“I love you Phillip Morris” de G.Ficarra & J.Requa

Pour le grand public, Jim Carrey n’est rien d’autre qu’un clown grimaçant, un amuseur, un bouffon. Une image bâtie sur les comédies qui l’ont fait connaître, d’Ace Ventura, détective pour chiens et chats à Dumb & Dumber, où son faciès en caoutchouc et son humour ravageur étaient particulièrement mis en avant. On adore ou on déteste… (ici, on est plutôt fans…)
Mais les cinéphiles savent que Jim Carrey est aussi un véritable acteur, qui a su se montrer convaincant, voire bouleversant, dans des registres autres que la comédie pure, plus dramatiques, plus sérieux. Rappelons-nous ses prestations dans Man on the moon de Milos Forman, dans The Truman show de Peter Weir, dans The Majestic de Franck Darabont, dans Eternal sunshine of the spotless mind de Michel Gondry, dans Le nombre 23 de euh… non, celui-là, on peut l’oublier illico presto…
Bref, ce n’est pas un hasard si la très sérieuse Cinémathèque Française vient de lui consacrer une rétrospective (1), juste avant la sortie en salle de l’étonnant I love you Phillip Morris, de Glenn Ficarra et John Requa, un long-métrage qu’il porte presque entièrement seul sur ses épaules carrey… pardon, carrées, et où il a l’occasion de montrer encore d’autres facettes de son talent…

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Il y incarne Steven Russell, un type complexe dont toute la vie ne repose que sur le mensonge.

Mensonge n°1 : ses origines.
Tout commence quand ses parents lui avouent qu’il a été adopté… Une imposture traumatisante qui va conditionner toute sa vie future…

Mensonge n°2 : La vie que s’est construite le bonhomme.
On le retrouve, adulte, quelques années plus tard. Il est devenu flic, essentiellement pour pouvoir retrouver la trace de sa mère biologique. Las, quand il réussit enfin à lui mettre la main dessus, elle refuse de le voir. Pire, il apprend avec stupeur qu’elle a eu d’autres enfants avant et après lui, et que lui seul a été abandonné… Encore une claque…
Lui aussi a des enfants, fruits de son union avec Debbie (Leslie Mann), une femme charmante, mais qui l’agace de plus en plus. Il ne supporte plus sa morale bien-pensante et sa ferveur religieuse. La passion a disparu et ils ne font plus l’amour que très mécaniquement…
De toute façon, Steven ne prend son pied qu’avec… des hommes. Il a en effet découvert son homosexualité, mais la cache comme un secret honteux.
Jusqu’au jour où un accident de voiture l’envoie à l’hôpital. Il en profite pour faire son coming-out et tout plaquer pour aller vivre sa passion avec le beau Jimmy (Rodrigo Santoro).
Une nouvelle vie commence, faite de voyages, de chambres d’hôtels, de shopping… Etre homo, apparemment, ça coûte cher… D’où le…

Mensonge n°3 : escroquer les assurances.
Steven simule des accidents causés par la négligence de tierces personnes et obtient de généreux remboursements. Mais évidemment, l’ex-flic qu’il est aurait dû savoir que ce genre d’arnaque finit toujours par se retourner contre vous… Il est envoyé en prison.
Là, il se débrouille pour obtenir tout ce qu’il désire. Dans ce genre d’endroit, être gay présente quelques avantages.
Il y rencontre Phillip Morris (Ewan McGregor), un blondinet homosexuel, comme lui, et en tombe amoureux. Pour le séduire, il utilise le…

Mensonge n°4 : se faire passer pour ce qu’il n’est pas.
Il fait croire qu’il est un avocat cultivé, raffiné. Et il continuera de mentir lorsque, sortis de prison, les deux hommes s’installeront ensemble. Ce qui lui permettra de gagner des sommes colossales, grâce à diverses usurpations d’identité et des escroqueries de masse…
Des mensonges qui occasionneront bien des déboires, qui déboucheront sur d’autres mensonges, et ainsi de suite, dans un cercle vicieux…
Et au milieu de tout ça, une vérité : Steven aime Phillip Morris…

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Du fait de cette romance entre deux hommes, le film a eu beaucoup de mal à se monter. Même si certaines œuvres ont fait bouger les mentalités, le sujet est encore un peu tabou et les producteurs sont toujours frileux à l’idée de financer des projets de ce type. Jim Carrey roulant une pelle à Ewan McGregor ? Non merci… La frange ultra-puritaine du public yankee n’est pas prête pour cela…
C’est donc en France que les cinéastes ont pu boucler leur budget, grâce au soutien de Luc Besson et d’Europa corp. (il faudra un jour se pencher sur l’énigme Besson, scénariste médiocre mais cinéaste doué, producteur d’infâmes action-movies décérébrés mais aussi de véritable petites pépites cinématographiques).

Tant mieux, car il serait réducteur de ne voir en I love you Phillip Morris qu’un film sur une relation amoureuse gay. C’est un film sur l’amour tout court, et sur les folies auquel il conduit. C’est le portrait d’un homme qui, à force d’être rejeté, a adopté une vision radicale du lien amoureux et est prêt aux actes les plus dingues pour être aimé et admiré…
C’est aussi une formidable histoire d’arnaqueur (d’arnacoeur ?) où un homme « ordinaire » monte les plus géniales des escroqueries, avec un aplomb incroyable.
Incroyable, vraiment ? Eh bien non ! Figurez-vous que, comme le récent The informant !, cette histoire est une histoire vraie ! Tout ce qui est montré à l’écran est très fidèle à la véritable histoire de Steven Russell et Phillip Morris, telle que relatée par Steve McVicker dans son livre (2)…

Pour incarner Steven Russell, personnalité charismatique et un brin illuminée, Jim Carrey était l’acteur idéal. Il possède ce don pour la comédie qui rend attachantes les tribulations de ce drôle de bonhomme, la sensibilité qui sied aux passages plus dramatiques, pour ne pas dire tragiques, le côté cabot qui colle parfaitement avec les mises en scène du génial escroc et enfin le petit brin de folie qui rend le portrait on ne peut plus convaincant. De tous les plans, ou presque, la star livre une des meilleures performances de sa carrière et communique au film sa formidable énergie.
Pour un peu, il éclipserait presque totalement Ewan McGregor, lui aussi très bon en homo sensible et délicat, victime presque consentante de l’amour fou que lui porte Russell. Alors que le rôle aurait pu mener au cabotinage éhonté ou à la caricature la plus grossière, la sobriété de l’acteur écossais est exemplaire.

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La mise en scène aussi est sobre. Un peu trop, d’ailleurs. Trop sage au regard de la folie douce qui parcourt le film… Mais pour un premier long-métrage (3), le résultat n’a rien de honteux. On trouve même, ça et là, quelques belles idées de cadrage ou de montage, dont on se contentera volontiers. De toute façon, c’est bel et bien le duo Carrey/McGregor, qui fonctionne à merveille, qui constitue la principale attraction de l’oeuvre de Glenn Ficarra et John Requa.

Si vous doutiez du talent d’acteur de Jim Carrey, ou si Ewan McGregor n’évoque rien d’autre pour vous que le jeune Obi Wan de Star Wars, allez donc découvrir en salle ce I love you Phillip Morris, qui a déjà conquis les festivaliers cannois et deauvillais l’an passé. Mais pas le public américain, le film n’ayant toujours pas eu les honneurs d’une sortie dans son pays d’origine.
Certains préjugés ont la dent dure. La bêtise aussi…

(1) : Oups… Nous avons omis d’annoncer cet événement dans l’agenda… Il a eu lieu du 1er au 15 février, à la Cinémathèque Française… Pour ceux que ça intéresse, les infos se trouvent sur le site de la Cinémathèque
(2) : « I love you Phillip Morris : a true story of life, love & prison breaks » de Steve McVicker – éd. Miramax (en anglais, pas de traduction française à ce jour)
(3) : les deux hommes sont scénaristes, à la base. On leur doit, entre autres, le script de
Bad Santa

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I love you Phillip Morris_thumb[2]I love you Phillip Morris
I love you Phillip Morris

Réalisateurs : Glenn Ficarra, John Requa
Avec : Jim Carrey, Ewan McGregor, Leslie Mann, Rodrigo Santoro, Antoni Corone, Grif Furst
Origine : Etats-Unis
Genre : incroyable mais gay… euh… vrai!
Durée : 1h36
Date de sortie France : 10/02/2010
Note pour ce film : ●●●●●

contrepoint critique chez : Nicolinux

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