Ceux qui s’attendaient à une énième version de la légende de Robin des bois telle que le cinéma hollywoodien la représente depuis des dizaines d’années, du film de Michael Curtiz avec Errol Flynn à celui du duo Kevin Costner/Kevin Reynolds, en passant par la version animée de Walt Disney, risquent d’être surpris.
Ici, Robin n’est pas un bout-en-train en tunique vert-flashy et en collants, mais un soldat blasé, écoeuré par des années de croisades qu’il juge injustes, en contradiction avec ses valeurs chrétiennes. Il ne parcourt pas les forêts en compagnie de ses gais-lurons, mais s’emploie à oeuvrer dans la clandestinité, en tant que bandit de grand-chemin, le visage dissimulé par une grande capuche. Robin “Hood” plutôt que Robin “des bois”(1)
Le Roi Richard Coeur de Lion, glorifié dans toutes les précédentes versions, est ici un monarque aveuglé par sa propre puissance, obsédé par la guerre et l’asservissement des peuples. Vu qu’il décède assez vite dans le film, victime d’un complot ourdi par le roi de France, il ne revient donc pas à la fin pour sauver l’Angleterre, contrairement à ce que prétend le mythe…
Son successeur, le Prince Jean n’est pas un souverain tyrannique mais un bouffon pathétique, pauvre type frustré et jaloux, qui, lorsqu’il accède au pouvoir, s’avère complètement à la masse. Il tente alors de dissimuler ses faiblesses en pratiquant une politique de rigueur et de répression, éliminant tous ceux qui pourraient lui faire de l’ombre. Il ne joue qu’un rôle très secondaire dans l’histoire, même si c’est bien lui qui pousse Robin vers la clandestinité et la marge de la loi.
Le Shérif de Nottingham, méchant officiel des versions précédentes (on se rappelle des performances d’Alan Rickman et de Melville Cooper (2)) est ici cantonné au rang d’utilité, la fonction d’ennemi n°1 de Robin des Bois étant cette fois dévolue à Godefroy (de Montmirail ? euh… désolé…) un agent double, voire triple, agissant pour son propre profit et naviguant entre le prince Jean et le roi Philippe de France
Enfin, Lady Marianne n’est pas une princesse bien pomponnée dans un château de conte de fées, mais une aristocrate rurale, qui cultive elle-même ses terres quand elle ne s’occupe pas de son père, Sir Walter Loxley.
Bref, rien à voir avec tout ce qui a été fait précédemment autour du personnage… Ridley Scott s’est en effet employé à proposer une version complètement différente du mythe de Robin des Bois, plus portée sur l’action que sur la comédie d’aventures, plus réaliste et centrée sur la genèse du héros.
Russel Crowe fait de Robin Longstride un guerrier rebelle, un voyou qui, au départ, n’agit que pour son compte. Après avoir été puni par Richard Coeur de Lion, il déserte l’armée et tente de regagner l’Angleterre par tous les moyens. Après la mort de Richard Coeur de Lion et de ses soldats, tombés dans une embuscade, il décide d’usurper l’identité d’un croisé, Sir Robert Loxley, et sous cette fausse identité, parvient à embarquer sur un bateau censé ramener la couronne royale à la famille du suzerain défunt. Une fois arrivé sur “ses” terres, on lui demande de continuer de jouer le jeu et de se faire passer pour Loxley.
Il accepte et fait enrôler ses compagnons d’armes, dont l’inévitable Petit Jean. Peu à peu, il se laisse séduire par l’idéalisme de la belle Lady Marianne (Cate Blanchett, lumineuse) qui l’encourage à agir pour le bien des paysans rackettés au profit du roi tyrannique…
Ce n’est qu’à la toute fin du film que Robin Longstride deviendra Robin “des Bois”, la figure héroïque connue de tous.
Avant cela, il aura fallu en passer par plus de deux heures de scènes de batailles épiques rondement menées, qui constituent d’ailleurs le principal attrait du film – et sa limite. Ridley Scott est loin d’être malhabile avec sa caméra, et il excelle à nous plonger au coeur de l’action, que ce soit sur les champs de bataille de la Rome Antique (Gladiator), en plein conflit somalien (La Chute du Faucon noir) ou au pied des remparts des châteaux moyenâgeux. Il filme l’attaque des troupes du Roi de France comme Spielberg pouvait filmer le débarquement en Normandie dans Il faut sauver le soldat Ryan, fait de l’attaque d’un château un moment de bravoure spectaculaire…
Le problème, c’est que ce déluge d’action speed, ce montage nerveux accumulant les plans ultra-courts, étalé sur 2h20, finit par lasser le spectateur qui attendait que soient un peu plus détaillés les personnages, leurs relations (ce sont elles, aussi, qui faisaient le charme des versions précédentes). Ici, la complicité de Robin avec Petit Jean ou Frère Tuck n’est que très brièvement évoquée, et la romance avec Lady Marianne, joliment amenée, est au final assez mal exploitée. Elle se concrétise même par une scène de baiser assez ridicule, au beau milieu du champ de bataille et des combats… Euh… A quoi cela sert-il de proposer une version plus “réaliste” si c’est pour aboutir à ce genre d’aberration scénaristique totale ?
Mais ce n’est pas le seul point négatif du film, hélas… Le jeu des acteurs, par exemple, est de niveau très inégal. Cate Blanchett est très bien en Lady Marianne : femme sensuelle, irradiante de charme, mais également forte et déterminée. Russel Crowe adopte peu ou prou le même style de jeu que dans Gladiator, mais cela convient relativement bien au personnage. Max Von Sydow n’est évidemment pas aussi mis en valeur que dans les films de Bergman, mais sa simple présence altière est bénéfique au film. Et Mark Strong campe un méchant tout à fait crédible bien qu’un peu trop évident (3). Il faut dire qu’il commence à être habitué à ce type de rôle après Kick-Ass et Sherlock Holmes. En revanche, loin de ce carré d’as, la paire de rois fait pâle figure : Oscar Isaac en fait des tonnes dans le rôle du Prince Jean et Jonathan Zaccaï, plutôt bon d’habitude, semble un peu égaré dans le rôle du roi de France…
Au final, cette version de Robin des Bois laisse une impression mitigée. D’un côté, on salue la volonté de proposer une approche alternative du mythe, plus réaliste, plus “politique” et on admire la virtuosité des scènes d’action, de l’autre on s’y ennuie un peu et on regrette le côté enthousiasmant un peu kitsch des aventures de Robin des Bois façon Curtiz/Flynn… Reste à voir ce que donnera la suite de ce film, d’ores et déjà envisagée par Scott et Crowe, qui devrait cette fois s’attarder sur les faits d’armes de celui que l’on nomme désormais “Robin Hood” et les 17 ans de règne de Jean “Sans-terre”…
(1) : Le nom original de ce héros anglais est Robin Hood. “Hood” signifie “capuche”, celle qui dissimulait le visage de ce bandit de grand chemin. Bizarrement, il s’est transformé en Robin “des bois” en franchissant la Manche. Peut-être par confusion entre “Hood” et “Wood”… Cela dit, certains historiens laissent entendre que la confusion aurait pu se faire dans le sens inverse…(2) : Dans la version de Michael Curtiz, le rôle du méchant est partagé entre le shérif et Guy de Gisbourne, joué par Basil Rathbone
(3) : Certains spectateurs tatillons ont cependant fait remarquer que des chauves au crâne aussi parfaitement rasé n’étaient probablement pas très fréquents au 13ème siècle… On ne plaisante pas avec les looks d’époque…
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Robin Hood
Réalisateur : Ridley Scott
Avec : Russell Crowe, Cate Blanchett, Max von Sydow, William Hurt, Mark Strong, Oscar Isaac
Origine : Royaume-Uni, Etats-Unis
Genre : film de capuche et d’épée
Durée : 2h20
Date de sortie France : 12/05/2010
Note pour ce film : ●●●○○○
contrepoint critique chez : 20 minutes
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