« I need help ! » Tel est le leitmotiv, plus désespéré à chaque fois, prononcé par Larry Gopnick, professeur de physique qui voit s’accumuler les catastrophes : sa femme demande le divorce, un de ses élèves lui exerce un chantage pour qu’il réévalue son travail, sa fille est en pleine crise d’ados mais le pire dans tout ce capharnaüm, c’est l’absence de réponse. Larry, de confession juive, va pourtant demander de l’aide à tous les rabbins disponibles. Larry sombre, flanqué d’un frère incontrôlable. Larry veut être un homme sérieux mais comment y parvenir lorsque le sort s’acharne ?
Les frères Coen reviennent aux sources. De leur enfance passée dans cette banlieue de Minéapolis, incarnation à elle seule de l’ennui policé. De leur religion, aussi, les frangins n’ayant encore jamais abordé frontalement leur judéité, si ce n’est par des références plus ou moins explicites (John Goodman dans The Big Lebowski). Et vu que ces iconoclastes n’ont de compte à rendre à personne, ils se sentent libre de traiter la religion comme bon leur semble, même si ça ne fera pas plaisir à tout le monde. Leur film le plus personnel ? Certainement l’un des plus authentiques.
Michael Stuhlbarg et Fred Melamed
Dans leur (déjà) filmographie d’exception, que le temps bonifiera davantage, ils n’avaient jamais opéré à ce point une mise en scène aussi minimaliste. Chaque plan est à sa place, d’une simplicité et d’une justesse désarmantes, filmé avec le minimum d’effet. Une scène, en particulier, l’évoque magistralement : deux voitures roulent, séparément, donnant l’impression qu’elles vont se rencontrer. L’accident arrive mais seule la voiture de Larry est touchée. Ce n’est que plus tard que l’on comprendra le stratagème. Les Coen sont toujours dans l’inattendu, l’effet de surprise décalé dans le temps.
Leur étonnante inventivité fait mouche une fois de plus. Sans trop déflorer les pépites de ce joyau éminemment à part, disons qu’un rendez-vous chez le dentiste devient une histoire palpitante à rebondissements que les Coen, avec une audace digne des plus grands, balayent d’un revers de main car la résolution n’a finalement pas beaucoup d’importance. A serious man est construit dans ce sens, dès le début, sous forme de fable, et jusqu’à la fin, abrupte. Le chaos dans lequel est plongé Larry nous semble sans fin, tout comme nos propres interrogations sur ce fameux poids de l’existence, si lourd parfois.
Ce mélange de drame pathétique et d’absurde hilarant a toujours amené les Frères Coen à filmer des personnages qui portent la poisse. Cette fois, la religion s’en mêle et, pour les protagonistes, le résultat n’est pas à la mesure de l’attente. Est-on croyant pour perpétuer une tradition ou pour s’élever et s’accomplir autrement ? Les Coen ne donnent pas de clef même si l’on devine un regard ironique et irrévérencieux, non dénué de tendresse.
Joel et Ethan Coen
Avec ce quatorzième long métrage, ils s’inscrivent véritablement comme les grands moralistes de la nature humaine qu’ils n’ont jamais cessé d’être. Sauf que depuis No Country for old men, une sourde mélancolie vient enrayer cette mécanique que certains jugeaient trop millimétrée. Le tueur joué par Javier Bardem continuait sa route car le mal n’avait pas de raison de s’arrêter. Dans A serious man, c’est cette même lucidité qui est à l’oeuvre : lorsque l’on croit les problèmes résolus, ce n’était en réalité qu’une pause avant d’affronter une nouvelle tempête. Et quand un rabbin, suite à une barmitsva irréelle, récite, au fils de Larry tout juste converti, les noms des membres du groupe Jefferson Airplane, il s’agit bien de morale. Celle des Coen, évidemment.