Une famille en apparence ordinaire vaque à des occupations ordinaires. Ils semblent étrangers, slaves sans doute, et vivent dans un pays étranger. Le père paraît anxieux, inquiet d’être surveillé ou suivi… Par exemple par cette voiture qui semble l’avoir pris en filature depuis le parking du supermarché… La suite lui donne raison : il est brutalement tiré de son sommeil par des hommes armés…
Une victime ? Pas vraiment… Plutôt un bourreau.
Il s’agit de Goran Duric, un officier de l’armée serbe soupçonné d’avoir ordonné et commis lui-même des crimes de guerre pendant le conflit civil qui opposa, durant les années 1990, les différentes ethnies et communautés de l’ex-Yougoslavie.
Trois ans après, son procès est sur le point de démarrer au Tribunal Pénal International de La Haye. La procureure Hannah Maynard est chargée de l’accusation. Elle reprend un dossier en apparence solide, fort d’un témoin-clé : Alen Hajdarevic. Le jeune homme affirme avoir assisté à une rafle dans son village, et depuis la fenêtre de son domicile, il a vu Duric orchestrer lui-même l’enlèvement brutal de dizaines de femmes et d’enfants, pour les déporter et probablement les faire assassiner par la suite.
Mais à la barre, catastrophe ! La défense réussit à démonter son témoignage. Il est impossible techniquement que, de là où il était, Alen ait pu voir quoi que ce soit.
Le jeune homme avoue finalement à Hannah avoir menti sur sa présence sur les lieux du drame, mais uniquement pour pouvoir s’assurer que les crimes de Goran Duric ne restent pas impunis.
Et il le sent, il le sait, ces actes barbares ont bien eu lieu…
Hannah lui rétorque sèchement qu’au tribunal, il faut des témoignages concrets et des preuves pour condamner un homme. Dépité, désespéré d’avoir échoué dans sa tâche, le jeune homme se suicide.
Double coup dur pour Hannah qui se retrouve avec une mort sur la conscience et un manque flagrant d’éléments à charge contre l’ancien général serbe. Elle ne dispose que de quelques jours pour trouver de nouveaux témoins et de nouvelles preuves.
Elle rencontre la sœur d’Alen, Mira, qui vit désormais en Allemagne avec son mari et son fils. Très vite, elle se rend compte que la jeune femme en sait plus qu’elle ne veut bien l’avouer.
Mira a en effet été victime de la barbarie des soldats serbes, après avoir été emmenée de force, comme des dizaines d’autres femmes, dans un hôtel réquisitionné par l’armée, dans le village de Vilina Kosa. Sur place : viols, violences et meurtres…
Hannah doit réussir à convaincre Mira de venir témoigner, mais aussi la protéger des menaces qui pèsent sur elle. Et elle doit surtout faire face à un problème inattendu et inextricable : les intérêts supérieurs des nations et les petits arrangements politiciens… Duric attend en effet avec impatience la fin du procès pour pouvoir se présenter à l’élection présidentielle. Et en tant que héros national, il a toutes les chances de se faire élire. Du coup, les hautes instances internationales s’interrogent sur l’opportunité de le placer ou non au pouvoir, son charisme pouvant potentiellement garantir une certaine stabilité à cette zone des Balkans, véritable « poudrière », et l’issue du procès pourrait bien tourner à la parodie de justice…
Le personnage – imaginaire – de Goran Duric, évoque aussi bien cette figure politique que l’ex-président serbe Slobodan Milosevic ou le général Ratko Mladic, tous accusés de crimes contre l’humanité par le tribunal pénal international.
Ceci permet, tout en conservant la distance autorisée par la fiction, d’ancrer le film dans le réel, de lui conférer une certaine authenticité, en parlant au spectateur de faits récents dont il a forcément déjà entendu parler.
La Révélation
Maintenant, pourquoi la guerre de Bosnie-Herzégovine et pas un autre conflit tragique, parmi tous ceux qui ont marqué la fin du XXème siècle ? Sans doute parce que cette guerre civile meurtrière a été particulièrement marquante de par sa barbarie – viols, massacres, purifications ethniques… – et emblématique des tensions communautaires qui, un peu partout sur le globe, dégénèrent en des conflits sanglants.
Il faut rappeler que la création de l’ex-Yougoslavie était un état un peu particulier, instable par nature car artificiel. Elle a en effet été créée de toutes pièces par la communauté internationale à l’issue de la première guerre mondiale, en 1918, pour garantir la paix dans une zone dite sensible.
Ainsi, plusieurs royaumes, plusieurs peuples différents – serbes, croates, bosniaques, monténégrins, kosovars,… – se sont retrouvés rattachés de force les uns aux autres.
Après la seconde guerre mondiale, le pays a été intégré au bloc de l’est, mis sous l’autorité du géant URSS et sous la coupe de Tito, le leader communiste yougoslave. A sa mort, et après la chute du mur de Berlin, le pays a entamé sa mutation et les nationalismes de tous poils ont repris le dessus, non sans entraîner certaines tensions. Les différents peuples constituant la Yougoslavie ont commencé à réclamer leur indépendance, occasionnant des troubles violents entre les ethnies minoritaires et majoritaires et ce, dans chacune des provinces.
Cet éclatement fut d’autant plus marquant qu’il se situait en plein cœur d’une Europe pacifiée, justement entraînée dans une démarche opposée de réunification et de fédéralisme…
Or, le film traite justement de ces sujets, l’opposition entre l’idéalisme et la barbarie, la façon dont un groupe – un pays, une culture, une corporation – finit par étouffer les individus qui en sont membres, plus ou moins malgré eux,
Ce qui importe ici, ce sont les mécanismes à l’œuvre, les rouages d’une immense machinerie judiciaire internationale, apte à tout broyer sur son passage, les bourreaux comme les victimes.
Celles-ci ne sont que des pions dans une partie d’échecs géopolitique dont les enjeux les dépassent – et nous avec… : Lutte d’influence entre les états pour prendre le contrôle économique d’une zone géographique donnée, stratégies électoralistes, calculs politiques, corruption, secrets d’alcôve et négociations occultes… L’humain est totalement délaissé, dérisoire face à la puissance de ces entités que sont les hautes instances internationales, les nations, les partis politiques…
La révélation raconte avant tout le combat de deux femmes pour aller au-delà de cet état des choses, et tenter vaille que vaille de faire triompher vérité et justice. La première par éthique, par fidélité aux valeurs qui l’ont poussée à devenir femme de loi, par déférence pour ses témoins et les souffrances qu’ils ont pu endurer. La seconde par besoin vital de se libérer de ce poids énorme qui pèse sur son existence, d’exorciser les blessures du passé et d’affronter ses démons – son démon, plus exactement – cet homme froid et impassible, ne laissant rien paraître d’autre qu’une certaine arrogance.
Pour Mira, ce procès a valeur de catharsis. Elle avait réussi à occulter certains faits douloureux, mais, au contact d’Hannah, elle réalise que ceux-ci continuent de peser sur sa vie, l’empêchent d’avancer. Elle a besoin de s’en libérer en racontant son histoire. Une parmi tant d’autres, négligeable, d’un point de vue « administratif », au regard des millions de victimes de cette guerre, mais bouleversante, si on la considère avec compassion, l’une des qualités humaines essentielles.
Qui de la sphère politico-judiciaire ou de ces deux femmes déterminées, va prendre le dessus ? L’humanité peut elle encore triompher dans un univers où elle est de plus en plus bafouée ? C’est là tout l’enjeu de ce thriller politique assez prenant.
Hans-Christian Schmid a choisi une mise en scène qui colle parfaitement au sujet, très froide, très austère, portée par des cadrages qui communiquent une atmosphère oppressante et génèrent ainsi une tension constante.
On suit avec d’autant plus de facilité le parcours des deux femmes qu’elles sont incarnées par d’excellentes actrices :
Anamaria Marinca, déjà remarquée dans la palme d’or cannoise de 2007, 4 mois, 3 semaines et 2 jours, palme d’or à Cannes en 2007, qui parlait aussi de la folie des hommes et du poids d’un régime totalitaire, est une nouvelle fois touchante dans son rôle de victime tentant de se reconstruire une nouvelle vie, loin de la barbarie.
Kerry Fox, dont le talent est souvent sous-employé par les metteurs en scène, est ici parfaite en procureure dont les idéaux ont peu à peu été dissous dans les compromis divers et variés qui règnent en maître dans les arcanes des tribunaux. Comme Mira, son personnage prend peu à peu conscience qu’elle s’est installée dans une routine mensongère, et qu’elle a imperceptiblement rendu les armes, rangé au vestiaire ses valeurs morales en se pliant aux règles parfois absurdes du tribunal.
Alors qu’aucune atrocité ne nous y est montrée, La révélation est malgré tout un film très dur. La violence est avant tout verbale, s’insinue dans les propos des technocrates, des juges et des collègues d’Hannah. Chaque fois qu’elle essaie de protéger son témoin et de mettre en avant son impératif de justice, elle se heurte à leur mépris et leur froide indifférence, se prend en pleine figure des réflexions très sèches sur l’absurdité de son idéalisme.
Tant de cynisme et de manque de compassion font froid dans le dos…
Et le pire, c’est que cette attitude est très probablement conforme à la réalité, les élites traitant souvent avec condescendance les simples citoyens, au prétexte que leur tâche relève d’un intérêt « supérieur » à l’échelle nationale ou mondiale.
Mais Hans-Christian Schmid se veut encore optimiste. Son film redonne toute sa place à l’humain dans ce système déshumanisé et nous laisse espérer que le courage et l’abnégation peuvent avoir raison des plus vils compromis entre le pouvoir et la barbarie.
Thriller haletant, drame bouleversant et film politique au sens noble du terme, La Révélation fait partie des œuvres à voir ce mois-ci…
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Sturm
Réalisateur : Hans-Christian Schmid
Avec : Kerry Fox, Anamaria Marinca, Stephen Dillane, Rolf Lassgard, Drazen Kühn
Origine : Allemagne
Genre : Thriller politique et humaniste
Durée : 1h50
Date de sortie France : 17/03/2010
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Chronicart
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