“Green zone” de Paul Greengrass

Le 20 mars 2003, les Etats-Unis n’attendaient pas l’agrément de l’ONU, faisaient fi des positions de plusieurs pays alliés, dont la France, et lançaient une opération militaire en Irak, destinée à renverser le régime en place et de capturer Saddam Hussein
L’argument justifiant cette invasion d’un pays souverain et le non-respect des conventions internationales ? La menace imminente d’une attaque irakienne contre ses voisins du Moyen-Orient, ou des pays occidentaux.
Toute cette théorie était fondée sur des rapports d’informateurs militaires de haut niveau, alertant le Pentagone de la présence d’armes de destruction massive (ADM) cachées sur le territoire irakien. La presse avait massivement relayé ces informations et les américains avaient relativement bien accepté le principe de cette intervention.
On sait aujourd’hui que ces ADM n’ont jamais existé, que le dossier présenté à l’ONU n’a fait l’objet d’aucune vérification sérieuse, que tous les rapports mettant en doute la fiabilité des informations ont été édulcorés ou “oubliés”.  Bref, l’histoire n’était qu’une fable destinée à justifier auprès de l’opinion publique l’envoi de troupes en Irak et les projets belliqueux de George W. Bush 

Cette affaire des vraies-fausses armes de destruction massive et la lecture d’une enquête du journaliste Rajiv Chandrasekaran (1), sur la bulle dans laquelle se sont enfermés, à Bagdad, les administrateurs américains chargés de restaurer la démocratie en Irak, ont inspiré à Brian Helgeland le scénario de Green zone, un thriller particulièrement efficace, fictif, mais fortement ancré dans la réalité.

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Le personnage principal en est le Commandant Miller, qui dirige une unité chargée de mettre la main sur les ADM irakiennes. Problème : à chaque fois que les soldats américains vont inspecter les entrepôts censés abriter armes chimiques et bactériologiques, ils ne trouvent que des objets anodins ou des tas de poussière. Manifestement, les informations que la CIA et les cellules de renseignement de l’armée sont erronées…
Miller commence à se poser sérieusement des questions sur ces missions stériles où il risque sa vie et celle de ses hommes, mais chaque fois qu’il tente d’aborder le sujet avec ses supérieurs, ceux-ci le remettent sèchement à sa place.
Un jour, alors que son équipe est encore en train de creuser en vain à la recherche des fameuses ADM, il apprend d’un informateur local qu’une réunion d’anciens lieutenants de la garde rapprochée de Saddam Hussein se tient dans une maison voisine. Ses hommes et lui parviennent à capturer un des intervenants susceptible de leur donner des renseignements capitaux pour la localisation des armes.
Mais des équipes dépendant directement de Clark Poundstone, le responsable du Pentagone en Irak – ou l’administrateur américain, évocation de Paul Bremer ? – , s’approprient le prisonnier avant qu’il ait eu le temps de parler.
Dernier espoir d’obtenir des informations pour Miller et ses hommes : un petit carnet qu’ils ont réussi à conserver, contenant des informations sur les planques potentielles de l’ancienne garde rapprochée de Saddam Hussein. Le soldat se tourne vers Brown, un agent de la CIA qui n’a pas tout à fait les mêmes idées que la Maison blanche quant à la façon de remettre le pays sur pied …
Seuls contre tous, ils se lancent dans une trépidante course-poursuite dont l’objectif est de retrouver le général Al Rawi, seul capable de dévoiler toute la vérité sur le scandale…

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Les studios Universal ont confié le film au tandem Matt Damon (acteur) / Paul Greengrass (réalisateur), reformé après deux collaborations fructueuses, lors des deux derniers volets de la trilogie Jason Bourne.
Le premier a l’occasion une fois de plus de s’illustrer dans un rôle physique, mais non-dénué de psychologie, et de faire preuve d’un charisme certain.
Le second impose sa façon assez unique de filmer l’action : dans l’urgence, caméra à l’épaule, avec force mouvements brusques, et un montage rapide, serré.
On peut tout à fait discuter le choix de cette mise en scène survoltée, peu flatteuse pour l’œil, d’autant qu’elle est alliée, pour plus de réalisme, à une image vidéo granuleuse assez laide – un défaut qui frappait déjà ses précédents films, de Bloody Sunday à Vol 93. Mais il faut bien reconnaître que la nervosité de la mise en scène, communicative, nous plonge immédiatement dans le récit et ne nous lâche plus de bout en bout.
Rares sont les thrillers qui vous tiennent ainsi en haleine du début à la fin, sans temps morts. C’est le cas ici.

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Et c’est d’autant plus remarquable que le film aborde des sujets assez sensibles, complexes, avec beaucoup d’intelligence et de subtilité.
La charge contre l’administration Bush est féroce : C’est elle qui a ordonné ce conflit sans d’autre motif que la présence supposée de ces armes de destruction massive, et ce, malgré les protestations de la communauté internationale. C’est elle, également, qui a effectué des choix politiques hasardeux, plongeant l’Irak dans le chaos de la guerre civile…
On voit ici les mécanismes de ce glissement progressif vers le fiasco : mise en place d’un fantoche pro-américain, en exil depuis des années, à la tête du gouvernement, répartition du pouvoir entre chiites et kurdes, au détriments des sunnites jadis majoritaires, démantèlement de l’armée irakienne plutôt que de l’utiliser pour rebâtir le pays et y maintenir l’ordre…
Les experts du Moyen-Orient ont été laissés sur la touche, et ce sont des bureaucrates américains qui ont pris toutes les décisions importantes, sans avoir aucunement conscience des enjeux…
Lorsque l’on découvre, en même temps que Miller, la fameuse « green zone », cette enclave qui, à l’intérieur de Bagdad, abrite les cols blancs américains et les hauts-gradés, on est sidéré d’y trouver une bulle de luxe et de tranquillité, presque une villégiature pour touristes fortunés, avec piscines et grands restaurants.
Une situation qui contraste avec le reste de la ville, dévasté. La population civile doit faire face à des problèmes d’insalubrité, de famine et d’approvisionnement en eau potable.
Forcément, les irakiens s’insurgent contre cette invasion américaine qui les laisse encore plus démunis que sous la dictature de Saddam Hussein. Et les différentes communautés commencent à s’entredéchirer. L’insécurité s’accroît de jour en jour…
Miller, soldat loyal et dévoué à sa mission, prend conscience de sa naïveté, découvre les arcanes du pouvoir et le peu de considération des élites pour le peuple, que ce soient les soldats américains persuadés d’être embarqués dans une juste croisade, mais envoyés en milieu hostile sans raison valable, ou les irakiens, sacrifiés pour d’obscures raisons politiques et économiques. Restaurer la démocratie, tu parles… L’intérêt est plutôt de mettre la main sur le pétrole irakien et d’installer des bases militaires dans un secteur géostratégique…
Le film invite le spectateur, à l’instar du héros, à ouvrir les yeux et à réfléchir à la façon dont il a été manipulé par les politiciens de Washington et les média…

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Mais Green Zone ne joue pas la carte d’un manichéisme imbécile opposant les impérialistes américains contre les pauvres victimes irakiennes. Il ne prend pas ouvertement position pour ou contre la guerre d’Irak. Tout au plus stigmatise-t-il l’entrée en guerre pour de mauvaises raisons, les magouilles qui ont suivi pour étouffer le scandale, et la gestion calamiteuse de l’après-guerre, qui fait que le pays est encore en état d’instabilité, sept ans après.
Et il ouvre surtout une réflexion sur la difficulté d’administrer un pays, à plus forte raison un pays en crise. Pour garantir la paix civile, il aurait peut-être fallu faire des compromis avec les anciens bourreaux, des individus dont l’intégrité et la moralité étaient des plus douteuses. Mais la population aurait alors vécu cela comme une trahison, et qui sait si l’Irak n’aurait pas, malgré tout, connu une guerre civile…
La solution aurait peut-être été, comme le suggère dans le film le chauffeur de Miller, de « laisser aux irakiens le soin de s’occuper des affaires irakiennes ». Mais là encore, quel aurait été le résultat ?
Fallait-il laisser Saddam Hussein commettre ses exactions à l’encontre des peuples chiites et kurdes en toute impunité ? Fallait-il user de la force ou de la diplomatie ? Fallait-il vraiment intervenir ?
Le film n’a pas la prétention de pouvoir répondre à ces questions complexes. Mais il entend bien remettre au cœur des débats une notion apparemment méprisée par le pouvoir : l’humain.
Il le fait en nous offrant de partager le combat non pas du militaire mais du citoyen Miller, en quête de vérité, et la détresse de « Freddy », un civil irakien, face à son pays en ruine et en plein chaos…

Thriller efficace, film d’action débordant d’adrénaline et brûlot politique subtil, Green zone se clôt sur une touche d’émotion et remplit donc assurément sa mission. Rompez les rangs… Repos…

(1) : “Green zone” de Rajiv Chandrasekaran – éd. Points

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Green zone Green zone
Green zone

Réalisateur : Paul Greengrass
Avec : Matt Damon, Greg Kinnear, Amy Ryan, Brendan Gleeson, Khalid Abdalla, Yigal Naor  
Origine : Etats-Unis
Genre :Mensonge d’état, des tas de verités 
Durée : 1h55
Date de sortie France : 14/04/2010
Note pour ce film : ●●●●●

contrepoint critique chez : Libération

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