La « Soul kitchen » kézaco ? Un mange-disque des années 1970 ? Le titre du livre de recettes du Docteur Faust ? La dernière collection printemps/été des designers de cuisine et salles de bain ?
Perdu : « Soul kitchen » est le nom du restaurant qu’a installé Zinos, un jeune allemand d’origine grecque, dans une gare désaffectée à la périphérie de Hambourg. C’est donc un restaurant hamburger, oups, pardon, hambourgeois en français…
Cela dit le symbole de la malbouffe convient bien au lieu, qui tient plus de la gargote infâme que du temple de la haute gastronomie… On y sert des plats aussi appétissants que ceux proposés par les restaus U ou la cantine des armées, cramés et baignant dans le gras. Beurk ! Mais comme la clientèle de fidèles ne trouve rien à y redire, Zinos n’a aucune raison de changer une formule qui fonctionne…
Mais une série d’événements va bouleverser l’ordre établi…
Tout commence quand le lave-vaisselle du restaurant tombe en panne. Ah ! Il faut se méfier des lave-vaisselle ! Il n’y a pas plus sournois qu’un lave-vaisselle… Quand on essaie de le porter seul, à bout de bras, on peut s’attendre à ce qu’il résiste, le bougre ! Zinos, naïvement, tente l’expérience et se retrouve avec les lombaires bloquées. Diagnostic : hernie discale…
Interdiction formelle de continuer à s’activer dans sa cuisine, sous peine de se retrouver complètement paralysé. Et comme Zinos ne bénéficie pas de la sécurité sociale et encore moins d’une mutuelle, difficile pour lui d’envisager les traitements, ou l’opération, qui pourraient le soulager.
Seule solution : fermer le restaurant un moment, en attendant de retrouver un peu de mobilité grâce aux soins prodigués par sa kiné, et se laisser dorloter par sa fiancée, la blonde Nadine…
Mais les choses ne sont pas aussi simples : Nadine tient à partir en Chine, où elle a une opportunité de carrière. Le fisc entre en scène pour demander à Zinos de régler rapidement certains impayés. Et le sevice d’hygiène demande à ce que l’établissement soit remis aux normes sanitaires. Cadeau fait par Neumann, un de ses camarades d’enfance, devenu un promoteur immobilier véreux et sans scrupules, qui convoite en secret le terrain pour y implanter un complexe de bureaux de luxe…
Dès lors, le jeune homme ne peut pas se permettre de fermer boutique. Il lui faut engager du personnel pour pallier à son handicap.
Et justement, ô comme le hasard fait bien les choses, il rencontre Shayn, un cuisinier génial, mais colérique, dont le couteau peut faire des merveilles de ciselages de petits légumes et de filets de viande, mais peut aussi bien être lancé contre le client qui oserait lui faire l’affront de critiquer son art culinaire. Engagé !
Et Ilias, son frère taulard vient lui demander un emploi, ce qui lui garantirait un régime de semi-liberté… Engagé aussi ! Pour celui-ci, le travail n’est absolument pas une chose naturelle, mais l’intérêt qu’il porte à Lucia, la jolie serveuse qui aime à finir les verres d’alcool abandonnés par les clients – faut pas gâcher… – pourrait bien changer la donne…
Au début, cet attelage ne s’avère guère convaincant. Le service laisse à désirer. Les clients fidèles boudent la cuisine inventive proposée par le chef, qui s’empresse de faire fuir ces barbares incultes.
Pour gagner un peu d’argent malgré tout, Zinos autorise à un groupe de rock local de venir répéter dans la salle.
Et là, miracle : les fans du groupe investissent assez massivement les lieux. Au bout d’un moment, ils ont soif… Puis faim… Ils découvrent les subtilités gustatives proposées par le chef et en redemandent. Le concept gastronomie+musique donne des idées à Ilias, qui se découvre une vocation de DJ…
La « Soul Kitchen » devient un endroit incontournable pour la jeunesse branchée de Hambourg. Un lieu magique où il est possible de se régaler les papilles et les oreilles en même temps.
Seul le sournois Neuman peut encore menacer cette belle success-story…
Après deux drames remarqués, le film « coup de poing » Head-On et le bouleversant De l’autre côté, primé à Cannes, Fatih Akin change radicalement de registre en s’essayant avec Soul kitchen, son nouveau long-métrage.
Il s’agit d’une comédie assez simple, aux rebondissements très fortement prévisibles, mais intelligemment amenés et portés par un tempo aussi entraînant que la bande originale du film, pot-pourri de beaux morceaux de soul music ( Kool & the gang, Quincy Jones, Louis Armstrong, Ruth Brown, Syl Johnson,… Il manque juste le « Ain’t got no – I got life » de Nina Simone pour envoyer notre PaKa au septième ciel…) (1)
C’est un parfait « feelgood movie » (2) qui tient aussi sur ses personnages truculents, joués par de très charismatiques acteurs. Si Adam Bousdoukos (3) et Moritz Bleibtreu sont excellents dans les rôles respectifs de Zinos, le doux rêveur halluciné, et d’Ilias, le glandeur/flambeur/braqueur, si la féline Pheline Roggan est convaincante en garce égocentrique, si Anna Bederke fait preuve d’une intensité très rock’n roll, on avoue un petit faible pour le cuistot lanceur de couteaux (Birol Ünel, dur à cuire) et pour la belle kiné turque (Dorka Gryllus, appétissante…) dont les massages ont de euh… solides effets secondaires…
Certains trouveront sans doute cela trop léger, déploreront le manque de fond de l’ensemble. Mais que l’on ne s’y trompe pas : derrière ces atours comiques, Soul kitchen est un film plus engagé qu’il n’y paraît.
Déjà, Fatih Akin, fier de ses racines turques, persiste et signe dans sa représentation des communautés étrangères évoluant en Allemagne, loin de tout stéréotype. Ici –surprise – il ne parle pas de sa propre communauté mais pose sa caméra au sein d’une petite communauté d’origine grecque, la sœur ennemie. Allemands de souche ou d’origine grecque, turque et autres se côtoient. On y trouve même un chinois égaré…
Une subtile façon d’abolir les frontières, de prôner la mixité des cultures et d’en appeler à la fraternité pour que son « chez soi » ne soit pas uniquement une nation ou une ville, mais un lieu où l’on se sente bien, comme ce microcosme que représente le petit restaurant…
Ensuite, Soul kitchen est un film utopiste où les petits travailleurs méritants triomphent du capitalisme sauvage, incarné par le promoteur véreux, où la débrouillardise se joue de la crise économique, où le charme de l’architecture ancienne – ce hall de gare lumineux transformé en restau chic – résiste au bétonnage massif qui a défiguré la ville de Hambourg, où la cuisine raffinée supplante la malbouffe y compris dans les quartiers populaires.
Bref, même s’il ne s’agit que de cinéma, ça fait du bien de rêver un peu devant cette histoire résolument optimiste.
La tambouille cinématographique de Fatih Akin n’est peut-être pas au niveau des grands chefs les plus toqués du septième art, mais elle n’est ni lourde, ni indigeste, et reste malgré tout de bonne qualité.
Soul kitchen est une nourriture pour l’âme et pour l’esprit, un régal pour les yeux et les oreilles, une douceur qui fait du bien au moral…
On sort de la projection rassasié et heureux, comme après un bon repas… Et quand bien même on n’appréciait pas les mets proposés, l’ambiance régnant dans ce sympathique restaurant devrait permettre de passer un très agréable moment.
A voir, donc…
(1) : “Soul Kitchen – bande originale du film” – divers artistes – Label : Jade
(2) : “feel good movie” : film qui procure du bien-être
(3) : Le rôle convient parfaitement à Adam Bousdoukos. D’une part parce que l’acteur a joué dans une autre comédie “culinaire” en 2006, Kebab Connection. D’autre part car il a tenu un restaurant à Hambourg, “La Taverna”, assez similaire à la “Soul Kitchen”.
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Soul kitchen
Réalisateur : Fatih Akin
Avec : Adam Bousdoukos, Moritz Bleibtreu, Pheline Roggan, Anna Bederke, Birol Ünel, Dorka Gryllus
Origine : Allemagne
Genre : Feelgood movie
Durée : 1h39
Date de sortie France : 17/03/2010
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Les Inrockuptibles
(ben oui, encore eux… ils sont fatigants, non?)
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