Valérie Donzelli est une actrice atypique et attachante. Sa beauté lumineuse, sa sensualité, sa douceur et son regard très expressif ont fait le bonheur de nombreux cinéastes. Porteuse à la fois d’une certaine gravité et d’une espièglerie burlesque/poétique façon Buster Keaton, elle a prouvé qu’elle savait aussi bien s’illustrer dans le domaine de la comédie (Ames câlines, Clara Sheller) que du drame (Martha… Martha, pour lequel elle a obtenu le Prix Michel Simon)

Valérie Donzelli est une cinéaste tout aussi atypique et attachante, qui fait des films qui lui ressemblent : humbles, discrets, pleins de fantaisie et d’émotions. Elle nous avait surpris avec son court-métrage, Il fait beau dans la plus belle ville du monde, et elle confirme ses bonnes dispositions pour la mise en scène avec La Reine des Pommes, son premier long-métrage. Une comédie sentimentale et existentielle au ton étrange, décalé, entre loufoquerie burlesque assumée et mélancolie, et rehaussé d’une pointe d’érotisme troublant.

Elle se met elle-même en scène dans le rôle d’Adèle, un personnage déjà présent dans son court-métrage et appelé à devenir récurrent dans les films qu’elle réalisera.
Adèle est une fille mignonne, mais un peu trop naïve et rêveuse. Son monde s’écroule quand l’amour de sa vie, Mathieu (Jérémie Elkaïm) la quitte subitement sans raison valable. La rupture est difficile, laisse en elle un vide immense et lui donne des envies de suicide. Pas rassurée, sa voisine (Lucia Sanchez) l’accompagne chez sa seule famille connue, sa cousine Rachel (irrésistible Béatrice de Staël).
Ladite cousine a beau avoir un problème oculaire, c’est bien elle qui va ouvrir les yeux à la pauvre Adèle, en la poussant à se reprendre en main, à trouver du travail et à rencontrer d’autres hommes.

C’est ainsi qu’elle va croiser Pierre (Jérémie Elkaïm), un étudiant romantique, Jacques (Jérémie Elkaïm, mais avec de grosses lunettes) un père de famille lubrique et Paul (devinez…), un zonard aux fantasmes tordus…
Bref, tous les mecs qui tournent autour d’elle ont les mêmes traits physiques que son ex-grand amour. Une façon de montrer combien il peut être difficile d’oublier une personne que l’on aimé intensément, et qu’il faut beaucoup de temps avant de pouvoir enfin réagir et être disposé(e) à se lancer réellement dans une nouvelle histoire.
Pierre, Paul, Jacques… Des personnages aux prénoms passe-partout pour bien illustrer le côté provisoire, transitionnel des relations nouées par une Adèle encore sous l’emprise de sa précédente histoire d’amour. Cela aurait pu être n’importe quel autre homme que ces trois-là, le résultat aurait été le même… Il aurait probablement eu les traits de Mathieu, et de Jérémie Elk… enfin, vous m’avez compris…

Pour bien différencier ses personnages semblables physiquement, la réalisatrice a néanmoins été obligée de leur attribuer des caractères radicalement opposés les uns des autres. Au risque de les stéréotyper ? Un peu, mais cela sert plutôt le film. Les trois protagonistes illustrent des caractéristiques spécifiques de la gent masculine. Ses défauts – immaturité, inconstance, perversité, lâcheté – mais aussi ce qu’elle peut avoir de séduisant (comment ça rien ? On se calme un peu, les féministes…). Pierre lui apporte écoute et réconfort, ainsi que sa présence sécurisante, plus un ami qu’un amant, ou alors un amour platonique. Jacques ne l’attire pas vraiment, mais lui apporte du plaisir sexuellement. Et Paul est tout le contraire, il génère en elle un trouble érotique sans la toucher…
La guérison d’Adèle passera par la confrontation avec ces trois hommes. Elle lui permettra, déjà de se révéler à elle-même en se recentrant sur ses désirs et ses priorités. Puis, après pas mal de péripéties, dont une situation des plus embarrassantes, elle comprendra qu’il lui faut prendre ses distances, partir ailleurs, loin, pour apprendre à canaliser ses sentiments, trop intenses et source de ses malheurs, et à ne plus se laisser embobiner par les hommes.
Un petit tour à New-York, la  « Big Apple », et elle cessera d’être « la reine des pommes »…

Malgré son allure de comédie gentiment loufoque, portée par des situations follement incongrues et des répliques parfois mordantes, La Reine des pommes film traite donc de sujets plus profonds qu’ils n’en ont l’air.
La grande force du film, c’est d’avoir réussi à exprimer de façon subtile, extrêmement légère, le tourbillon d’émotions complexes qui agitent l’héroïne.
Et quand la narration ou le doux visage de Valérie Donzelli ne parviennent plus à restituer l’intensité des sentiments d’Adèle, de courtes mais mémorables séquences chantées, coécrites par la cinéaste et Benjamin Biolay, viennent les y aider. (1)
Le procédé, fort sympathique, évoque les films de Jacques Demy mais rappelle aussi ceux, plus récents de Ducastel & Martineau (Jeanne et le garçon formidable, avec justement, Mathieu Demy) ou de Serge Bozon, (Mods, La France), où les chansons étaient bien plus que de simples ponctuations du récit : des éléments indispensable à l’expression des sentiments.

Ces influences semblent parfaitement assumées par la cinéaste, qui a d’ailleurs offert à Bozon un petit rôle dans le film (il avait également incarné l’un des personnages principaux d’Il fait beau dans la plus belle ville du monde), et remercié Mathieu Demy dans le générique final.
Mais elles ne sont jamais écrasantes ou envahissantes. Valérie Donzelli a indéniablement réalisé une œuvre très personnelle et a fait le film qu’elle voulait faire, pétillant, joyeux et « simple »…

De toute façon, si la cinéaste a pu subir des influences artistiques, elles sont communes à toute une génération de cinéastes nés après « la Nouvelle Vague ». Plusieurs courants du jeune cinéma français qui osent depuis plusieurs années proposer des films différents, originaux, audacieux, décalés, bricolés avec de faibles moyens, mais beaucoup d’énergie et d’envie. Et qui régulièrement, se croisent et collaborent les uns avec les autres.
C’est un peu comme un jeu des sept familles.
Il y a la famille composée de Serge Bozon, donc, et d’Axelle Ropert (La famille Wolberg). Celle de Sandrine Veysset, un peu plus austère, qui avait offert à Valérie Donzelli son premier grand rôle (Martha… Martha). Celle d’Alain Guiraudie, avec qui elle a aussi tourné (Voici venu le temps). Ou celle de Gilles Marchand/Dominik Moll, qui font une brève apparition dans le film…
Ou encore celle d’Antoine Desrosières, producteur dont la société « La vie est belle » avait embauché le jeune Jérémie Elkaïm, lui mettant ainsi le pied à l’étrier, et lui permettant aujourd’hui de livrer une belle performance d’acteur à la puissance 4, avec ce quadruple rôle plein de fantaisie. Par ailleurs, Desrosières fut réalisateur de A la belle étoile, avec Mathieu Demy et Chiara Mastroianni.
Le premier est le fils de Jacques Demy et d’Agnès Varda, qui a dirigé Valérie Donzelli dans un de ses courts-métrages.
La seconde a vécu avec Benjamin Biolay et a tourné sous la direction de Delphine Gleize dans l’excellent Carnages, avec Lio (dont la chanson « La Reine des pommes » a donné son titre au film) et Lucia Sanchez (qui joue ici la voisine espagnole d’Adèle).
Valérie Donzelli elle-même a tourné avec Delphine Gleize dans L’homme qui rêvait d’un enfant. Un film produit par… Jérôme Dopffer et Balthazar films, qui ont également financé La reine des pommes (2)
Ouf ! Finalement, il y a une certaine cohérence à l’œuvre derrière tout cela… Et du talent ! Enormément de talent…

Alors si vous avez envie de voir une comédie sentimentale rafraîchissante, loin des œuvres hollywoodiennes formatées et sans âme, courez-vite en salle voir La Reine des pommes.
Vous serez sans doute agréablement surpris par la poésie, l’humour décalé et le charme désuet de l’ensemble et vous ferez une bonne action en participant à défendre une certaine idée du cinéma : indépendant, libre et audacieux.

(1) : La bande-originale intègre aussi la chanson de Lio qui donne son titre au film, deux beaux morceaux de Gonzales et de Grand Popo football club
(2) : En fait, Valérie Donzelli a bien manoeuvré. Elle a emprunté une caméra à Jérôme Dopffer lui disant qu’elle allait tourner un court-métrage à New-York, lui a demandé de lui payer son billet, et est revenue des Etats-Unis en lui annonçant qu’en fait, ce qu’elle a tourné là-bas n’était que le dernier segment d’un long-métrage. Un peu contraint et forcé, le sympathique producteur n’a pas eu d’autre choix que de financer son film, avec les moyens du bord.

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La Reine des pommes
La Reine des Pommes

Réalisateur : Valérie Donzelli
Avec : Valérie Donzelli, Jérémie Elkaïm, Béatrice de Staël, Lucia Sanchez, Laure Marsac, Vanessa Seward  
Origine : France
Genre : comédie sentimentale décalée
Durée : 1h24
Date de sortie France : 24/02/2010
Note pour ce film : ●●●●○○

contrepoint critique chez : Rob Gordon

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