Vous vous souvenez de ce sketch de Coluche où l’humoriste parlait de la création de l’humanité ? :
« Dieu a dit : il y aura des hommes blancs, il y aura des hommes noirs, il y aura des hommes grands, il y aura des hommes petits, il y aura des hommes beaux et il y aura des hommes moches, et tous seront égaux ; mais ça sera pas facile… Et puis il a ajouté : il y en aura même qui seront noirs, petits et moches et pour eux, ce sera très dur ! »
Eh bien, pour l’héroïne de Precious, le film de Lee Daniels, c’est encore pire ! Clareece Precious Jones est une adolescente noire, pauvre, habitant un quartier coupe-gorge de Harlem. Elle est obèse et assez disgracieuse, avec son visage fermé, au sourire rare. Il faut dire que sa vie n’est guère réjouissante. Une Cosette moderne, puissance dix…
Dès qu’elle quitte les bancs de l’école, où elle côtoie un ramassis de cancres encore plus illettrés qu’elle, Clareece doit servir d’esclave et de souffre-douleur à sa mère, un dragon alcoolique qui ne fait rien de ses journées et trompe l’ennui en lui hurlant dessus, quand elle ne la bat pas… Le père, lui, est très fréquemment absent, sans doute occupé à se droguer dans les bas-fonds de la ville, mais ce n’est pas plus mal… Car quand il revient à la maison, c’est pour abuser sexuellement de sa fille.
Conséquences de ces viols incestueux : à seize ans, Clareece est déjà mère d’une petite fille – trisomique, pour bien compliquer la situation – et est de nouveau enceinte… Et du coup, elle se fait virer de l’école, qui la renvoie vers une assistante sociale…
Tous les ingrédients sont réunis pour donner un mélodrame sordide, misérabiliste et larmoyant. Euh… Non merci, sans façon…
Mais l’histoire raconte justement comment la jeune fille va s’en sortir, en ayant la chance d’être admise dans une école spécialisée qui aide les élèves les moins analphabètes à progresser et à obtenir des diplômes qui les aideront à s’élever socialement.
C’est par l’expression écrite que Precious réussira finalement à se libérer de ses enclaves, en révélant déjà les brimades dont elle a été victime, en prenant ainsi conscience qu’il lui faut quitter cet environnement néfaste, et en poursuivant ses études pour se garantir un avenir meilleur…
Precious se veut donc un film optimiste et lumineux. Mais comme les bons sentiments mènent souvent à la mièvrerie et au mélo sirupeux, il y a de quoi, là aussi, rester méfiant…
Cette adaptation du roman « Push », de la poétesse américaine Sapphire (1), était une entreprise assez piégeuse, cumulant le risque d’en faire trop dans la noirceur crasse ou dans l’optimisme béat.
A l’arrivée, force est de constater que ces écueils sont en partie évités.
Le mérite en revient essentiellement aux acteurs principaux, assez justes et attachants.
Il y a d’abord, dans le rôle-titre, la belle performance de la jeune Gabourey Sidibe. Elle incarne avec conviction cette montagne de souffrance et de peurs, dont les rêves sont étouffés par un environnement violent, cauchemardesque, mais qui possède en elle une farouche volonté de s’en sortir, d’apprendre et d’évoluer.
Le visage de l’actrice reste fermé, pour mieux contenir les torrents d’émotions contradictoires qui parcourent son personnage et les faire passer par les regards, graves et désespérés, honteux et perdus, ou empli de colère et d’envie de révolte.
Face à elle, il y a la mère, boule de haine et de frustrations. Une créature en mal d’amour qui a perdu tous ses repères et sa dignité, qui se déteste et manifeste ce dégoût d’elle-même en battant sa fille ou en la soumettant psychologiquement.
La comédienne Mo’Nique réussit la gageure de montrer tous ses aspects les plus vils sans la rendre complètement détestable, lui redonnant même une certaine vulnérabilité in fine, un côté touchant.
Sa performance lui a valu assez logiquement l’oscar du meilleur second rôle féminin.
Paula Patton, sobre et juste, hérite du rôle de l’enseignante qui va permettre à Precious de se libérer, un personnage qui s’inspire de Sapphire elle-même. Ce sont en effet les souvenirs de ses années passées à enseigner dans une structure spécialisée, à New-York, qui ont servi de base à l’écrivain pour rédiger son roman, fortement teinté de réalisme, donc…
Enfin, petit miracle : Lee Daniels réussit même à faire jouer à peu près correctement Mariah Carey, dont on pensait, après le calamiteux Glitter, qu’elle avait renoncé à ses velléités dramatiques.
Mais s’il s’avère un bon directeur d’acteurs, le cinéaste s’avère moins inspiré au niveau de sa mise en scène.
Precious est un film encombré de tics de réalisation assez dommageables, à commencer par la représentation des séquences de viol – images saccadées et couleurs baveuses – et surtout des séquences de rêve par lesquelles Precious arrive à s’évader de cet enfer. Elle s’imagine devenir une star adulée, défiler sur un tapis rouge entourée de paparazzi et de fans en délire. Dieu que c’est kitsch et de mauvais goût !
Le reste de la mise en scène accumule les erreurs – cadrages foireux, mouvements de caméra hasardeux, et ambiance générale jouant trop sur les clichés de mise en scène du ciné indépendant américain pour convaincre.
On comprend que, pour son premier long-métrage en tant que cinéaste (2), Daniels ait voulu se faire remarquer et briller par une mise en scène clinquante, mais cela plombe singulièrement un film qui aurait mérité au contraire beaucoup de sobriété et de finesse. Il aurait fallu suggérer plutôt que montrer (même si Daniels a la décence de laisser hors champ les séquences les plus âpres), économiser les effets pour que l’émotion ressentie soit amplifiée…
Cette mise en scène criarde est l’ultime outrage infligé à un personnage qui n’avait pas vraiment besoin de cela, tant les malheurs s’abattent sur elle avec une régularité consternante.
Dommage, car, avec son thème central – l’émancipation par l’écriture et l’éducation – la force de ses personnages et les sujets traités – les conditions de vie dans les ghettos, l’état du système scolaire américain, l’inceste… – il y avait de quoi faire une œuvre magnifique.
Precious est juste un mélodrame assez banal mais efficace, qui cherche inutilement à forcer l’émotion. Sauf pour le jeu des actrices du film, mieux vaut probablement lire le roman de Sapphire, dont tous les critiques littéraires chantent les louanges…
(1) : « Push » de Sapphire – éd. Points (réédité sous le titre « Precious »)
(2) : Lee Daniels est avant tout producteur. On lui doit surtout The woodsman et A l’ombre de la haine.
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Precious : based on Push by Sapphire
Réalisateur : Lee Daniels
Avec : Gabourey Sidibe, Mo’Nique, Paula Patton, Mariah Carey, Lenny Kravitz, Angelic Zambrana
Origine : Etats-Unis
Genre : noir c’est noir
Durée : 1h49
Date de sortie France : 03/03/2010
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Filmosphère
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