Si le festival du film policier de Beaune décernait un prix du scénario le plus tordu, cette année, L’heure du crime l’aurait probablement décroché haut la main.
Le film de Giuseppe Capotondi repose en effet sur une intrigue à multiples rebondissements et joue sur une ambiance angoissante, aux frontières du fantastique, qui nous amène à douter de tout ce que nous voyons à l’écran.
Le début, pourtant, est assez mou, plus digne d’un film romantique déprimant que d’un thriller haletant : Au cours d’une séance de speed-dating, Sonia, femme de chambre dans un hôtel, rencontre Guido, ex-flic qui travaille désormais comme gardien dans une luxueuse villa. En peu de temps et peu de mots, le courant passe entre ces deux âmes solitaires.
Les jours suivants, ils passent de plus en plus de temps ensemble, apprennent à se connaître, à se livrer l’un à l’autre, à révéler leurs blessures profondes, à ouvrir leurs jardins secrets. Au cours d’un moment passé ensemble dans le parc de la villa que Guido est censé surveiller, ils sont même sur le point de tomber amoureux…
Et là, c’est le drame… Guido est assassiné sous les yeux de Sonia, par des cambrioleurs venus dévaliser les lieux…
La partie intéressante du film peut alors vraiment débuter : La jeune femme se réveille à l’hôpital, un peu perdue. Elle se remémore peu à peu les événements, ainsi que des bribes de son passé, mais certaines choses lui paraissent aberrantes, impossibles. Comme cette photo qu’elle trouve dans sa poche, prise à Buenos Aires, alors qu’elle n’y est jamais allée. Elle se pose alors des questions sur sa propre identité. Et les choses ne s’arrangent guère quand un policier ami de Guido commence à la suspecter d’être complice des cambrioleurs et d’avoir joué un rôle dans l’assassinat…
Pire, sa raison commence à sérieusement vaciller. Elle entend des voix, croit voir Guido réapparaître, tel un fantôme… Et les gens agissent étrangement autour d’elle : comme son chef, à l’hôtel, dont l’attitude est des plus bizarres, à la fois mielleuse et inquiétante, ou ce prêtre qui la regarde fixement quand elle passe près du cimetière…
Dans ces moments-là, L’Heure du crime flirte ouvertement avec le fantastique et les vieilles ficelles du film d’épouvante. Juste ce qu’il faut pour amplifier le mystère, nous égarer encore plus dans les méandres d’un scénario qui ouvre de multiples options narratives. Guido est-il vraiment mort ? Sonia est-elle victime d’un complot destiné à la rendre folle ? A moins qu’elle ne soit réellement folle… Ou encore, est-elle également décédée et perdue dans les limbes…
On pense à de nombreux classiques du genre : un peu à Carnival of souls pour
l’atmosphère mortifère, pesante et inquiétante, un peu au Hantise de Cukor ou aux Diaboliques de Clouzot. Beaucoup à Sueurs froides d’Hitchcock, sans doute l’influence majeure de Giuseppe Capotondi…
Les apparitions de Guido rappellent en effet immanquablement celles de Kim Novak tourmentant James Stewart dans le chef d’oeuvre de Sir Alfred.
Evidemment, la mise en scène du cinéaste italien n’est pas du même calibre, mais elle a le mérite de rester humble. D’une sobriété exemplaire, elle illustre le thème du double (1) grâce à des cadrages assez précis, des compositions géométriques de l’image et des effets de miroir discrets. De la même façon, elle joue sur les ruptures, les décalages, histoire de bien montrer l’ambivalence des personnages et de souligner les différentes coupures narratives du récit.
Enfin, intelligemment, elle colle au plus près du personnage principal, Sonia. Grâce à la performance très fine de Ksenia Rappoport (2), on s’attache rapidement à ce personnage ambigu, qui dégage à la fois une grande fragilité et une force sous-jacente, et, désireux de découvrir ses secrets profondément enfouis, on se laisse entraîner dans l’intrigue.
L’angoisse monte crescendo, jusqu’à une scène terrifiante, qui marque une nouvelle rupture narrative. Mais chut, n’en disons pas plus pour ne pas gâcher le plaisir à nos chers lecteurs…
Disons juste que le dénouement, qui donne finalement les clés de l’énigme, est bien décevant, trop plat par rapport à la complexité de la construction savamment mise en place jusque-là.
A l’arrivée, L’Heure du crime est un petit thriller plaisant, au rythme et à l’environnement singuliers, mais qui, à cause de cette conclusion frustrante, ne parvient pas à devenir autre chose qu’un simple exercice de style.
Dommage… Cela dit, le cinéaste Giuseppe Capotondi n’en est qu’à sa première réalisation. Sans doute a-t-il le potentiel pour nous proposer quelque chose de plus abouti la prochaine fois…
(1) : Le titre original, “la doppia ora” (l’heure double), joue sur cette idée de double et de miroir…
(2) : La belle actrice a d’ailleurs remporté la Coupe Volpi de la meilleure actrice à la Mostra de Venise 2009 pour ce rôle…
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L’Heure du crime
La Doppia Ora
Réalisateur : Giuseppe Capotondi
Avec : Ksenia Rappoport, Filippo Timi, Antonia Truppo, Gaetano Bruno, Lorenzo Gioielli, Fausto Russo Alesi
Origine : Italie
Genre : suspense hitchcockien au dénouement décevant.
Durée : 1h35
Date de sortie France : 04/08/2010
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Les Inrockuptibles
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