Rome, dans les années 1960…
Guido Contini (Daniel Day-Lewis), réalisateur italien chouchou de la critique et idolâtré par le public, doit débuter à Cinecitta le tournage de son nouveau film, très attendu après quelques échecs cuisants.
Petit problème : alors que décorateurs et costumiers s’activent et le pressent de questions pour savoir ce qu’ils doivent faire, que la vedette annoncée, la plantureuse actrice suédoise Claudia Jenssen (Nicole Kidman), doit débarquer d’un jour à l’autre pour des essais, que les journalistes génèrent le « buzz » autour du film, il n’a pas écrit une seule ligne du scénario ! Rien, le néant, le vide total… Même pas une ébauche de script…
Ses muses s’amusent et ne lui soufflent pas une seule idée valable…
Sans doute Guido met il trop d’énergie à réécrire sa propre vie, à mentir aux autres et à se mentir à lui-même, pour être encore capable d’inventer des histoires pour le cinéma.
Il faut dire que l’homme aime un peu trop les femmes et se retrouve tiraillé entre une épouse qui commence à se lasser de ses infidélités (Marion Cotillard) et une maîtresse qui aimerait sortir de la clandestinité et vivre leur passion au vu et au su de tout le monde (Penelope Cruz). Sans compter toutes ces tentatrices qui gravitent autour de lui : sa star, sa fidèle assistante (Judi Dench), une journaliste américaine (Kate Hudson),…
En pleine crise conjugale, en pleine tourmente amoureuse, en panne d’inspiration, le cinéaste perd pied peu à peu, d’autant qu’il est également assailli par quelques souvenirs d’enfance déstabilisants…
Toute ressemblance avec les films italiens des années 1950/1960, et ceux de Federico Fellini en particulier, n’est absolument pas fortuite…
Au contraire Nine est l’adaptation d’une comédie musicale de Broadway qui s’inspirait directement de la trame de Huit et demi, l’un des chefs d’œuvre du maestro italien.
Le scénario reprend les grandes lignes du script original, et notamment le thème principal des affres de la création artistique, l’angoisse de la toile blanche, mais est surtout prétexte à un hommage appuyé à ce qui fut une époque dorée pour le cinéma transalpin.
On ne sera pas étonné de voir Nicole Kidman tourner autour de la fontaine de Trevi, celle-là même dans laquelle Anita Ekberg se baignait en robe du soir, dans la scène la plus fameuse de La Dolce vita, ou de suivre des gamins courir sur une plage ressemblant à celle de I Vitelloni ou de Amarcord, pour aller assister à la danse provocante d’une prostituée tout droit sortie des Nuits de Cabiria ou du bordel de Roma.
Le film baigne dans une ambiance onirique qui rappelle celle de Juliette des esprits et la confrontation d’un Daniel Day-Lewis, en clone de Fellini et de Marcello Mastroianni, avec cette ribambelle de belles n’est pas sans rappeler La Cité des femmes…
Les cinéphiles s’amuseront à recenser, au détour de chaque plan, les références aux chefs d’œuvre de Fellini et à d’autres œuvres héritées du néoréalisme italien.
Evidemment, il se trouvera toujours des rabat-joie pour effectuer la comparaison entre Nine et son illustre modèle. Et là, il est évident que Huit et demi, tournant créatif majeur de la carrière de Federico Fellini, surclasse en tout point ce qui n’est qu’un « simple » divertissement hollywoodien.
Mais il est un peu facile de taper sur Rob Marshall sous prétexte qu’il n’a pas la carrure du génial maestro italien. C’est un peu comme comparer De Palma à Hitchcock ou Reygadas à Dreyer. Les cinéastes ont chacun leurs qualités, même quand ils s’inspirent de certains de leurs aînés et leur rendent hommage.
Rob Marshall possède un style et des qualités de mise en scène très différents de Fellini, et d’ailleurs il ne cherche à aucun moment à s’aventurer sur les mêmes territoires que le cinéaste italien.
Son truc à lui, c’est la comédie musicale façon Broadway, le divertissement spectaculaire rythmé à l’image de la première scène du film, belle chorégraphie présentant en un même mouvement les enjeux du film et les différents protagonistes – toutes ces femmes qui ont compté dans la vie de Guido, de la figure imposante de la Mamma à l’épouse dévouée…
La seule chose qu’on pourrait lui reprocher ici, c’est d’évoluer un cran en dessous de l’excellent Chicago, hommage, lui, aux mises en scène de Bob Fosse, qui atteignait une sorte de perfection rythmique et scénographique.
Ici le film a tendance à s’essouffler un peu après cette belle entrée en matière. Mais à la décharge du cinéaste, le matériau de base – la pièce de Broadway – était moins entraînant, moins divertissant que Chicago.
Les chansons sont moins marquantes. Les numéros musicaux sont moins techniques, plus statiques, privilégiant l’émotion intime au spectaculaire.
Du coup, le film souffre de quelques longueurs ça et là, et manque un peu de panache à des moments-clés.
Mais attention, on ne peut pas dire que l’on s’ennuie et Nine nous propose malgré tout quelques beaux morceaux de bravoure, comme la superbe chorégraphie illustrant la découverte par le jeune Guido de la sensualité féminine – tempête de sable virevoltant autour de déesses aux formes avantageuses, battements de tambourin représentant le bruit des vagues et les battements de cœur du jeune garçon. Franchement émoustillant…
Tout comme les autres numéros musicaux, où chaque actrice se voit offrir sa grande scène, mettant en valeur sa beauté, sa sensualité ou sa sensibilité.
On croise ainsi Judi Dench en meneuse de cabaret français ou Kate Hudson dans un numéro très « chic » et branché façon « Vogue ».
Un chant mélancolique de Nicole Kidman sur le mal-être de l’actrice.
Une berceuse funèbre de Sophia Loren…
Mais ce sont Marion Cotillard et Penelope Cruz qui ont le plus l’occasion de briller.
La première est touchante en épouse délaissée, effacée derrière le génie bouillonnant de son mari. Sans avoir besoin d’user d’effets de maquillage ou de prothèses, elle évoque immédiatement Giulietta Massina, femme de Fellini et star de ses premiers films, ou Audrey Hepburn, au moment de ses Vacances romaines. Difficile de résister quand elle chante sa douloureuse complainte, les yeux embués de larmes.
La seconde déborde de sensualité torride. Quand elle glisse le long d’un grand rideau de satin rose et qu’elle se livre à de troublantes contorsions sur un sol luisant comme un miroir, l’érotomètre monte sans peine au-delà des normales saisonnières. Caliente !
Nine n’est peut-être pas le chef d’œuvre attendu, mais on apprécie malgré tout la promenade dans ce Rome de carton-pâte, surtout en aussi charmante compagnie… Elle donne envie de visiter la cité italienne et invite à se replonger dans les œuvres de Fellini. Et si le film de Rob Marshall, par son côté léger et ludique, permettait aux plus jeunes des cinéphiles de découvrir un auteur majeur de l’histoire du cinéma ? Ce serait le plus beaux des hommages…
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Nine
Nine
Réalisateur : Rob Marshall
Avec : Daniel Day-Lewis, Penelope Cruz, Marion Cotillard, Nicole Kidman, Judi Dench, Kate Hudson
Origine : Etats-Unis
Genre : hommage musical façon Broadway à Cinecitta
Durée : 1h58
Date de sortie France : 03/03/2010
Note pour ce film : ●●●●○○ (et demi…)
contrepoint critique chez : Le Monde
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