“City Island” de Raymond de Felitta

C’est bien connu, les secrets de famille, les petits mensonges entre amis, les minuscules cachotteries et les grandes omissions sont un terreau fertile pour bien des drames, mais donnent aussi, assez souvent, de brillantes comédies.

Alors que dire de City Island, le nouveau film de Raymond de Felitta, dont tous les personnages principaux, membres de la même famille, ont des secrets les uns pour les autres?

City Island - 5

Le père, Vince Rizzo, est gardien de prison (il en faut). Il fume en cachette (mouais… banal), prend des cours de théâtre en prétextant aller à des soirées poker (déjà plus original) et a un fils caché, né de sa première histoire d’amour, dont sa femme ignore totalement l’existence (ça devient intéressant). D’ailleurs Tony, le rejeton en question, n’est absolument pas au courant non plus, vu qu’il n’a jamais connu ce père qui s’est enfui avant qu’il ne vienne au monde.
En fait, c’est totalement par hasard que Vince a retrouvé la trace de Tony, quand celui-ci s’est retrouvé incarcéré dans sa prison pour de menus larcins… Incapable de trouver le courage d’annoncer à Tony qu’il est son géniteur, Vince se débrouille pour avoir la garde personnelle du prisonnier et, prétextant avoir quelques travaux à lui faire effectuer, l’installe chez lui, en attendant de faire plus ample connaissance et de pouvoir oser tout lui avouer…

City Island - 3

Sa femme, Joyce, de son côté, fume en cachette (tiens…) et accepte ses soirées poker en sachant pertinemment que ce n’est qu’un alibi pour des choses peu avouables. Pour elle, c’est clair, il y a une femme là-dessous…
Alors puisqu’elle se croit cocufiée, elle envisage bien de se venger avec le séduisant jeune homme que Vince a engagé pour les travaux… (Il y a de l’Œdipe dans l’air…)

La fille aînée, venue pour les vacances, n’ose pas avouer qu’elle a été renvoyée de l’université. Elle pourrait recommencer son année, mais comme elle a perdu sa bourse étudiante dans l’affaire, il lui faut travailler pour gagner de quoi financer ses études. Et à City Island, le moyen légal le plus rapide pour gagner de l’argent est encore de faire des stripteases dans le club du coin…

Et enfin le fils cadet, un ado fort en gueule, nourrit une obsession – c’est le cas de le dire – pour les femmes obèses. Il pique la carte bancaire de sa mère pour pouvoir s’inscrire sur un site coquin spécialisé, sur lequel il découvre avec stupéfaction… la voisine d’à-côté!

City Island - 4

Un peu comme dans le Théorème de Pasolini (*), c’est l’irruption d’un élément étranger (ou presque) dans la structure familiale qui va faire voler en éclat les apparences. Mais ici, point de message social subversif, point de réflexion théologique, nous sommes dans une pure comédie, et Tony, au croisement des secrets de chacun, va influer, consciemment ou involontairement, sur la libération de tous ces secrets plombants, et permette à cette famille au bord de la crise de nerfs de retrouver une certaine unité.

Evidemment, tout cela va être prétexte à quelques situation assez savoureuses et très drôles, avec en tête l’irrésistible scène de l’audition de Vince pour un film de Scorsese. Andy Garcia s’y livre à un génial numéro de cabot, imitant le Marlon Brando du Parrain ou ses confrères italo-américains, Al Pacino et Robert De Niro, et s’auto-parodiant lui-même dans une improvisation digne des cours dispensés par l’Actors studio…

Mais tous les autres acteurs se livrent également à des prestations très honorables : Julianna Margulies incarne avec conviction cette épouse au sang chaud, proche de l’hystérie ; Ezra Miller semble s’amuser à faire de son personnage d’adolescent rebelle une vraie tête à claques ; la belle Dominik Garcia-Lorido (fille d’Andy Garcia) apporte une petite touche sexy à l’ensemble et Steven Strait contemple tout ce petit monde avec un regard joliment effaré…

City Island - 2  

Grâce à eux, il règne sur City Island une ambiance de folie douce très sympathique. On regrettera juste que le crescendo comique n’aille pas encore plus loin dans le burlesque et les situations barrées. Il y avait pourtant matière à basculer dans le délire complet.
Mais Raymond de Felitta a préféré maintenir sa comédie sur un axe plus léger, plus doux-amer. Ce que l’on perd en comique pur, on le gagne en sensibilité, avec quelques scènes plus graves, touchantes. On pense notamment aux beaux échanges entre Andy Garcia et la délicieuse Emily Mortimer, dont le personnage est porteur, lui-aussi d’un secret, mais bien plus douloureux.

Si vous avez envie de vous détendre au cinéma avec une petite comédie pleine de charme et bien rythmée, on vous conseille d’aller faire un petit tour du côté de City Island. Vous ne devriez pas être déçus du voyage…

(*) : Hasard de la programmation, Théorème ressort justement cette semaine dans certaines salles, dans une copie entièrement restaurée.

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City Island City Island

City Island
Réalisateur : Raymond de Felitta
Avec : Andy Garcia, Julianna Margulies, Emily Mortimer, Dominik Garcia-Lerido, Ezra Miller, Steven Strait 
Origine : Etats-Unis
Genre : comédie familiale déjantée
Durée : 1h40
Date de sortie France : 20/01/2010

Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Les Inrockuptibles
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