[Critique] Les Chaussons Rouges

[Critique] Les Chaussons Rouges

Voilà une ressortie à ne manquer sous aucun prétexte : « le plus beau film en technicolor, une vision jamais égalée » selon Martin Scorsese. Le cinéaste américain, tout comme ses compères Coppola et De Palma, a été très tôt fasciné par Les Chaussons rouges au point d’encourager sa restauration grâce à la fondation qu’il préside et qui a la charge de préserver les grands classiques du cinéma.

Les spectateurs de 1948 n’ont peut-être pas eu la chance de voir une copie d’un tel éclat : la version restaurée en HD fait revivre magnifiquement les couleurs et l’impressionnante ambition artistique du duo Michael Powell – Emeric Pressburger. Ils avaient souhaité adapter un conte d’Andersen dans lequel une ballerine ne peut se débarrasser de ses chaussons rouges au point d’en mourir. Les deux cinéastes sont partis de ce canevas pour raconter l’histoire d’une danseuse engagée par Boris Lermontov, le directeur d’un ballet prestigieux. Mais la jeune femme va devoir choisir entre sa passion pour la danse et son amour pour le brillant compositeur des « Chaussons Rouges ».

[Critique] Les Chaussons Rouges

Moira Shearer

Le film est avant tout célèbre pour son ballet de dix-sept minutes où cinquante deux danseurs virvoltent autour de la gracieuse Moira Shearer que Michael Powell avait choisi car elle n’était pas comédienne mais danseuse professionnelle. Son étourdissante performance est la clef de voûte d’une séquence traversée de fulgurances visuelles jamais vues jusqu’à alors. Les comédies musicales américaines qui suivront quelques années plus tard s’inspireront fortement de l’énergie créatrice du tandem Powell-Pressburger.

Sous ces atours de film tourbillonnant, Les Chaussons rouges est nourri d’un pessimisme amer sur l’impossible alliage entre la gloire et les sentiments. Ce dilemme inextricable trouve son point d’orgue lors de la bouleversante scène finale. La puissance de jeu d’Anton Walbrook qui campe un Lermontov dont l’autorité et le charme ne dissimulent pas la jalousie maladive et l’obsession du contrôle renforce la noirceur d’un film qui n’est pétri d’aucune illusion.

Chaque plan donne au spectateur le loisir de contempler la beauté cinématographique dans ce qu’elle a de plus essentielle et permet d’admirer le talent du grand chef opérateur britannique Jack Cardiff : deux époux sont chacun dans leur lit, au milieu d’une chambre bleutée, angoissés à l’idée d’un avenir incertain, deux belles âmes qui ont choisi l’indépendance au risque de ruiner leur carrière. La séquence, une des plus belles sur le couple, vaut bien que plus de soixante ans après sa création, on enfile à nouveau ces « Chaussons Rouges ».