“Dog pound” de Kim Chapiron

Par Boustoune

Davis a seize ans. Il est issu d’un milieu favorisé, couvé par une mère étouffante d’attention et d’affection. Il s’encanaille en se livrant au trafic de drogues…
Angel a quinze ans. Il a le visage et la carrure d’un enfant, mais que l’on ne s’y fie pas. Il survit dans le ghetto grâce à des car-jackings musclés…
Butch a dix-sept ans et déjà un long passé de délinquant. Il porte en lui une violence impressionnante, qui ne demande qu’à exploser.
Trois jeunes gens en perdition, trois destinées qui vont se croiser à Enola Vale, une prison pour délinquants juvéniles perdue au fin-fond du Midwest. Trois vies sur le point de se briser…
Sur le papier, ce pénitencier spécialisé prétend réinsérer les jeunes délinquants en leur apprenant la discipline et en prohibant drogues, alcool, et toutes formes de violence. En pratique, c’est tout le contraire… La seule loi encore respectée est la loi du plus fort…
Confrontés à des camarades de cellule encore plus marginaux qu’eux, les jeunes détenus s’enfoncent encore plus dans la délinquance et la rébellion contre la société…

 

Ca vous rappelle quelque chose? Normal… 
Déjà parce que Dog Pound est en quelque sorte le remake de Scum, film britannique âpre et dérangeant signé par Alan Clarke, en 1979. Le producteur Georges Bermann en a obtenu les droits et a demandé à Kim Chapiron d’en signer la transposition américaine et contemporaine…
Ensuite parce que le réalisateur de Sheitan , conscient qu’il est très difficile de s’éloigner des codes très stricts du film carcéral, s’inscrit dans une loooongue lignée d’oeuvres ayant pour cadre une prison, dont certains grands classiques du septième art…

L’avantage, c’est que la narration est tout de suite sacrément efficace. Passées les trois courtes séquences introductives, on est vite plongés dans le huis-clos de ce centre de détention sinistre. Là, les nouveaux arrivants découvrent les joies de l’univers carcéral : fouilles corporelles complètes, invectives et intimidations de matons antipathiques et un peu dépassés par les événements, promiscuité gênante avec les autres détenus et notamment avec les caïds du pénitencier, bien décidés à asseoir un peu plus leur domination sur le reste du groupe.
Vous devinerez aisément la suite : racket, agressions, viols et représailles sanglantes… Tout un engrenage de brutalité et de sauvagerie…

 

Oui, autant le préciser tout de suite : Dog pound est un film âpre, cru, violent et désespéré. Comme le film dont il s’inspire, qui avait, en son temps, défrayé la chronique… (1)
De la part de Kim Chapiron, auteur d’un Sheitan qui versait volontiers dans l’horreur gore et l’outrance visuelle, on aurait pu craindre le pire. Mais le jeune cinéaste, intelligemment, a su adapter son style à son sujet et évite de tomber dans le piège grossier de l’esthétisation de la violence. Reprenant les techniques éprouvées d’Alan Clarke, il laisse sa caméra à bonne distance, jouant sur les plans fixes serrés pour donner une sensation d’enfermement et faire monter la tension.
Oh, bien sûr, il reste ça et là quelques tics de mise en scène, quelques mouvements de caméra à la virtuosité gratuite, comme si Chapiron avait besoin de débrider sa mise en scène inhabituellement corsetée. Mais globalement, il n’y a rien à redire au niveau de la réalisation et des partis pris de mise en scène.

Alors, vraiment réussi ce Dog pound ? Hélas non…
Car là où le bât blesse, c’est que si la forme ne manque pas de chien (2), le fond, lui, laisse sérieusement à désirer…
Le film d’Alan Clarke était remarquable car il contenait en filigrane une critique sociale très forte, une charge contre l’establishment, contre le gouvernement de Margareth Thatcher, contre une éducation trop guindée et trop stricte. C’était un manifeste punk sur le fond comme sur la forme.
Ici, le film ne cherche à délivrer aucun message, aucune critique sociale. On y trouve éventuellement une évocation d’un certain malaise adolescent dans les milieux défavorisés. Et un avis assez basique sur l’incarcération des mineurs – les jeunes en prison, c’est pas bien… – D’accord… Et après ?
Non, on a beau creuser, on ne comprend pas le sens du film de Kim Chapiron, et on déplore …

Certains vont nous rétorquer qu’un film n’a pas forcément besoin de faire passer un message ou de défendre une thèse pour être réussi. On les arrête tout de suite – et on les jette au mitard, ça leur apprendra ! D’accord, ils n’ont pas tout à fait tort. Une oeuvre cinématographique peut effectivement se contenter de procurer un pur plaisir narratif. Mais en quoi cette oeuvre-là se distingue-t-elle de tous les autres films carcéraux réalisés jusqu’à présent ? Surtout qu’ils sont légion, ces films…
Rien que l’an passé, le genre a offert aux spectateurs deux réussites majeures : Bronson de Nicolas Winding Refn et Un prophète de Jacques Audiard. Deux flms très différents, mais qui ont en commun de surpasser en tous points le film de Kim Chapiron, tant sur le plan de l’esthétique que sur celui de la narration pure.

En fait, la seule chose qui distingue Dog pound du reste d’une production, c’est son casting impressionnant, extrêmement soigné. Le cinéaste a eu la bonne idée de s’appuyer sur des seconds rôles non-professionnels, issus de milieux délinquants. Par exemple, c’est en prison qu’il a recruté Taylor Poulin, qui incarne la brute épaisse terrorisant tous les autres codétenus.
Pour le reste, il a eu la chance de tomber sur de jeunes acteurs totalement investis dans leur rôle : Shane Kippel (Davis), Mateo Morales (Angel) et surtout Adam Butcher, impressionnant dans le rôle de Butch, un concentré de violence et de haine, au regard fiévreux, presque fou. Il est bien loin du rôle de gentil garçon de Ralph, le film qui l’a fait connaître des cinéphiles…
Dommage, alors, que cette quête de justesse et d’authenticité, cette rigueur dans les cadrages, cette sobriété de la mise en scène ne soient pas mises au service d’autre chose qu’une histoire très simple, déjà vue des dizaines de fois et, du coup, bien trop prévisible pour nous émouvoir…  

Dépourvu de toute ambition critique, Dog pound n’est finalement guère plus évolué que les films d’exploitation utilisant comme cadre prisons et pénitenciers. Il est même nettement moins fun…
On aurait presque préféré, finalement, que Kim Chapiron se lâche un peu plus, qu’il signe une série B déjantée proche de l’esprit des court-métrages qu’il a jadis signé pour Kourtrajmé (3).
Bon, n’exagérons rien. Ce Dog pound n’est ni ennuyeux, ni franchement raté… Juste frustrant au regard de son modèle, Scum. D’ailleurs, à quand une édition DVD française des films d’Alan Clarke, qui permettrait justement de le voir ou le revoir ?

 
(1) : Scum était à l’origine un film de commande de la télévision britannique. Alan Clarke en a fait une oeuvre “coup de poing”, loin des téléfilms édulcorés proposés à l’époque Outre-Manche. Traumatisés par cet étalage de violences sur des mineurs, la BBC a décidé de censurer le téléfilm, et attendra plus de dix ans pour le diffuser dans sa version intégrale. Entre temps, le cinéaste avait réalisé un remake avec les mêmes acteurs, destiné au grand écran…
(2) : Jeu de mot pourri juste pour signaler que littéralement, “dog pound” signifie “fourrière”…
(3) : Kourtrajmé est une société de production reposant sur un collectif de jeunes auteurs comme Romain Gavras et Kim Chapiron, destiné à favoriser la réalisation de projets atypiques et de donner leur chance à des non-professionnels. Plus d’infos sur le site : Kourtrajmé.com

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Dog pound
Dog pound

Réalisateur : Kim Chapiron 
Avec : Adam Butcher,  Shane Kippel, Mateo Morales, Lawrence Bayne, Trent McMullen 
Origine : Etats-Unis, France
Genre : Entre les murs 
Durée : 1h31
Date de sortie France : 23/06/2010

Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Excessif
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