“Lebanon” de Samuel Maoz


« Un homme est en acier, un tank n’est qu’un tas de ferraille »
Beau dicton guerrier, belle connerie…

Les blindés sont peut-être moins résistants qu’on ne le pense, surtout quand ils sont heurtés de plein fouet par une roquette, mais l’esprit humain est encore plus fragile…
Mettez quatre jeunes soldats israéliens inexpérimentés dans un tank, au moment de l’invasion du Liban par les troupes de Tsahal, en mai 1982. Dehors, un soleil de plomb et du plomb qui siffle de toutes parts. Dedans, une atmosphère étouffante, sombre, saturée de sons mécaniques, grincements et cliquetis, et d’odeurs fétides – huile de moteur, poudre, parfum métallique du sang humain et puanteur des cadavres en décomposition…
Laissez les mijoter là dans leur propre sueur, la crasse, les excréments, soumis à la tension, le manque de sommeil, la peur…

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Comment croyez vous qu’ils supporteront tout ce stress, toutes ces images d’horreur auxquelles ils n’ont jamais été préparés?
Certains ne s’en remettront jamais, d’autres parviendront à les digérer, mais après de longues années de psychothérapie. C’est le cas du cinéaste Samuel Maoz, à qui il a fallu près de vingt ans avant de raconter cette histoire vraie, son histoire…

Il venait d’avoir 19 ans, était encore innocent. Il a été mobilisé par l’armée pour partir en guerre au Liban, avec une tâche très particulière, hautement délicate : être celui qui appuie sur la gâchette.
Non seulement il a dû affronter sa propre crainte de mourir, mais en plus, il a dû se coltiner la culpabilité de semer la mort et la destruction.
Comment accepter l’idée de devoir tuer un homme? Comment distinguer seulement les alliés des adversaires, dans cette agitation? Rien ne pouvait le préparer à cette situation, résumée par un cruel dilemme : S’il ne tire pas, un de ses camarades peut mourir. S’il tire, il risque de tuer un civil innocent…
La mission a été un véritable calvaire, un traumatisme profond que le cinéaste entend bien exorciser en n’éludant aucun détail et en partageant son fardeau avec les spectateurs.

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Pour bien faire ressentir ce qu’était ce climat d’angoisse et de mort, Samuel Maoz a choisi de respecter les règles d’un véritable huis-clos.
Tout le film se déroule à l’intérieur du tank, espace exigu, d’où les personnages n’ont qu’une vue partielle de ce qui se passe à l’extérieur, par l’intermédiaire du viseur du véhicule. Partielle mais suffisamment nette pour saisir toute l’horreur des combats. De courts inserts laissent à voir des petites choses terrifiantes : maisons démolies, cadavres de victimes innocentes, carcasses d’animaux en décomposition, visages meurtris ou trop choqués pour exprimer encore une quelconque émotion, personnes perdues,…
Et parfois, la caméra insiste sur des séquences insolites mais non moins poignantes, comme la détresse de cette femme qui vient de perdre son mari et son enfant, victimes collatérales d’une passe d’arme entre les soldats israéliens et des preneurs d’otages palestiniens, errant sur la zone de combat…

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Toute la première partie du film, essentiellement diurne, ne repose que sur cela, entre combats et scènes de désolation, alternés avec quelques petits moments d’accalmie toute relative, puisque les quatre soldats présents dans l’habitacle du blindé, soumis au stress et à la fatigue, se chamaillent assez souvent.

La tension monte encore dans la seconde moitié du film, nocturne, quand le bataillon de soldats se retrouve dérouté de son itinéraire initial et se perd dans une zone de la ville dangereuse. Le tank, partiellement endommagé par un tir ennemi, peut à peine rouler. Les autres unités ne peuvent pas intervenir pour le sortir de ce mauvais pas et il lui faut compter uniquement sur l’aide de phalangistes arabes alliés, aux motivations plutôt troubles…
Les soldats israéliens doivent alors attendre avec angoisse l’attaque d’un ennemi invisible, mais que l’on devine bien présent, par la grâce d’une bande-son extrêmement soignée. Et certains ne supportent pas cette tension insoutenable…

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ressemble un peu à La Patrouille perdue, le chef d’œuvre de John Ford qui montrait les réactions d’un groupe de soldats subitement privé de chef et cerné par des ennemis très discrets, mais impitoyables. Bon évidemment, Maoz n’est pas Ford… S’il assume parfaitement tous ses partis-pris de mise en scène, très efficaces, il est moins performant dans sa direction d’acteurs.
Ses comédiens ne sont pas mauvais, loin de là, mais ils jouent parfois de manière un peu outrancière, et ce surjeu affecte sensiblement l’identification du spectateur et impacte un peu la crédibilité du script.

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Mais ce petit défaut n’empêche pas le film de tenir malgré tout ses paris : faire ressentir physiquement au spectateur le malaise de ces soldats perdus, faire ressentir toute l’horreur de la guerre sans trop montrer d’images-choc (et pourtant, il y en a quelques-unes…). Mais aussi et surtout évoquer les séquelles psychologiques que peuvent laisser ces combats absurdes, sur les vainqueurs comme sur les vaincus…
C’est sans doute le sens de ce plan magnifique qui ouvre et clôt Lebanon : des tournesols oscillent lentement sous le vent, tête baissée, comme pour symboliser au choix la honte des participants au conflit, le deuil des familles des victimes, le sentiment de culpabilité et la grande détresse morale des survivants…

La démarche de Samuel Maoz est similaire à celle de ses confrères Ari Folman (Danse avec Bachir) ou Joseph Cedar (Beaufort). Ces cinéastes israéliens ont tous vécu la guerre du Liban et en ont été profondément marqués. Leurs œuvres, évidemment très réalistes, constituent une façon d’exorciser un passé douloureux, mais véhiculent aussi un message antimilitariste destiné aux générations, pour qu’elles puissent éviter de vivre les mêmes horreurs.

Ce message de paix, soutenu par une démarche cinématographique forte et ambitieuse, a su toucher le jury du dernier festival de Venise, qui a attribué à Lebanon sa distinction suprême, le Lion d’Or. Une récompense amplement méritée, de l’avis de tous ceux qui ont assisté à l’intégralité de la compétition vénitienne. Nous vous invitons donc à découvrir en salle cette œuvre réussie, expérience éprouvante et très forte…

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Réalisateur : Samuel Maoz
Avec : Yoav Donat, Oshri Cohen, Michael Moshonov, Itay Tiran, Zohar Strauss, Ashraf Barhom
Origine : Israël
Genre : film non pas de guerre, mais “de soldats”
Durée : 1h32
Date de sortie France : 03/02/2010

Note pour ce film : ●●
contrepoint critique chez : L’Humanité
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