A Angle(s) de vue, on a toujours aimé et défendu le cinéma de François Ozon. On a apprécié ses courts-métrages au ton très personnel (Une robe d’été, Regarde la mer,…), ses œuvres de jeunesse un peu trash ou décalées (Sitcom, Les amants criminels), ses expérimentations haut de gamme (8 femmes, 5×2, Gouttes d’eau sur pierre brûlante), ses incursions dans le film historique en costume (Angel) et ses œuvres intimistes (les magnifiques Sous le sable et Le temps qui reste)… Nous faisons même partie de ceux qui ont défendu Ricky, l’an passé, alors que le film avait dérouté le public et une partie de la critique…
Mais là, face à son dernier long-métrage, Le Refuge, difficile de cacher notre déception.
Dans sa note d’intention, François Ozon précise que le projet est né de son désir de filmer une femme enceinte pour en capter toute la beauté, épanouie et radieuse, et imprimer sur pellicule ce moment si particulier de la vie d’une femme, où elle s’apprête à donner la vie. Tout s’est fait très vite : il a approché plusieurs actrices réellement enceintes et a finalement opté pour Isabelle Carré. Choix judicieux : l’actrice sait parfaitement faire passer les émotions et son visage aux traits encore juvéniles était idéal pour symboliser ce passage de l’état de jeune fille à celui de femme…
Maintenant, malgré toute l’admiration que l’on peut éprouver pour elle, se contenter de filmer son ventre délicieusement arrondi n’était pas suffisant pour capter l’attention des spectateurs pendant quatre-vingt dix minutes. François Ozon l’a bien compris et a donc écrit un ersatz de scénario déprimant et manquant parfois de subtilité. Il a fait de son personnage principal, Mousse (Isabelle Carré, donc), une jeune droguée accroc à l’héroïne. Suite à la prise d’une dose frelatée, elle et son ami, Louis (Melvil Poupaud) font une overdose. Il décède, elle s’en sort. On lui apprend qu’elle est enceinte. Malgré la pression de la famille de Louis, qui souhaite la voir avorter, elle décide de garder l’enfant et part s’installer à la campagne…
C’est gai, non ?
Eh bien non, pas trop… Il faut dire qu’Ozon n’a jamais fait dans la comédie pure et que ce scénario développe ses obsessions habituelles sur la maternité et le deuil. Mais chose originale, elles sont ici réunies au sein d’un seul et même personnage, à qui on annonce en même temps sa grossesse et le décès de l’homme qu’elle aimait. Comment porter le deuil et un enfant en même temps ? Le film montre le lent processus de reconstruction de la vie de Mousse dans son nouveau refuge, une maison près du bord de la mer, sur la côte basque. La fille que l’on disait perdue retrouve une certaine sérénité malgré la douleur du manque – du manque de drogue, du manque de Louis, du manque d’une famille sur qui s’appuyer. Un cheminement qui joue sur le parallèle entre la naissance de l’enfant, la renaissance de Mousse, et celle, indirecte de Louis par le biais de sa descendance… Un peu trop classique, trop convenu, mais cela constitue malgré tout le seul point positif du film. Grâce au jeu d’Isabelle Carré, on s’attache à ce personnage vulnérable mais déterminé. On veut croire à sa réinsertion, on tremble à l’idée qu’elle puisse craquer et re-sombrer dans la drogue…
A vrai dire, sans être totalement convaincus par la subtilité de la chose, on se serait bien contentés de cette trame narrative simple. Mais voilà, François Ozon fait intervenir un autre personnage, Paul, le frère de Louis. Lui aussi, un peu paumé, perturbé par de vieux secrets de famille, et par une homosexualité pas encore totalement assumée. C’est gay, non ?
Eh bien, oui, un peu… Mais le problème n’est pas là. De prime abord, il vient du fait qu’on a la désagréable impression que le cinéaste n’a ajouté ce personnage que pour meubler un scénario bien trop mince pour tenir en haleine le spectateur sur la durée d’un long-métrage.
Evidemment, il n’en est rien. On comprend qu’il s’est projeté dans le personnage qui, de par ses orientations sexuelles, ne pourra pas avoir d’enfant, et, de par sa nature, ne pourra pas éprouver ce que ressent une femme enceinte, le lien qui se forme entre la mère et la petite étincelle de vie qui germe dans son corps. Pour compenser, Paul accompagne Mousse quasiment tout au long de sa grossesse, se montre attentionné, aimant. Tout comme François Ozon accompagne Isabelle Carré/Mousse, avec un regard plein d’admiration et de tendresse, et porte son propre film… La construction du scénario obéit donc à un vrai point de vue d’auteur, mais elle fait aussi basculer le récit vers quelque chose de beaucoup trop mécanique, de trop évident, de trop « formaté ».
Pas besoin d’être devin pour savoir que les deux personnages, en perte de repères, vont finalement réussir à s’entraider, chacun apportant à l’autre une partie de ce qui lui manquait pour s’épanouir. Le film défile sous nos yeux de manière trop linéaire, manquant de substance et de mystère.
On aurait aimé plus d’ambiguïté, plus d’étrangeté, plus de trouble. Bref de tout ce qui fait le charme des films du cinéaste habituellement.
Seules deux séquences parviennent à nous faire vibrer un peu, celle de la confrontation de Mousse avec la mère de Louis, qui tente de lui imposer de manière peu cavalière un avortement, et la rencontre avec un homme fétichiste des femmes enceintes qui tente de séduire la jeune femme dans un café.
Et il y a cette fin, un peu inattendue, qui évite les écueils des bons sentiments gnangnan et du pathos larmoyant, mais qui, pour le coup, nous semble hélas trop peu crédible…
Bien qu’interprété avec conviction par Isabelle Carré et par un jeune musicien/chanteur, Louis-Ronan Choisy, Le Refuge ne nous a pas vraiment emballés. On sent que le film a été en grande partie improvisé, bricolé dans l’urgence et, au final, un peu bâclé. A la décharge de François Ozon, ce projet un peu fou était risqué et a nécessité de travailler avec un timing très serré. Isabelle Carré étant réellement enceinte, tout aurait pu s’écrouler en cas de problèmes liés à la santé de l’actrice et d’arrêt de travail pour garantir la sécurité du fœtus. Le cinéaste a donc dû prendre des décisions sous pression permanente, de façon à tenir les délais impartis.
Cela dit, c’est un peu de sa faute aussi. Personne ne l’oblige à se lancer des défis aussi ardus, ni à réaliser un film par an.
D’ailleurs, on aimerait qu’il se pose un peu et prenne le temps de développer un projet autrement plus ambitieux que ce Refuge, qui restera un film très mineur dans sa filmographie déjà bien fournie…
Le Refuge
Réalisateur : François Ozon
Avec : Isabelle Carré, Louis-Ronan Choisy, Melvil Poupaud, Pierre Louis-Calixte, Marie Rivière
Origine : France
Genre : errance de femme enceinte
Durée : 1h30
Date de sortie France : 27/01/2010
Note pour ce film : ●●○○○○
contrepoint critique chez : Tadah! Blog