Un ancien premier ministre britannique contraint de rester aux Etats-Unis pour ne pas être emprisonné, cela ne vous rappelle rien ? C’est exactement la situation inverse que vit actuellement Roman Polanski, exilé en Suisse afin d’échapper à la justice américaine. Le parallèle est plus que troublant et témoigne d’une ironie acide qui parcourt The Ghost Writer. Un film éminemment polanskien car il ressasse des thèmes qui ont toujours obsédé le cinéaste : l’enfermement, les faux-semblants, la manipulation.
Un « nègre » (Ewan McGregor) est appelé pour écrire les mémoires d’Adam Lang (Pierce Brosnan) qui a quitté le 10 Downing Street et vit bunkerisé sur une île de la côte est des Etats-Unis. L’écrivain doit remplacer le nègre précédent, mort mystérieusement. Il va surtout apprendre que son « modèle » est directement impliqué dans la torture de quatre terroristes, sous l’oeil avisé de la CIA.
Polanski, après deux films historiques (Le Pianiste et Oliver Twist) souhaitait revenir au thriller. Il a fait appel à Robert Harris en adaptant son roman L’homme de l »ombre qui brosse un portrait sans concession d’une figurante ressemblant trait pour trait à Tony Blair. Mais la réalité politique n’intéresse pas vraiment Polanski et il préfère la maquiller en un suspense retors et savoureux. Ewan McGregor, remarquable de fausse naïveté, va constamment s’interroger sur l’identité de cet ancien premier ministre : s’agit-il d’un vulgaire comédien qui a réussit à amadouer les foules ou un homme manipulé par une puissance secrète ? Pour démêler les fils de l’intrigue, Polanski choisit de concentrer son action dans une immense maison perdue sur une île battue par les vents déchaînés et la pluie continue. Un décor qui confine à l’abstraction, l’immensité du lieu accentuant davantage la claustration du héros et qui n’est pas sans rappeler certains films du cinéaste (La jeune fille et la mort, notamment).
Autant Scorsese vient récemment d’user des pires effets pour arriver à ses fins, autant Polanski nous offre une vraie leçon de mise en scène. Le cadrage, le montage, la direction d’acteurs concourent à rendre cette atmosphère brumeuse et délectable. Deux séquences résument à elles seules le talent du cinéaste : une visite chez un ancien ami de Lang où l’angoisse se distille dès le premier regard et la longue révélation finale, un modèle absolu d’élégance et d’efficacité.
Le sens du détail, propre au réalisateur de Rosemary’s baby, fait encore merveille et révèle un humour féroce. Polanski semble avoir un regard détaché sur ses personnages perdus dans les méandres de la politique fiction, en témoignent le jeu de dupes entre Lang et son « ghost writer » ainsi que la rivalité diffuse entre la femme du premier ministre et son assistante.
On peut voir le film d’abord pour ce qu’il est, à savoir un très bon thriller car le cinéaste pense avant tout à divertir son public mais il suggère d’autres grilles de lecture qui montrent à nouveau le pessimisme de Polanski sur nos institutions et sur la recherche de la vérité qui conduit irrémédiablement à notre perte.
Qu’un cinéaste face aussi pleinement confiance à son art est réjouissant, en ces temps de surlignage généralisé. Certains parleront de « film à l’ancienne », évoquons plutôt le classicisme majestueux d’un réalisateur qui a marqué durablement nos rétines pendant plus de quarante ans et qui arrive encore à nous embarquer pour notre plus grand plaisir. Courez-y !