D’un côté, il y a Germain, un homme massif, d’une cinquantaine d’années, raillé par ses copains de bistrot pour son manque de tact et son épaisseur d’esprit, son côté benêt… Oh, il n’est pas idiot, Germain ! Juste un peu plus lent que la moyenne.
Ceci lui a valu de devenir, à l’école, la cible d’un instituteur imbécile qui, au lieu de l’aider à surmonter ses handicaps, l’a détourné du système éducatif par ses brimades et humiliations répétées. Il ne pouvait même pas compter, à la maison, sur le soutien de sa mère, une femme revêche, très rude, qui lui a toujours signifié que sa naissance était un accident, et qu’il n’était qu’un poids mort pour elle.
Et maintenant, alors qu’elle sombre peu à peu dans une forme de démence sénile, c’est elle qui devient un boulet pour son fils. Car même s’il hait cette femme qui l’a constamment rabaissé, il veille sur elle comme il veille sur son potager, avec soin et amour.
Mais lui-même semble réticent à recevoir de l’amour, comme celui d’Annette, la jeune femme qui s’est entichée de lui et aimerait faire sa vie avec lui.
Plutôt que de s’occuper d’elle, ce lourdaud traîne avec ses potes au bistrot ou passe son temps au square du centre-ville, à observer les pigeons…
De l’autre côté, il y a Margueritte (avec deux ‘t’), une ancienne géologue qui a passé sa vie en voyages, physiquement déjà, puisqu’elle a parcouru le monde pour son métier, mentalement, ensuite, grâce à l’évasion procurée par les romans qu’elle lisait avec passion. Aujourd’hui, elle tente de finir paisiblement ses jours dans une maison de retraite voisine, un peu délaissée par son fils et sa belle-fille. Elle aussi aime à flâner dans le square et à regarder les pigeons…
Elle et Germain vont nouer une drôle de relation mère-fils, qui repose avant tout sur l’entraide et la transmission du savoir. Grâce à la vieille dame érudite, l’homme va s’ouvrir aux mots et à la connaissance, cultiver cette tête restée en friche trop longtemps. Il va aussi apprendre à pardonner à ses parents et à construire, enfin, sa propre vie…
Tirée d’un roman de Marie-Sabine Roger (1), cette fable humaniste sur la générosité, l’altruisme, les relations intergénérationnelles et l’apprentissage – de la vie et de la lecture – avait tout pour donner un beau film, d’autant que c’est Jean-Loup Dabadie qui a signé l’adaptation et les dialogues.
Hélas, la réalisation, elle, manque cruellement de tonus… Et pour cause : elle a été confiée à Jean Becker, tenant d’un cinéma “populaire”, au sens un peu péjoratif du terme. Comprenez d’un classicisme plombant et formaté pour un très large public, donc très lisse… Le cinéaste joue encore et toujours sur une certaine nostalgie du cinéma français des années 1950 – ce “cinéma de papa” fustigé par la Nouvelle Vague pour son manque d’audace et l’abus de grosses ficelles narratives.
Tout est ici ultra-calibré et platement illustratif : Une pléiade d’acteurs connus, des situations prévisibles, des dialogues “téléphonés”, de belles images “à l’ancienne” et une musique tire-larmes un peu envahissante signée Laurent Voulzy…
Des personnages “gentils” pour une histoire “gentille” réalisé par un cinéaste… je n’aime pas dire du mal des gens, mais effectivement, il est gentil…
Puisque le bonhomme semble faire une fixation sur la nature, le jardinage et les jardiniers, comme l’indiquent les titres de ses films (Les enfants du marais, Effroyables jardins, Dialogue avec mon jardinier,…), nous pouvons tout à fait user de métaphores horticoles pour cette critique.
On peut dire, par exemple, que, chez Becker, la guimauve pousse comme de la mauvaise herbe et les bons sentiments comme du chiendent.
Qu’il met tellement d’engrais pour faire pousser le rire ou l’émotion que l’effet est totalement inverse…
Ou qu’il use de la tronçonneuse pour tailler de petites fleurs délicates, aussi fines et fragiles que Gisèle Casadesus qui est probablement la seule à tirer son épingle du jeu…
Peut-être parce que, en tant que doyenne du cinéma français, elle s’est sentie concernée par ce rôle de femme âgée qui voit ses forces peu à peu l’abandonner, alors qu’elle aimerait encore et toujours vivre de nouvelles aventures, partager des petits plaisirs, transmettre son savoir.
Justement, ses partenaires auraient pu prendre exemple sur elle, sa sobriété et sa justesse confondantes, plutôt que de verser dans le cabotinage éhonté. Il suffit, pour s’en convaincre, de voir Patrick Bouchitey en caricature de pilier de bistrot dépressif, Régis Laspalès en instituteur sadique ou Claire Maurier en mère acariâtre. Tous en font des tonnes, au détriment de l’émotion.
Et que dire de Gérard Depardieu !?! Lui, si juste, si touchant dans Mammuth, dans un registre pourtant similaire, est ici incroyablement balourd, forçant constamment le trait de son personnage de faux-benêt.
Bref, pas grand-chose à sauver dans ce film mollasson, sauf peut-être le plaisir de retrouver des acteurs qui se font rares au cinéma. On apprécie par exemple de revoir à l’écran l’excellent Salah Teskouk, même s’il fait ici juste une minuscule apparition. On est également content de pouvoir replonger dans les yeux couleur piscine de Sophie Guillemin, qui malgré quelques films marquants dans les années 1990, tourne trop peu et dans des rôles où son talent n’est pas réellement exploité – c’est encore le cas ici. Et enfin, on appréciera de profiter, le temps d’une ou deux scènes, du joli minois de Mélanie Bernier, elle aussi réduite au rang d’utilité…
En étant peu exigeant et d’humeur à accepter un film aux grosses ficelles scénaristiques, on peut éventuellement se laisser toucher par La tête en friche. Mais soyons francs, ce n’est absolument pas un grand film, même du point de vue du cinéma “populaire”. C’est même l’un des plus mauvais films de Jean Becker, qui après nous avoir (presque) agréablement surpris avec Deux jours à tuer, plus sombre et plus cynique, retombe bien bas dans notre estime.
(1) : “La tête en friche” de Marie-Sabine Roger –coll. La Brune – éd. E. du Rouergue
________________________________________________________________________________________________________________________________________
La Tête en friche
Réalisateur : Jean Becker
Avec : Gisèle Casadesus, Gérard Depardieu, Sophie Guillemin, Patrick Bouchitey, Maurane, Claire Maurier, Origine : France
Genre : mauvaise herbe
Durée : 1h22
Date de sortie France : 02/06/2010
Note pour ce film : ●●○○○○
contrepoint critique chez : Excessif
_________________________________________________________________________________________________________________________________________