Culte du dimanche : Minority Report

Par Fredp @FredMyscreens

C’est étonnant comment la SF au cinéma a une petit longueur d’avance sur la réalité et nous fait entrevoir les technologies à venir. Et en ce moment, le plus représentatif de ces évolutions, c’est bien Minority Report.

Le Steven Spielberg des années 2000 est étrange. Alors que ses films de SF étaient remplis d’espoir dans les années 80 (E.T. et Rencontres du 3e Type), les années 2000 nous présentent un homme beaucoup plus pessimiste. Un virage qu’il a commencé à prendre en travaillant sur A.I. et qui se confirme avec Minority Report, sa première collaboration avec Tom Cruise et se poursuivra avec La Guerre des Mondes.

Au départ, Minority Report est un roman du très grand (et barré) Philip K Dick à qui l’on doit Blade Runner, A Scanner Darkly ou encore Total Recall. Un univers sombre, violent, emprunt de réflexions paranoïaques sur notre monde et notre rapport à la réalité. On imagine alors assez mal Steven Spielberg se plonger dans cette noirceur. Mais il faut croire que l’homme derrière E.T. a changé après le 11 septembre et que Tom Cruise a su trouver les bons arguments pour le convaincre.
En 2054, nous suivons alors le parcours de John Anderton, agent de PreCrime, un département de la police qui peut prédire et arrêter les crimes à venir. Le système marche à la perfection jusqu’à ce qu’il voit qu’il fait lui-même l’objet d’une prémonition où il tuerai quelqu’un de sang froid.

Avec une histoire pareille, on touche forcément à des thèmes qui passionnent en SF autant qu’ils parlent du présent. Dans un contexte d’actualité où la menace terroriste est bien présente (le film est sorti en 2002), pas étonnant qu’un système où on pourrait empêcher les crimes soit un fantasme des autorités. Et si l’on peut empêcher les crimes, doit-on enfermer les criminels qui n’ont du coup pas commis leur méfait ? Si l’on peut prédire ces actions, sommes-nous alors maîtres de nos destinées ? Peut-on agir pour que le futur de ne se produise pas ou est-il irrémédiablement amené à se produire ? Autant de questions pratiques, morales et philosophiques qui sont parfaitement dosées dans le film pour nous faire réfléchir.

L’autre aspect SF parfaitement réussi et en accord avec les questions posées est la technologie utilisée. Nous nous retrouvons 50 ans dans le futur et l’évolution des outils est naturelle. On imagine très bien que tout ce qui est présenté va arriver (pas comme les voitures volantes que l’on nous promet depuis les années 50). Un écran que l’on manipule manuellement (on y arrive presque déjà avec la technologie tactile), nos films et photos souvenirs diffusés en hologrammes (réalité augmentée ?), le journaux qui s’actualisent dans le métro (iPad?), les écrans pub qui nous reconnaissent et nous proposent des produits adaptés (on y est aussi). Pas étonnant de voir tout cela quand on sait que Spielberg a rassemblé autour de lui la crème de la crème de scientifiques pour imaginer ce que sera notre quotidien dans 50 ans. Du coup, on croit fortement à ce futur possible et l’intrigue n’en est que plus intéressante.

Sous couvert d’un blockbuster bien mené, Spielberg rend aussi lui-même son petit hommage au film noir. Impossible de passer à côté, de par l’intrigue policière, les clins d’œil à Hitchcock, mais aussi par le traitement des images. Encore une fois, son fidèle collaborateur Janusz Kaminski réalise un travail exceptionnel sur la photographie du film, avec filtre bleu et saturation des ombres, en ajoutant une couche à l’atmosphère sombre du film. L’emprunte classique se matérialise aussi avec la partition toute en justesse et en subtilité de John Williams. Et bien entendu, les acteurs sont tous très bon. A commencer par un Tom Cruise habité. Cela faisait des années que Cruise et Spielberg devaient travailler ensemble et Minority Report concrétise cette alliance en nous offrant un grand film qui n’est pas à la gloire de la star mais à la gloire d’un futur sombre. Cruise est parfaitement crédible dans la peau du personnage principal, hanté par la disparition de son fils. Il subira même les aléas du script qui le verra grimé et méconnaissable, suivant aveuglement les envies du metteur en scène. A ses côté, Max Von Sydow impose toujours naturellement sa présence avec une grande ambiguïté et Colin Farrell fait bien son job de jeune loup aux dents longues et avide de vérité. Et Peter Stormare offre l’une des séquences les plus troublantes du cinéma de Spielberg avec son personnage de chirurgien complètement dans l’illégalité opérant dans un appartement insalubre.

De son côté, Spielberg se montre plus sombre que jamais mais toujours aussi efficace. Malgré quelques longueurs à certains instants, il installe comme pas deux des moments de tensions assez impressionnants (les « araignées»  lâchées dans l’immeuble), et quelques séquences d’action bien étudiées (les jetpack), mêmes si elles sont finalement assez rares (le réalisateur se concentrant surtout sur l’intrigue et l’avancée du personnage d’Anderton). On repère évidemment dans l’histoire la dimension qui a déclenché l’envie au réalisateur de réaliser le film : la sous-intrigue sur la famille décomposée suite à la perte du fils. Encore une fois, cette dimension familiale, fil rouge dans la filmographie de Spielberg, est présente et apporte l’humanité qui pourrait manquer à cet univers froid.

Au final, avec Minority Report, Spielberg nous aura apporté l’un des films de SF et d’anticipation les plus aboutis des années 2000, un blockbuster noir efficace et d’une grande intelligence, un rôle travaillé pour Tom Cruise que ne fait pas sa superstar mais qui subi ce que Spielberg lui impose. Spielberg nous montre clairement l’orientation qu’a prit sa carrière dans les années 2000. On pourrait même parler d’une « dark sf trilogy»  pour l’ensemble que forme AI, Minority Report et La Guerre des Mondes. En tous cas, pour le futur qu’il nous montre et les questions qu’il pose, il faudrait être aveugle pour ne pas voir en Minority Report un film culte.