Serge vient d’avoir 60 ans. L’heure de la retraite a sonné et c’est la désillusion : il lui manque des points, certains employeurs ayant oublié de le déclarer. Poussé par sa femme, il décide d’enfourcher sa vieille moto, la « Mammut » et part à la recherche de ses bulletins de salaires…
Il y a des routes incertaines, chaotiques, insolites que des cinéastes aiment emprunter de film en film. Celles tracées par le duo Benoit Delépine-Gustave Kervern prennent régulièrement des chemins de traverse. Mammuth poursuit dans cette voie originale qui fait tout le prix d’un cinéma libre et vivifiant. L’intrigue, incongrue et presque dérisoire, est un prétexte pour réaliser une sorte d’anti road-movie . Serge est un homme un peu désemparé car il se retrouve désoeuvré pour la première fois de sa vie. Il ne se doute pas à cet instant qu’il va redécouvrir l’amour et la sérénité.
Dès Aaltra, leur premier long métrage, Gustave Kervern et Benoît Delépine, anciens membres du cultissime Groland, affirmaient, outre un humour très particulier, un vrai sens de l’image et de la mise en scène. Avec Mammuth, ils poussent davantage l’expérimentation en utilisant une pellicule rare utilisée dans les actualités des années 70 ainsi que le super 8mm lors de passages oniriques. Cet étonnant alliage renforce l’aspect intemporel du film.
L’arrivée de Gérard Depardieu dans cet univers singulier est sans doute la plus belle chose que les deux réalisateurs pouvaient espérer. Coiffé d’une longue chevelure blonde qui rappelle Mickey Rourke dans The Wrestler , l’acteur, en ne faisant rien ou presque, se réinvente. Kervern et Delépine osent le filmer comme peu de cinéastes ont su le faire, en l’utilisant à plusieurs reprises comme le spectateur de la scène : filmé de dos lors de son mémorable pot de départ à la retraite comme au milieu d’un restaurant dans lequel tous les clients se mettent à sangloter sans raison, Depardieu est le corps et l’âme du film. Il est tour à tour hilarant lorsque il tente un passage en force avec son cadis de supermarché ou bouleversant quand il écrit une tendre déclaration d’amour.
Comme dans leurs précédents longs métrages, Kervern et Delépine entourent leur personnage principal d’une galerie de caractères haut en couleurs, de Yolande Moreau, irrésistible dès qu’elle épelle son nom, à Anna Mouglalis en arnaqueuse de charme sans oublier les habitués Bouli Lanners et Benoît Poelvoorde. Seule l’apparition elliptique d’Isabelle Adjani ne convainc pas, ses interventions trop courtes ne donnant pas assez de relief à son personnage fantomatique.
Benoit Delépine et Gustave Kervern n’en n’ont peut-être pas conscience mais ils sont devenus des cinéastes uniques dans notre paysage national. Leur inventivité, leur manière de déjouer constamment l’attente du spectateur, leur sens de l’absurde poétique leur confèrent une singularité qui fait du bien. Gustave Kervern le résume parfaitement : « C’est pas qu’il est con, Mammuth. Il est ailleurs. »