception pour les fans de genre. Ce serait même quasiment une catastrophe nucléaire sans la bombe Mila Kunis… Mieux vaut revoir la trilogie des Mad Max, certes un peu datée, mais bien plus prenante…
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The Book of Eli
Réalisateurs : Albert & Allen Hughes
Avec : Denzel Washington, Gary Oldman, Mila Kunis, Jennifer Beals, Malcolm McDowell, Ray Stevenson
Origine : Etats-Unis
Genre : catho-strophe nucléaire
Durée : 1h49
Date de sortie France : 20/01/2010
Note pour ce film : ●●○○○○
contrepoint critique chez : Filmosphère
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