Un écrivain fauché (Ewan McGregor) est engagé par un éditeur pour servir de « nègre » à l’ancien premier ministre britannique, Adam Lang (Pierce Brosnan) et l’aider à terminer la rédaction de ses mémoires.
En apparence, la tâche semble facile. Un mois de travail tous frais payés sur une petite île à proximité de New-York, où se sont installés le politicien et son staff, quelques questions à poser, quelques passages à remanier pour redonner un peu de passion au récit, et le tour est joué… Mais son arrivée coïncide avec une révélation embarrassante pour l’ancien occupant du 10, Downing Street : Il aurait approuvé, voire ordonné, la torture de citoyens britanniques suspectés d’obédience à Al-Quaïda, dans le cadre de son programme de sécurité anti-terroriste. De ce fait, il se retrouve cité à comparaître par le Tribunal Pénal International, avec le risque d’être accusé de « Crimes contre l’humanité ».
Le coin ne tarde pas à devenir un point de ralliement pour média attirés par le parfum du scandale, manifestants anti-Lang particulièrement remontés et familles des victimes… L’écrivain se retrouve bloqué dans la résidence de son sujet, avec interdiction formelle de sortir le moindre document de la bâtisse… Victime de la paranoïa de ses hôtes.
Mais lui-même pourrait avoir des raisons d’être paranoïaque, car un trouble entoure toujours le décès de son prédécesseur, retrouvé mort noyé. Accident ? Suicide ? Ou… meurtre ?
Avec The Ghost-writer, Roman Polanski renoue avec le thriller, un genre qu’il avait délaissé depuis maintenant dix ans – et la peu mémorable Neuvième porte, et se permet de lui donner une orientation très politique, et très contemporaine.
En effet, cet Adam Lang et sa femme Ruth (Olivia Williams) ressemblent fortement à Tony et Cherie Blair, la fidèle et dévouée secrétaire de Lang, Amelia Bly (Kim Cattrall) évoque Anji Hunter, l’assistante de l’ex premier ministre. Et tous les personnages qui gravitent autour d’eux rappellent qui un ministre britannique, qui un secrétaire d’état américain.
Le contexte lui-même est ancré dans une certaine réalité. Il interroge le rôle du pouvoir britannique dans les différentes crises internationales ayant eu lieu au cours des mandats successifs de l’ancien leader travailliste, et notamment le soutien inconditionnel de Blair à l’administration américaine, y compris à ses décisions les plus douteuses et controversées, parfois contre l’avis de ses partenaires européens : invasion de l’Afghanistan et de l’Irak, prise de mesures de sécurité draconiennes et liberticides au nom de la lutte anti-terroriste, mise en place de la base de Guantanamo,…
Il parle aussi des luttes intestines qui ont miné la fin de règne de Blair, notamment celle qui opposa Blair à Robin Cook, ici personnifiés par Adam Lang et Robert Rycart (Robert Pugh).
Evidemment, il ne s’agit que d’une fiction. The Ghost-writer est l’adaptation d’un roman éponyme (1) de Robert Harris. Cet ancien journaliste pro-Blair, déçu par la politique de l’ex-premier ministre, a décidé de lui régler son compte par le biais d’une histoire inventée mais crédible, et de faire réfléchir le public sur certains détails troublants de l’histoire récente du pays…
Roman Polanski reste assez fidèle à son matériau de base, qui lui permet de traiter plusieurs de ses thèmes de prédilection : la position de l’individu face à la barbarie et la folie – la sienne ou celle des autres – l’ambiguïté morale, la réflexion sur l’usage de la torture, sujet central de La jeune fille et la mort, et surtout les sociétés ou groupuscules souterrains qui régissent le monde en secret, une thématique récurrente, de Rosemary’s baby à Chinatown,…
Si Robert Harris a clairement écrit son roman dans le but de dézinguer Tony Blair, Roman Polanski s’est plutôt intéressé à nous faire pénétrer dans les arcanes du pouvoir, là où une poignée d’individus peu scrupuleux prennent des décisions cruciales pour l’avenir de l’humanité.
S’appuyant sur le talent et la sobriété de jeu d’Ewan McGregor, le cinéaste force le spectateur à s’identifier à ce personnage candide et à plonger en même temps que lui dans cet univers glacé où chausse-trapes, coups fourrés, trahisons et alliances suspectes constituent la règle. L’écrivain un peu naïf, qui pensait que l’engagement politique n’était qu’une question de convictions profondes et de volonté individuelle de changer le monde (2) va découvrir que tout cet univers n’est que manipulations et mensonges. Mais qui manipule qui ? Tel est l’enjeu de ce récit savamment élaboré par Harris et Polanski.
Il faut être patient, car la mise en place de l’intrigue est assez lente. Dans sa première partie, le réalisateur prend tout son temps pour nous présenter les personnages et instaurer des rapports de force entre eux. Même si on ne peut pas dire que l’on s’ennuie, loin de là, certains trouveront sans doute cette construction un peu longuette.
Mais dès que le « nègre » découvre fortuitement les documents accumulés par son prédécesseur, juste avant sa mort, le rythme s’emballe. Le film bascule dans une enquête haletante où plus le héros s’approche de la vérité, plus il met sa vie en danger.
Puisque, comme suggéré par la première partie – d’où son intérêt – chaque personnage possède ses propres zones d’ombre, on ne sait jamais vraiment quels sont les alliés ou les ennemis potentiels de l’écrivain. Du coup, l’ambiance est propice à une paranoïa assez intense et à un suspense que n’aurait certainement pas renié Hitchcock.
C’est d’autant plus remarquable que la tension monte graduellement autour de situations finalement assez anodines. Le héros s’inquiète de petits détails : une discussion avec un inconnu dans un bar, une alarme qui se met à sonner dans la maison, le regard inquisiteur de la domestique, téléphone qui sonne, une promenade en vélo, un périple en voiture où chaque véhicule croisé doit être considéré comme un poursuivant en puissance. A chaque fois la poussée d’adrénaline est garantie. Et à chaque fois ce que l’on croyait menaçant s’avère inoffensif. On en vient presque à se demander si l’écrivain n’est pas victime de sa propre paranoïa, comme on s’interrogeait sur la santé mentale du personnage joué par Mia Farrow dans Rosemary’s baby ou Trelkovsky dans Le locataire.
Le doute perdure jusqu’au dénouement, sec et cruel, véritable série d’uppercuts assénés au spectateur…
Vu le brio narratif déployé, on se dit que l’Ours d’argent de la mise en scène attribué à Polanski par le jury de la dernière Berlinale n’avait rien d’un prix de complaisance…
Certains vont évidemment regretter que Roman Polanski parte d’un sujet politique aussi brûlant pour n’en tirer qu’un « simple » thriller, prétexte à rendre un hommage à certains maîtres, Hitchcock ou Clouzot en tête.
Ils auront tort, car The ghost-writer n’est pas juste un film à suspense, ni un exercice de style narratif brillant, mais vain.
A l’instar des mémoires du politicien, le film de Polanski contient un message crypté, qui tourne essentiellement autour du titre du film.
Pour une fois, il était nécessaire de conserver le titre anglais pour comprendre la subtilité de l’œuvre. « Ghost-writer » est le terme anglais pour désigner un « nègre » littéraire. On peut le traduire littéralement par « écrivain fantôme ».
« Fantôme », un terme qui s’applique parfaitement à McAra, le « nègre » dont on repêche le cadavre dans la première séquence du film et dont la mort mystérieuse continue de jeter une ombre sur l’île et ses occupants. Un terme qui convient bien pour décrire, d’une façon ou d’une autre les Lang et leur entourage.
Adam Lang est plus un fantoche qu’un fantôme, d’ailleurs. Sa carrière politique est à bout de souffle. Il est lâché par ses anciens amis, sous la menace d’un verdict infâmant, et on risque fort de ne retenir de lui que son rôle de faire-valoir à la solde du président américain…
Sa femme porte en elle de nombreuses frustrations. Esprit brillant, elle se destinait elle-aussi à un destin politique mais a accepté de se mettre en retrait pour favoriser l’ascension de son mari.
Elle est depuis restée dans l’ombre, inspirant idées et prises de position, un peu comme un « nègre » politique.
Autre frustration, celle de la secrétaire, Amelia Bly, qui reste reléguée au rang de maîtresse officielle alors qu’elle fait plus que sa part du travail pour protéger le politicien… Un fantôme d’épouse…
Et le fantôme principal est évidemment le personnage joué par Ewan McGregor. Il est le « ghost writer » au sens propre comme au figuré. Pas un réel auteur, mais un gratte papier qui écrit pour d’autres. Un homme de l’ombre, à tel point qu’il n’existe quasiment pas ou plus… Un anonyme. On ne connaîtra d’ailleurs jamais son nom. Lui se présentera toujours comme étant « the ghost » et Lang se contentera de l’appeler « man »…
Et pour cause : cet homme sans nom à qui on est forcé de s’identifier, c’est nous, citoyens des pays occidentaux !
Le parcours de cet homme ordinaire qui se retrouve coincé sur cette île, traqué, observé, et quasiment privé de liberté, symbolise la façon dont les hommes d’état occidentaux ont réussi peu à peu à asseoir définitivement leur pouvoir en manipulant l’opinion, en jouant sur les apparences, en séduisant leur auditoire et en opérant dans l’ombre d’indécents rapprochements avec des intérêts privés et militaires. Le tout orchestré à distance par les dirigeants américains…
Dès lors que l’on intègre ce concept, le film retrouve toute sa dimension politique. Polanski invite les spectateurs à sortir de cette condition de « fantômes » à laquelle semblent vouloir les cantonner les hommes de pouvoir. Il dénonce les conspirations souterraines à l’œuvre non pas pour le bien des citoyens, mais d’une élite qui entretient soigneusement ses privilèges et étend sa domination économique, politique, philosophique, à l’ensemble de la planète.
Le simple thriller cache donc un subtil brûlot sur l’aliénation des peuples et l’impérialisme américain, doublé d’un film pessimiste, presque funèbre, quant à l’avenir de l’humanité soumise à cette dictature silencieuse.
Tentons un peu d’oublier toute la polémique et le cirque médiatique qui entourent « l’affaire Polanski » (3) et concentrons-nous plutôt sur l’art cinématographique. Peu importe ce que l’on pense de Roman Polanski, l’homme. Le cinéaste, lui, est assurément talentueux et The Ghost-writer, œuvre passionnante, riche et subtile, techniquement irréprochable en constitue une preuve éclatante…
(1) : « L’homme de l’ombre » de Robert Harris – éd. Plon
(2) : Toute ressemblance entre l’emploi de l’expression « changer le monde » et le clip publicitaire pour une grosse formation politique française, où l’on voit un célèbre chanteur aveugle en train de brailler au volant d’un 4×4, n’est que fortuite. Ce n’est pas le genre de la maison…
(3) : Roman Polanski a récemment été arrêté en Suisse alors qu’il se rendait à un festival de cinéma. Un mandat d’arrêt international a été demandé par la justice américaine pour une histoire vieille de trente ans. Polanski est accusé d’avoir abusé d’une mineure au cours d’un shooting photographique, à Los Angeles. Un procès avait été entamé à l’époque et un compromis financier avait été trouvé entre la victime et l’accusé. Mais le juge instructeur de l’époque ne l’entendait pas de cette oreille. Dégoûté, Roman Polanski a pris la décision de fuir les Etats-Unis et de se réfugier en France. Il n’a jamais remis les pieds au pays de l’oncle Sam et a réussi à mener sa carrière loin de Hollywood.
Jusqu’à ce que le passé le rattrape… Il est actuellement assigné à résidence en Suisse, dans l’attente de l’examen de sa demande d’extradition vers les Etats-Unis. Pour plus d’informations sur les faits reprochés à Polanski et la parodie de justice qui a entouré l’affaire, voir le joli documentaire de Marina Zenovich : Roman Polanski wanted and desired
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The Ghost-writer
The Ghost-writer
Réalisateur : Roman Polanski
Avec : Ewan McGregor, Pierce Brosnan, Olivia Williams, Kim Cattrall, Timothy Hutton, Tom Wilkinson, Eli Wallach
Origine : France/Royaume-Uni/Allemagne
Genre : thriller politico-paranoïde
Durée : 2h08
Date de sortie France : 03/03/2010
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Chronicart
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