“A 5 heures de Paris” de Leonid Prudovsky

Par Boustoune

Pour commencer, un coup de gueule…

Il est très légitime de s”inquiéter de l’évolution du conflit israélo-palestinien, qui contribue à déstabiliser un peu plus une zone géographique peu épargnée par les guerres et les tragédies tout au long du XXème siècle.
Il est aussi totalement légitime de s’émouvoir du blocus imposé par Israël autour de la Bande de Gaza et de la brutalité des interventions militaires sur le peuple palestinien ou les civils étrangers charriant de l’aide humanitaire. (1)
Chacun est libre de protester ou de manifester son indignation de différentes façons (manifestations, pétitions, etc…) (2).

Pour autant, il est complètement idiot et injuste de choisir, pour ce faire, de boycotter les films israéliens, comme l’ont décidé les cinémas Utopia (3).
Déjà parce que les artistes du Moyen-Orient œuvrent tous pour la paix entre les peuples, pour le changement des mentalités dans les deux camps rivaux, et que certains cinéastes israéliens ont signé les plus beaux plaidoyers pour la fin de cette guerre absurde et la création d’un état palestinien totalement libre et souverain.
Ensuite parce que cela prive le public de beaux films qui n’ont d’ailleurs pas grand chose à voir avec le conflit israélo-palestinien, ni même avec la politique en général. Comme par exemple, le très beau A 5 heures de Paris, de Leon Prudovsky…

Après le coup de gueule, le coup de cœur…
Coup de cœur pour deux personnages attachants, traînant leur solitude et leur besoin de chaleur humaine dans la banlieue de Tel-Aviv.

Il y a Yigal, un chauffeur de taxi d’une quarantaine d’années, divorcé de longue date, qui aimerait bien que sa vie prenne un nouveau départ. On pourrait même dire un nouvel envol, si l’homme n’était pas en proie à une peur panique de l’avion… Mais Yigal tente de se débarrasser de cette phobie gênante en suivant une psychothérapie. Il a envie de pouvoir assister à la bar-mitsvah de son fils, organisée à Paris, en France. Un lieu qui, de surcroît, l’a toujours fait rêver, à travers les films et les vieux tubes des années 1970 qu’il écoute en boucle, d’Adamo à Alain Barrière, en passant par Joe Dassin…

ll y a aussi Lina, la professeure de musique du fils de Yigal. On ne connaît pas son âge, mais elle confessera plus tard ne plus être en mesure d’avoir d’enfants.
Un de ses regrets parmi d’autres, comme le fait d’être passée à côté d’une carrière de pianiste concertiste et, peut-être, celui de s’être mariée avec Grisha, un homme qu’elle ne désire plus, ou alors plus avec la même intensité.
Le couple, venu de Russie pour s’installer en Israël, est aussi en attente d’un nouveau départ. Pour le Canada, plus exactement, où Grisha tente d’obtenir un permis de travail pour y installer son cabinet d’urologie…

Quand Yigal rencontre Lina, il tombe instantanément sous son charme et fait tout pour pouvoir grappiller quelques secondes avec elle. Il retarde la belle suffisamment pour qu’elle rate son bus et qu’il se voit “contraint” de la ramener chez elle en voiture… Un stratagème éculé (4) mais qui donne lieu à l’une des plus belles scènes du film : d’abord un peu gênés, Yigal et Lina ne se regardent pas, ne se parlent pas, mais quand l’autoradio diffuse le “Salut” de Joe Dassin, ils se mettent tous deux à siffloter, et la conversation s’amorce autour de la chanson française des années 1970, un de leur centre d’intérêt commun… Et la glace, doucement, se fendille…
Lina, d’abord réticente, se laisse finalement séduire par ce type maladroit, peu assuré, angoissé par tout et n’importe quoi, mais très tendre et attentionné.

Ils deviennent de plus en plus complices au fil des semaines. Mais est-ce suffisant pour permettre à leur potentielle histoire d’amour d’éclore ? Les sentiments ont-ils le temps de s’installer alors que Lina attend une réponse imminente du consulat pour son émigration au Canada ?
Tout l’enjeu et toute la beauté du film se situent là, dans ces moments suspendus, comme en apesanteur, où l’homme et la femme s’échangent des regards qui en disent long sur leur histoire passée, leurs petites fêlures, leurs espoirs secrets, leurs désirs déçus…

La scène-clé se situe à peu près à la moitié du long-métrage, quand Yigal, parce qu’il est accompagné de Lina, finit par accepter son baptême de l’air.
C’est bien connu, l’amour donne des ailes… Yigal réussit à survivre au décollage, mais la joie est de courte durée puisque, en proie au vertige (de l’amour?) il s’évanouit au bout de quelques secondes…
Et si c’était cela l’amour : être sur un petit nuage, être pris de vertige, partir en chute libre et finir par se crasher lamentablement? 
La peur du vide et celle du saut dans l’inconnu pèsent sur la relation de ces deux êtres fragiles, freinant leur progression vers un possible “septième ciel”, et il plane sur tout le film de sombres nuages…
  
On est loin, ici, du romantisme mièvre qui pollue la plupart des comédies romantiques hollywoodiennes. En effet, même si le récit séduit par sa légèreté, sa finesse et son pétillement – comme un bon Champagne – il laisse aussi une pointe d’amertume au fond du gosier… On s’attendrait presque à entendre l’ami Jojo nous faire frissonner avec “si tu t’appelles Mélancolie” ou “Chanson triste”…  
Mais Leonid Prudovsky a le bon goût d’utiliser les vieilles chansons avec parcimonie, afin de ne jamais étouffer l’émotion générée par les images et le jeu des acteurs. A la place, on a droit à une belle musique composée par Gavriel Ben-Podeh, quelques notes discrètes mais entêtantes, qui accompagnent à merveille ce premier film touchant de simplicité et de pudeur.
 

La mise en scène est constamment en retrait, non par manque d’ambition ou de savoir-faire, mais parce que le sujet l’exigeait.
Le jeune cinéaste laisse à ses comédiens -  épatants – le temps de faire exister leurs personnages, de jouer sur les regards, les gestes, les expressions du visage.
Dror Keren, déjà vu dans Les Méduses, autre réussite majeure du cinéma israélien, incarne brillamment cet homme timide et gauche, écorché par la vie et le regard des autres. Un improbable héros de comédie romantique, plus proche d’un Woody Allen que d’un Grant, Hugh ou Cary, au choix…
Il est sympathique, ce Yigal. Un chic type qui n’a pas eu de chance et qui s’est englué tout seul dans un quotidien assez morne, juste égayé par la naissance de son fils. Sa bataille, sa fierté…
On aimerait qu’il puisse enfin trouver l’amour, le vrai, au côté de la délicieuse Lina…

C’est vrai qu’elle est craquante, cette femme… Et pour cause, c’est la très séduisante Helena Yaralova qui lui prête sa beauté discrète, ses grand yeux pétillants de vie, soulignés de quelques légères cernes, traces d’une vie bien remplie. Bizarrement, hormis Amos Gitaï dans Kedma, peu de cinéastes ont eu la présence d’esprit de l’engager (5). Ceci devrait changer grâce à sa performance ici, toute en finesse et en élégance. Elle est vraiment très bonne actrice, et très jolie, donc… ”Trop jolie”, même, chante Alain Barrière, à qui on n’a rien demandé – non mais… (6). Pfff, ça y est, je suis amoureux, moi…

Grâce à ces deux acteurs, et au reste de la troupe, également convaincante, Vladimir Friedman (Grisha) en tête, grâce à sa mise en scène d’une sobriété exemplaire, grâce à sa bande son joliment nostalgique, A cinq heures de Paris s’impose d’ores et déjà comme l’une des belles surprises de cet été cinématographique et contribue à redorer le blason du film romantique, genre galvaudé par des dizaines de productions médiocres. 

Alors, faites fi de toute cette polémique stérile autour du film, tant autour de cette histoire de boycott du cinéma israélien que de l’impératif pour un artiste de porter un regard “politique” sur le monde environnant, et allez découvrir en salles cette jolie comédie douce-amère.
Profitez-en, c’est la fête du cinéma, et c’est l’occasion de voir des oeuvres qui sortent de l’ordinaire, à moindre coût… 
Avaaz.
A noter que l’état hébreux vient d’assouplir son blocus de la bande de Gaza, cédant à la pression internationale… 
(3) : En fait, relativisons un peu les choses. Il ne s’agit pas vraiment d’un boycott puisque le film sera reprogrammé ultérieurement et qu’il est remplacé par un autre film israélien, plus politique et plus critique vis-à-vis du pouvoir en place en Israël.
Les propriétaires des Utopia, qui ne représentent que quelques salles en France, estiment que toute cette affaire fait beaucoup de bruit pour rien.
En effet… Mais ils en sont les seuls responsables ! Pourquoi avoir pris des décisions aussi radicales et polémiques ? Il nous semble que le public fréquentant les salles d’art et d’essai est suffisamment intelligent pour faire la part des choses entre ce qui se passe en Israël et les oeuvres proposées par les artistes israéliens…
De par cette déprogrammation et le débat qu’elle génère, ils prennent le risque que les spectateurs, lassés de cette controverse philosophico-politique, boudent une oeuvre taillée pour séduire un large public, une alternative aux comédies sentimentales américaines formatées…
(4) : non, ce n’est pas une insulte… Vous m’avez pris pour Anelka ou quoi?  
(5) : Peut-être parce qu’elle ne réside en Israël que depuis une quinzaine d’années. Avant, comme son personnage, elle vivait en Ukraine…
(6) : En fait, c’est lui qui ferme le bal avec sa chanson “Elle était si jolie”…

(1) : Le blocus maritime et terrestre de la bande de Gaza a été décidé par les israéliens en représailles contre la victoire du Hamas lors des dernières élections des territoires occupés. Le prétexte ? Les liens présumés du Hamas avec des groupes terroristes de pays voisins pouvant acheminer des armes vers la bande de Gaza… Le 31 mai dernier, une flottille humanitaire internationale a essayé d’acheminer des marchandises pour aider le peuple palestinien coupé du monde, bravant l’interdiction. La marine israélienne a mené un raid violent contre les impudents, pourtant encore dans les eaux internationales. Cette opération musclée plus que discutable a coûté la vie à neuf civils turcs et déclenché de nombreuses protestations dans le monde.
(2) : Par exemple, la pétition de

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A 5 heures de Paris
Hamesh shaot me ‘Pariz

Réalisateur : Leonid Prudovsky 
Avec : Dror Keren, Helena Yaralova, Vladimir Friedman, Yoram Tolledano, Lena Sahanov
Origine : Israël
Genre : film romantique aérien 
Durée : 1h30
Date de sortie France : 23/06/2010

Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Première
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