“L’Elite de Brooklyn”

Par Boustoune

A vrai dire, on n’attendait plus grand chose d’Antoine Fuqua, suppo… euh suppôt du grand Satan hollywoodien, coupable de quelques blockbusters sans âme ni cervelle (Un tueur pour cible, Le roi Arthur, Shooter). Et certainement pas qu’il puisse réaliser un polar qui puisse tenir la dragée haute (hum…) aux ténors du genre.

Et pourtant, L’élite de Brooklyn est un très bon film policier. Un vrai. Comprenez : qui dépeint le difficile travail quotidien de flics souvent à bout de souffle, mais complètement investis dans leur métier, mettant leur vie en jeu sur le terrain, jour après jour. 

L’intrigue entremêle trois fils narratifs distincts, mais qui finiront plus ou moins par converger. Trois visions différentes du métier.
Le premier suit la lente dérive de Sal (Ethan Hawke), un agent de la brigade des stupéfiants pris à la gorge par des soucis financiers. Sa famille et lui habitent une maison minuscule, humide et limite insalubre, qui risque de devenir trop étroite pour accueillir leur nouvel enfant. Alors il a promis aux siens qu’ils allaient bientôt déménager dans une nouvelle demeure, une affaire qu’il a dégottée. Le problème, c’est que la propriétaire veut être payée rapidement, en cash, et qu’il ne possède pas la somme demandée.
Son salaire de flic ne suffit pas et sa demande d’augmentation n’a pas été acceptée.
Alors, il tente de faire main basse sur les liasses de billets récupérées par sa section lors des descentes chez les trafiquants de drogue, ou pire, en assassinant des indics véreux pour quelques malheureux billets. Jusqu’où osera-t-il aller ?

Le second segment voit un flic blasé, Eddie (Richard Gere), se retrouver obligé, à quelques jours de la retraite, de former les nouvelles recrues. Cette confrontation avec des jeunes idéalistes, pas encore souillés par l’âpreté de ce métier, va lui rappeler qu’il n’est pas devenu flic par hasard mais par vocation, et qu’il a encore en lui le “feu sacré”, l’envie de combattre les injustices et de débarrasser les rues des criminels…

La dernière histoire montre la situation délicate de Tango (Don Cheadle), un flic infiltré depuis tellement longtemps dans les gangs et le milieu de la rue qu’il est en train de perdre pied. En attendant la mutation qu’on lui a promise, dans un bureau, à l’abri du danger, il doit remplir une dernière mission : coincer un baron de la drogue qui le considère comme un ami, voire comme un frère…

Réussir à faire coexister ces trois récits dans un récit fluide et rythmé, rendre intéressant chacun des segments n’était pas une mince affaire. Mais Antoine Fuqua tient cette gageure à l’aide d’une mise en scène rigoureuse, solidement classique, sans effets tape-à-l’oeil et débauche pyrotechnique, mais qui s’autorise quand même quelques beaux mouvements de caméra.
Mieux, il réussit à instaurer, dès la séquence inaugurale, un ton très particulier, crépusculaire et dépressif, s’appuyant sur une image très travaillée, un peu granuleuse et grisâtre, et n’hésitant pas à jouer sur la lenteur de certaines scènes, ce qui devient de plus en plus rare dans le cinéma hollywoodien, où tout plan de plus de cinq secondes est considéré comme trop long.
Cette ambiance nocturne poisseuse rappelle des oeuvres comme Les flics ne dorment pas la nuit de Richard Fleischer ou Colors de Dennis Hopper, ou encore les romans d’Ed McBain, ses “Chroniques du 87ème district”, notamment.

Les acteurs, parfaitement choisis, participent pour beaucoup à la réussite de ce beau film policier.
Richard Gere, malgré sa belle carrière, n’avait eu que peu d’occasions de briller dans des rôles de policiers au cinéma (il y eut surtout Affaires privées de Mike Figgis) et il est ici particulièrement convaincant en flic alcoolique et vaguement suicidaire, usé par toutes ses années de service. Qu’on se le dise : lui n’a pas l’intention de prendre sa retraite ! Et si toutes ses futures performances sont de ce calibre, on ne lui en tiendra pas rigueur…

Don Cheadle est également épatant, usant de sa sobriété habituelle et de son jeu tout en finesse pour incarner ce policier infiltré, utilisé comme un pion par sa hiérarchie et se posant des questions quant à son identité profonde.
Et Ethan Hawke prouve une nouvelle fois que le “noir” lui va très bien. A ses excellentes prestations dans 7h58 ce samedi-là ou dans Little New-York, il faut ajouter celle-ci, fiévreuse, tendue et intense.
Même Wesley Snipes, que l’on imaginait un peu “has-been” après s’être fourvoyé dans d’innombrables blockbusters d’action décérébrés, trouve ici un second souffle, échappant à la caricature dans son rôle de caïd noir ayant régné sur le trafic de drogue et tentant en vain de changer de vie…

Bref, L’élite de Brooklyn est une très agréable surprise qui réhabilite un cinéaste et des acteurs que l’on croyait perdus définitivement pour le cinéma et nous offre un excellent polar, qui s’il ne renouvellera pas le genre, en respecte intelligemment les codes.

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Brooklyn’s finest


 Réalisateur : Antoine Fuqua 
Avec : Richard Gere, Ethan Hawke, Don Cheadle, Wesley Snipes,   Ellen Barkin, Michael Kenneth Williams
Origine : Etats-Unis 
Genre : film policier vrai de vrai…
Durée : 2h07
Date de sortie France : 05/05/2010

Note pour ce film :


contrepoint critique chez :  Le Nouvel Observateur
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