L’Italie des années 1960/1970 a été marquée par des troubles politiques importants. Après des années de dictature fasciste, et la défaite de la seconde guerre mondiale ayant mis le pays en situation de difficulté économique, des mouvements populaires se sont fait jour un peu partout, avec l’espoir de changer la société. Point culminant de cette mobilisation, la fin des années 1960 et les mouvements hostiles à l’impérialisme américain et à la guerre menée au Vietnam, avec une poussée des forces de gauche, des grèves ouvrières et des manifestations étudiantes.
La plupart de ces mouvements étaient pacifistes, mais face à la répression violente du pouvoir, certaines factions se sont radicalisées et ont opté pour la lutte armée. Ce qui a donné naissance aux Brigades Rouges et au climat de terreur des « années de plomb ».
Depuis quelques années, les cinéastes italiens se penchent sur cette page douloureuse de l’histoire de leur pays. Il en a résulté de beaux films, comme Buongiorno, Notte de Marco Bellocchio, La seconda volta de Mimmo Calopresti, Nos meilleures années de Marco Tulio Giordana ou Mon frère est fils unique de Daniele Luchetti.
Dans Le Rêve italien, c’est au tour de Michele Placido de revenir sur cette période charnière pour la défense des idéaux de gauche. Il le fait à sa façon, avec une oeuvre de facture très classique et aux accents mélodramatiques, qui mêle le destin d’une famille « ordinaire » à la reconstitution du mai 1968 de la jeunesse italienne et la révolte estudiantine contre un pouvoir politique archaïque :
Laura, Giulio et Andrea, frères et soeur, sont issus d’un milieu petit-bourgeois traditionnel, mais ne se reconnaissent pas dans l’ordre établi.
D’élève sérieuse, promise à une carrière respectable, Laura (Jasmine Trinca, bellissima !) passe au statut d’activiste rouge quand elle constate la discrimination dont sont frappés certains de ses camarades les plus démunis, qui sont obligés de travailler en dehors pour financer leurs études.
Elle franchit le pas d’autant plus facilement qu’elle est attirée par le beau et charismatique Libero (Luca Argentero), l’un des leaders des syndicats étudiants. Mais le jeune homme, d’un naturel volage, accumule les conquêtes et cela compromet singulièrement les chances d’établir avec lui une relation amoureuse durable.
Frustrée, elle se console dans les bras de Nicola (Riccardo Scamarcio), un nouveau camarade qui se lance lui aussi dans la lutte politique. Elle ignore que le jeune homme est un policier infiltré envoyé là pour espionner leurs faits et gestes… La déception sera cruelle…
Mais Nicola est réellement tombé amoureux d’elle, et il s’est peu à peu laissé gagner par les idéaux défendus par les mouvements de gauche. De toute façon, son rêve est de quitter la police pour intégrer le conservatoire d’art dramatique, devenir acteur. Et pouvoir lire les textes de Brecht ou Camus sans être regardé de travers par ses supérieurs – ces auteurs communistes, quelle horreur !
Cette relation complexe, voire impossible, entre les deux jeunes amants donne à Michele Placido l’opportunité de réfléchir à l’opposition entre vie privée et vie militante, aux sacrifices personnels que demande la concrétisation de ses rêves…
Certains lui reprocheront sans doute de profiter d’un effet de mode, de surfer sur le thème des idéaux soixante-huitards et du militantisme. D’autres regretteront le côté mélodramatique appuyé de son œuvre.
Tous auront tort. Ils peuvent certes reprocher au cinéaste un certain classicisme, autant dans le choix du sujet que de la mise en scène, mais aucunement remettre en question la sincérité de ses intentions.
Déjà parce que Michele Placido a souvent, par le passé, exploré l’histoire de son pays par le prisme de la fiction. C’était le cas notamment dans son très bon Romanzo Criminale, qui retraçait le parcours d’un petit groupe d’amis en le mêlant, en toile de fond, à l’itinéraire sanglant des Brigades rouges.
Ce mélange de fiction et de réalisme, de petite et de grande histoire, c’est totalement son style et Le Rêve italien s’inscrit dans la continuité de son œuvre.
Ensuite parce que l’histoire présentée ici est celle du cinéaste lui-même !
Michele Placido a bien été policier, au milieu des années 1960, avant de s’intéresser au théâtre, puis au cinéma et de changer radicalement de voie – et de vie. Ecoeuré par la répression qu’on lui demandait d’exercer contre des pacifistes et des jeunes utopistes désireux de changer le monde, il s’est laissé convaincre par les idéaux révolutionnaires.
Sans doute la romance entre Nicola et Laura repose-t-elle sur des souvenirs personnels, des blessures sentimentales bien réelles. Et lui laisse un goût d’inachevé, voire un sentiment de culpabilité.
Depuis, le cinéaste tente de racheter ses fautes en livrant des œuvres subtilement engagées et populaires. Il est resté fidèle à ses idéaux alors que, dans le même temps, bien des militants ont baissé les bras.
Le Grand rêve (Il grande sogno, titre original du film) – celui de la jeunesse italienne et de millions d’hommes et de femmes de gauche à travers le monde, a tourné au cauchemar capitaliste.
L’ultralibéralisme s’est peu à peu imposé comme modèle économique dominant, accroissant le fossé entre bourgeoisie et prolétariat.
Dans le même temps, le système communiste s’est effondré, victime évidemment de l’image désastreuse renvoyée par les régimes dictatoriaux et liberticides des anciens satellites de l’URSS, de la Chine et de certains états africains ou sud-américains, mais également victime de la répression violente de tous les mouvements véhiculant ces idées et de la façon avec laquelle le pouvoir financier a contraint bien des militants à abandonner leur idéaux et « rentrer dans le rang » pour pouvoir vivre, tout simplement…
Le film rend hommage à ceux qui se sont battus pour faire bouger les choses, qui se sont mis en danger pour faire triompher leurs idées, qui ont dû accepter de s’exiler – Libero évoque vaguement la figure de Cesare Battisti – mais il ne les glorifie pas. Au contraire, il semble critiquer d’une certaine façon leur aveuglement, leur volonté de changement radical, sans aucun compromis.
Michele Placido aime à cultiver le paradoxe. Il évoque avec nostalgie cet âge d’or du militantisme, aujourd’hui désespérément révolu, mais ne semble pas inciter la jeunesse à retrouver cette flamme qui animait les leaders d’antan, prônant au contraire la modération. Il déplore la perte des repères de la gauche italienne, mais n’hésite pas à faire financer son film par une entreprise appartenant à… Silvio Berlusconi. (Forcément, ça fait tache pour un film sur des gauchistes/anarchistes…).
On touche là aux seuls vrais défauts du film : la tiédeur de son message, l’absence d’un point de vue tranché sur les événements et de mise en perspective par rapport à la société italienne contemporaine, et une volonté un peu trop manifeste de plaire au plus grand nombre…
Mais là encore, il convient de prendre Le Rêve italien pour ce qu’il est : un « petit » film autobiographique plutôt qu’un pamphlet politique… Pas un chef d’œuvre, loin de là, mais un film classiquement réalisé et reposant surtout sur le charme de son trio d’acteurs. En guise de rêve, on a Jasmine Trinca, pour les hommes, et Riccardo Scamarcio, pour les femmes. C’est mieux que rien…
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Le Rêve italien
Il grande sogno
Réalisateur : Michele Placido
Avec : Jasmine Trinca, Riccardo Scamarcio, Luca Argentero, Laura Morante, Marco Iermano
Origine : Italie
Genre : chronique autobiographique sur fond historique
Durée : 1h41
Date de sortie France : 10/03/2010
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Les Inrockuptibles _________________________________________________________________________________________________________________________________________