“Djinns” de Hughes et Sandra Martin

On ne pourra pas reprocher à Hughes et Sandra Martin, les réalisateurs de Djinns, le manque d’audace de leur projet.
Oui, il fallait oser tourner ce film fantastique au premier degré, alors que le cinéma de genre français, malgré quelques belles tentatives, peine à trouver son public et se retrouve donc logiquement assez mal distribué en salles.
Et il fallait oser l’inscrire dans le contexte de la guerre d’Algérie, une période historique encore un peu taboue, du moins encore sensible, comme l’a montré le remue-ménage cannois autour de Hors la loi (1).

Djinns - 2

Djinns se déroule en effet en 1960,  en plein pendant la révolution des algériens pour leur indépendance. Un groupe de soldats français est envoyé dans le désert saharien méridional, avec pour mission de repérer un avion militaire français qui s’y est crashé. Ils ne retrouvent pas de survivants, mais récupèrent une mystérieuse mallette qui semble être le véritable enjeu de leur expédition.
Alors que les soldats s’apprêtaient à rentrer à la base, l’embuscade d’une petite unité de fellagas les contraint à la fuite. Ils se retrouvent pris dans une tempête de sable et n’ont d’autre choix que d’aller se réfugier dans un petit village isolé au coeur du désert.
Le groupe, sur les nerfs, se retrouve coincé là, sous la menace d’une intervention des rebelles indépendantistes. Mais ils ignorent qu’une autre menace, invisible, plane sur eux : les djinns, des esprits du désert, semblent bien décidés à ne pas les laisser partir d’ici vivants. Ils utilisent leur pouvoir de persuasion et de manipulation mentale pour attiser les dissensions entre les membres du groupe, clivé depuis le début entre les soldats expérimentés, vétérans d’Indochine, et les jeunes appelés, et les pousser à s’entretuer…

L’intrigue ne manquait pas de potentiel. Elle évoque La Patrouille perdue de John Ford,  dont les héros étaient aussi des soldats piégés dans le désert, encerclés par un ennemi invisible et soumis à une forte pression interne. Ou The Thing de John Carpenter, où une créature extraterrestre semait la discorde et la paranoïa parmi les chercheurs d’une base isolée dans le désert… glaciaire antarctique…

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A l’arrivée, cependant, le film s’avère inabouti. Les deux jeunes réalisateurs se sont appliqués à soigner leur ambiance, à jouer sur la spécificité du décor naturel, splendide (2) mais n’ont pas réussi à générer un véritable suspense.
La structure du film, où l’unique survivant, revenu avec la fameuse mallette, raconte son histoire à ses supérieurs, en un long flashback, nous donne déjà une assez bonne idée du déroulement des opérations, et le twist final, qui se voulait sans doute spectaculaire, est totalement éventé par les rêves/visions qui assaillent le jeune soldat joué par Grégoire Leprince-Ringuet. Du coup, tout est bien trop prévisible.
Et comme les péripéties sont rares et le rythme de narration assez lent, le film se trouve totalement dépourvu de ce climat de tension qui aurait dû le porter jusqu’au dénouement.

Si elles sont techniquement assez réussies, les “apparitions” des fameux djinns, mélanges de mirages, de vent et de sable, n’ont rien de terrifiant.
Mais avaient-elles pour fonction de nous faire frissonner ? Après tout, la morale du film est que les hommes, avec leur soif de domination et leurs ardeurs guerrières, sont bien plus malfaisants que les esprits qui peuplent le désert – et qui finalement n’embêtent personne. Les cinéastes ont donc logiquement cherché à s’appuyer sur les personnages, leur folie, leurs relations houleuses, pour faire monter la pression et créer le suspense.

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C’est justement là où le bât blesse… Car pour que cela fonctionne, il aurait fallu que l’on puisse s’attacher aux différents protagonistes, s’identifier un minimum à eux, ce qui implique un casting de qualité homogène et des performances d’acteurs subtiles.
Or ce n’est pas vraiment le cas, hélas…

Grégoire Leprince-Ringuet, décidément très présent à l’écran cette année, est une nouvelle fois trop lisse pour susciter l’adhésion du spectateur à son personnage de jeune soldat idéaliste. Son talent d’acteur n’est pas en cause, mais il n’est pas sûr que le cinéma d’aventures ou le thriller soient vraiment des genres pour lui…
Même chose pour Matthias Van Khache et Grégory Quidel, pas franchement crédibles en petits soldats…

Mais au moins ont-ils le mérite de rester sobres, ce qui n’est pas le cas de Cyril Raffaelli, gros dur un peu caricatural, et surtout de Thierry Frémont, qui en fait des tonnes en soldat haineux, raciste et violent. Il aurait fallu d’une part nuancer un peu le personnage, lui donner une autre épaisseur, et d’autre part canaliser le jeu de l’acteur. Bien employé, Thierry Frémont peut être un atout pour un film (comme, par exemple, dans Une affaire d’état d’Eric Valette), mais si on le laisse partir en roue libre, il peut aussi rapidement devenir un boulet. Et c’est le cas ici.

En fait, seuls Aurélien Wilk, Stéphane Debac,  Emanuel Bonami – impressionnant en brute massive et mutique – et Saïd Taghmaoui tirent leur épingle du jeu, mais ils ne sont pas toujours assez bien exploités par les cinéastes. Dommage…

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Autre reproche, le contexte de la guerre d’Algérie, qui était pourtant une des idées intéressantes du script, n’est finalement que très peu exploité.
Eventuellement, on peut voir dans le film une critique de la brutalité des soldats français vis-à-vis des autochtones, une dénonciation de l’usage de la torture lors d’interrogatoires musclés, mais guère plus. Il aurait été intéressant de tirer parti du contexte trouble de l’époque, des avis divergents sur l’utilité de ce combat et la façon de le mener le combat qui provoquaient des clivages au sein de chaque camp, ou encore de montrer que l’homme, créature dérisoire, faible et mortelle, n’a pas de légitimité à réclamer un droit de propriété sur une terre qui appartient à des esprits ou aux forces de l’univers…
Bien sûr, il reste quand même la fin du film, dont le message pacifiste est évident et assez universel… Mais sur le même thème, on peut préférer le bouleversant documentaire Gerboise bleue de Djamel Ouahab, plus fort, plus pertinent et bien plus percutant…

Djinns avait le potentiel pour donner un très bon film de genre français, intelligent, surprenant, audacieux. Hélas, il faut bien reconnaître que, malgré des qualités artistiques évidentes et la volonté de prendre le genre au sérieux, il n’est pas à la hauteur des attentes. La faute, principalement à une direction d’acteurs pas toujours inspirée. Bon, soyons indulgents : il ne s’agit que d’un premier long-métrage et son tournage s’est probablement déroulé dans des conditions délicates, laissant peu de marge de manoeuvre aux deux réalisateurs.
Pour leur prochain projet, on espère que ceux-ci, dont le talent reste prometteur, sauront soigner ce point précis et gommer les quelques défauts dont souffre cette première réalisation…

(1) : Une polémique a éclaté autour du film de Rachid Bouchareb, des hommes politiques l’accusant d’être pro-FLN et de livrer une version biaisée de l’histoire, sans même avoir vu le long-métrage. Suffisant pour provoquer des manifestations en tous genres dans les rues de la cité azuréennes (harkis, partis de droite ou d’extrême-droite…). Preuve que les blessures du passé sont encore à vif…
(2) : Le village vu dans le film se situe en fait au Maroc. Il s’agit d’un endroit du nom d’Aït Mouloud.

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Djinns

Réalisateurs : Sandra Martin, Hughes Martin
Avec : Grégoire Leprince-Ringuet, Thierry Frémont, Saïd Taghmaoui, Aurélien Wilk, Cyril Raffaelli
Origine : France
Genre : Fantastique, guerre
Durée : 1h40
Date de sortie France : 11/08/201

Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  My Screens
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