Comme nous le faisait remarquer récemment PaKa, notre expert en neuvième art, on assiste actuellement à la mise en place d’une passerelle solide entre la bande-dessinée et le cinéma. De grands classiques de la BD, des mangas et des comics-books sont portés à l’écran, par des réalisateurs confirmés. On attend, entre autres, la trilogie Tintin de Steven Spielberg et Peter Jackson, le Quartier lointain de Sam Gabarski, le Transperceneige de Bong Joon-Ho…
Et, de plus en plus, ce sont les auteurs de BD eux-mêmes qui s’essaient à la mise en scène, ne laissant à personne d’autre le soin de mettre en images leurs créations. Créations qui sont d’ailleurs elles-mêmes découpées comme des films et truffées de références cinématographiques, histoire de boucler la boucle…
Récemment, des auteurs comme Marjane Satrapi (Persepolis), Riad Sattouf (Les beaux gosses), Blutch, Charles Burns & co (Peur(s) du noir) ont connu de beaux succès public et/ou critiques.
En février dernier, Joan Sfarr a créé l’évènement avec Gainsbourg, vie héroïque et devrait de nouveau faire parler de lui avec Le Chat du rabbin – il sort quand ? (1) Et par le biais de la même société de production, Christophe Blain devrait bientôt nous proposer la version cinéma de son “Isaac le pirate”…
Mais avant cela, c’est au tour de Pascal Rabaté de passer derrière la caméra pour adapter Les Petits ruisseaux (2), son album multi-primé, acclamé par la critique et bon nombre de bédéphiles, qui traite du sujet délicat, un peu tabou, de la sexualité des “seniors”.
L’intrigue reprend fidèlement la trame de la BD : Depuis son départ à la retraite et le décès de sa femme, Emile, un septuagénaire, mène une existence paisible dans un petit village d’Anjou. Une vie simple faite de rituels simples : son p’tit canon matinal entre copains au bistrot du coin, sa partie de pêche avec Edmond, son meilleur copain, lui aussi retraité, puis leur retour à la maison en voiturette électrique… Les deux hommes sont très complices, mais ne parlent que d’appâts et des techniques de pêche, et se connaissent finalement assez peu.
Un jour, Edmond lui ouvre son jardin secret. Il lui montre les toiles qu’il peint en secret, des nus féminins plutôt suggestifs et euh… originaux, témoignages de son amour pour les femmes. Au passage, il lui révèle avoir une vie amoureuse encore bien active, et avoir même rencontré depuis peu la nouvelle femme de sa vie.
Premier choc pour Emile, qui n’avait jamais imaginé retrouver quelqu’un après la mort de sa femme, et encore moins espéré connaître l’amour charnel avec une femme… Second choc : Edmond meurt quelques jours après lui avoir fait ces révélations.
Emile se retrouve complètement seul, perturbé dans ses habitudes, perturbé tout court. Et son trouble s’amplifie quand il rencontre la fameuse nouvelle amie d’Edmond, Lucie, une veuve du même âge que lui. Il se rend compte qu’il éprouve de nouveau le désir et devient un peu obnubilé par le corps des femmes, qu’il imagine complètement nues…
Pour reprendre ses esprits, il entame un périple qui le mène sur les chemins de son passé.
il s’agit d’un joli voyage initiatique. A première vue, l’expression pourrait sembler curieuse appliquée à un homme de soixante-dix ans, mais elle est totalement appropriée. Emile réapprend à vivre, à découvrir le monde qui l’entoure, à expérimenter, prendre des risques, à partir à l’aventure sans se soucier du lendemain. Malgré son corps plus flasque et les rides qui marquent son visage, il se comporte quasiment comme un adolescent, timide et mal dans sa peau à l’idée d’aborder les “filles”, tentant maladroitement de les séduire et pleurant à la première contrariété, comme si c’était sa première blessure amoureuse…
Voilà un film à recommander d’urgence pour toutes celles et ceux qui se trouvent trop âgés, ou qui ont peur de vieillir. On y rencontre des septuagénaires et sexagénaires encore verts, plein de dynamisme, ayant encore envie de profiter pleinement des quelques années qui leur reste à passer ici-bas.
Non, la vie ne s’arrête pas à soixante ans, ni à soixante-dix ou même à quatre-vingt ans, dans certain cas ( celui de Manoel de Oliveira, cinéaste de 103 ans encore en activité, laisse pantois…). Tant que le corps et l’esprit tiennent le coup, il faut continuer d’avoir des projets, de saisir toutes les occasions de prendre du bon temps…
Bon évidemment, il faudra déjà arriver jusqu’à la retraite, ce qui n’est pas gagné, au vu des projets gouvernementaux actuels… Mais ça, c’est un autre débat…
En attendant, Les petits ruisseaux donne envie d’y arriver, à la retraite ! Il y règne un climat de tendre insouciance, de temps suspendu, de douce torpeur.
On prend le temps de vivre, un peu comme lors des vacances d’été. On se laisse aller et on chasse les idées noires et les soucis. Cela est profondément cathartique pour le personnage d’Emile, mais aussi pour le spectateur, transporté par le récit et l’ambiance très “hippie” de sa seconde partie…
Oh, tout n’est pas parfait dans cette petite chronique intimiste… Le trait est parfois un peu trop épais, frise la caricature parfois – dans ses scènes de bistrot, par exemple – mais ne s’y vautre jamais, contrairement à Jean Becker dans La tête en friche. Et évidemment, la mise en scène du débutant Rabaté ne brille pas par son originalité et son audace. Le découpage fait très “BD”, case par case, séquence par séquence, champs et contrechamps… Presque un peu trop basique…
Mais l’ensemble possède malgré tout suffisamment de cohérence et de charme pour que l’on passe outre ces très menus défauts.
Les personnages et leurs problèmes existentiels étant au coeur de l’oeuvre, il fallait trouver les acteurs capables de leur donner chair, dans tous les sens du terme, et Pascal Rabaté s’est acquitté avec bonheur de cette mission délicate. Tous ses acteurs, souvent utilisés à contre-emploi, sont parfaitement choisis et mis en valeur.
Honneur aux dames, qui rivalisent de féminité, de charme et de sensualité, quel que soit leur âge : Bulle Ogier, Hélène Vincent et Julie-Parmentier campent avec talent et sensibilité ces sirènes tentant d’attirer dans leurs filets le personnage principal, pour la bonne cause…
Chez les hommes, outre quelques “trognes” familières (Bruno Lochet, Charles Schneider, Vincent Martin ou Joël Lefrançois) on retrouve Philippe Nahon, qui pour une fois, ne joue ni un psychopathe, ni une brute épaisse – juste un peintre un peu obsédé par le sexe et la pilosité de ces dames… – et, last but not least, Daniel Prevost, époustouflant de justesse et de pudeur, touchant, surprenant. Il évolue ici bien loin des rôles que lui confient usuellement les cinéaste français, rappelant qu’il n’est pas juste ce cliché du déconneur télévisuel qui lui colle à la peau depuis l’époque du “Petit rapporteur”…
Certains trouveront sans doute que le film est un brin trop naïf, trop beau pour être honnête. Non : optimiste et porteur d’une énergie communicatrice, rétorquerons-nous…
Ces Petits ruisseaux irriguent nos coeurs et nos âmes de leurs eaux calmes, rafraîchissantes et revigorantes. Ils nous donnent envie d’aller faire une promenade champêtre, une baignade estivale, une veillée au coin du feu et d’aller se coucher pour feuilleter les pages d’une bonne BD. Il paraît que c’est possible de 7 à 77 ans. Et probablement plus si affinité…
(1) : Initialement prévu pour cet été, le film ne devrait sortir qu’en novembre prochain, si la post-production ne pose pas de problèmes…
(2) : “Les petits ruisseaux” de Pascal Rabaté – éd. Futuropolis
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Les Petits ruisseaux
Les petits ruisseaux
Réalisateur : Pascal Rabaté
Avec : Daniel Prévost, Bulle Ogier, Hélène Vincent, Julie-Marie Parmentier, Philippe Nahon, Bruno Lochet
Origine : France
Genre : sérum anti-âge
Durée : 1h34
Date de sortie France : 23/06/2010
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Le Blog de Dasola
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