“Le Guerrier silencieux, Valhalla rising” de Nicolas Winding Refn

Par Boustoune

Après Pusher, série de films noirs très bruts et ultra-réalistes, Nicolas Winding Refn a été comparé à Martin Scorsese ou Brian De Palma…
Après Inside Job, thriller psychanalytique tourmenté et bizarre, on l’a comparé à David Lynch ou Darren Aronofsky…
Après Bronson, film carcéral à la violence esthétisante, c’est l’ombre de Stanley Kubrick qui a été évoquée…
Son nouveau film, Le guerrier silencieux – Valhalla rising ne manquera pas d’attirer l’attention sur les inspirations du cinéaste. Ici, Stanley Kubrick – encore ! – Werner Herzog, Andreï Tarkovski ou Carl Dreyer…
Ombres écrasantes qui risquent de faire passer le jeune cinéaste danois pour un faiseur habile, mais peu original, obligé de puiser l’inspiration dans les films de ses maîtres…
Et pourtant, Nicolas Winding Refn, de film en film, s’affirme comme un auteur à part entière, poursuivant une thématique assez nette autour de la violence – ses causes et ses conséquences – et de l’idée d’une rédemption purificatrice, et expérimentant des voies narratives tendant de plus en plus vers l’épure.

 

Le guerrier silencieux – Valhalla rising débute comme un film d’action et d’aventures assez classique, si l’on fait abstraction de l’ambiance froide et mortifère qui suinte des images – beau travail du chef opérateur Morten Søborg :
Nous sommes en Scandinavie, en l’an mille après Jésus-Christ. Le christianisme prend peu à peu le pas sur les anciennes croyances païennes. Dans ce contexte de changements radicaux de la société viking, les seigneurs des différents clans testent leur influence en faisant s’affronter leurs plus féroces guerriers dans des combats à mort. « One-eye », un borgne mutique au corps bardé de cicatrices, est depuis longtemps esclave d’un de ces chefs de clan. Son espace vital se résume à la cage où il est maintenu enchaîné, et il n’en sort que pour lutter pour sa propre survie, contre les assauts d’autres guerriers… Un jour, il parvient à s’échapper, et entraîne dans sa fuite le jeune Are. Ils tombent sur un groupe de croisés chrétiens qui s’apprête à voguer vers Jérusalem et embarquent avec eux…

A partir de ce moment-là, le film bascule définitivement dans une sorte de trip mystique et métaphysique, extrêmement lent et contemplatif, à la parole rare – le film est presque aussi silencieux que son personnage principal – et quasiment dénué d’action.
Ceux qui attendaient un film de vikings truffé de combats épiques, d’aventures trépidantes et de bagarres violentes, quitteront probablement la salle en pestant contre le film et son cinéaste, s’estimant floués sur la marchandise. Les autres se laisseront littéralement mener en bateau – en drakkar, plus exactement, pour un voyage à la fois très linéaire et tortueux. L’embarcation se retrouve bientôt égarée dans un épais brouillard, et ses passagers se sentent eux-aussi complètement perdus. Leur foi vacille et ils se laissent gagner par les superstitions. L’angoisse conduit peu à peu les hommes à la folie, qui se manifeste par des éclats de violence. Mais One eye veille et protège l’enfant vaille que vaille. 

 

Cette partie est sans doute la plus forte du film. Winding Refn réussit à créer une tension aussi palpable que cette brume qui entoure les personnages, tout en privilégiant la beauté hypnotique des images, qui fait basculer le film dans une tout autre dimension, plus métaphysique. On se prend à s’interroger sur le personnage de One-eye. Est-il une sorte de passeur emmenant les âmes damnées en enfer ? Un messie conduisant les hommes vers une forme de spiritualité ? Un Dieu viking (il est borgne comme Odin…) ? Ou un simple guerrier devant affronter une ultime épreuve avant d’atteindre le Valhalla, le Paradis des guerriers vikings ?
Ne comptez pas sur lui pour vous donner la réponse, il restera, comme le titre l’indique, totalement silencieux. C’est au spectateur de faire l’effort d’explorer les différentes pistes d’analyse offertes par le film.

Il est évident que d’une façon ou d’une autre, symbolique ou réelle, il s’agit d’une descente aux enfers. Et l’impression se prolongera dans les derniers chapitres, quand le groupe débarque sur une terre inconnue (le Canada, probablement) et voit ses membres se faire décimer un à un par un ennemi invisible.
Les protagonistes sont engagés dans un voyage sans retour pendant lequel leurs certitudes et leurs valeurs morales vont voler en éclat. On peut voir cette épreuve comme un passage par le purgatoire – pour les croisés chrétiens – ou l’ultime façon de prouver sa bravoure, en protégeant l’enfant au péril de sa propre vie, et espérer gagner le Vallhalla – pour One eye…

La dimension mystique de l’œuvre est indéniable. Elle montre des êtres humains désemparés face à l’inconnu ou à l’immensité de la nature, dérisoires face à la puissance divine, et ce, quelle que soit la ou les divinités concernées.
Malgré son apparente simplicité, le film fait preuve d’une grande richesse thématique, traitant de la violence et du châtiment, de la morale, de la foi, de la barbarie des hommes, de l’opposition entre nature et la civilisation.
Le cinéaste aborde aussi un thème qui lui est cher, celui de l’emprisonnement. Physique, social, et surtout mental…
Comme dans ses précédents films, il met en scène un homme tentant d’échapper à sa condition, à sa propre violence. Sans doute le cinéaste se projette-t-il dans ses personnages, manifestant le désir de trouver sa propre voie, d’échapper au conformisme, aux règles établies, aux codes narratifs en vigueur… Au risque de connaître une mort artistique violente.

On peut admirer cette volonté farouche de sortir de la norme, ainsi que la tentative de proposer un cinéma « différent », plus sensoriel, mais nombreux seront les spectateurs, même parmi les plus endurants, qui lâcheront prise en cours de route.
Le problème, c’est que Le guerrier silencieux – Valhalla rising, souffre d’une sérieuse baisse de régime dans sa dernière partie, vraiment interminable.
Dès lors que les croisés accostent en terre inconnue, le rythme déjà très contemplatif, chute encore d’un bon cran, et il faut vraiment s’accrocher pour ne pas sombrer dans le sommeil, hypnotisé par les images et la bande-son.
Et il faut s’armer de patience pour parvenir jusqu’à une conclusion finalement assez prévisible, qui, si le cinéaste ne laissait pas au spectateur une certaine liberté d’interprétation au spectateur, s’avérerait assez décevante.

A cause de son rythme lénifiant, Le guerrier silencieux – Valhalla rising finit par susciter l’ennui alors qu’il souhaitait fasciner. Dommage, car il portait suffisamment d’atouts pour déboucher sur un petit chef d’œuvre, à commencer par ses partis pris de mise en scène forts et des acteurs convaincants, Mads Mikkelsen en tête. Dans ce rôle difficile, physique et silencieux, l’acteur danois fait preuve d’une belle présence. Il force notre identification à ce personnage barbare et mystérieux et nous entraîne ainsi dans le trip cauchemardesque conçu par Nicolas Winding Refn.

Alors voyage au bout de la nuit ou au bout de l’ennui? De notre point de vue, un peu des deux… A vous de voir si vous voulez tenter cette expérience cinématographique hors normes, qui ne ressemble à rien de connu, si ce n’est éventuellement, et dans un registre très différent, au Vinyan de Fabrice du Weltz…

On peut penser ce que l’on veut du film de Nicolas Winding Refn, l’adorer ou le détester. Ce qui importe, c’est qu’avec Le guerrier silencieux – Valhalla rising, il confirme des ambitions artistiques fortes et des choix de carrière qui ne cèdent pas à la facilité. Et rien que pour cela, le cinéaste danois mérite mieux que sa réputation d’élève appliqué mais sans génie que d’aucuns s’ingénient à lui coller.
Il s’agit assurément d’un auteur à suivre, promis au Valhalla des réalisateurs…

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Le Guerrier silencieux, Valhalla rising
Valhalla rising

Réalisateur : Nicolas Winding Refn
Avec : Mads Mikkelsen, Gary Lewis, Maarten Steven, Jamie Sives, Alexander Morton
Origine : Danemark, Royaume-Uni
Genre : trip sensoriel viking
Durée : 1h30
Date de sortie France : 10/03/2010

Note pour ce film : ●●●○○○

contrepoint critique chez : Laterna Magica

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