Recette pour un film fantastique franco-belge :
Prenez une trame du style L’Auberge rouge, où les clients d’une ferme auberge isolée au find fond de la Belgique disparaissent mystérieusement.
Ajoutez-y une ambiance glauque à la Massacre à la tronçonneuse. Décor extérieur, une vieille bicoque insalubre en tôle et bois. Décor intérieur, un bar façon saloon texan et une pièce secrète dissimulant des cages et des instruments de torture…
Prenez une jeune femme solitaire, un brin rebelle. Choisissez une actrice “sérieuse” pour le rôle, qui nécessite de la finesse psychologique – c’est quand même l’héroïne du film, quoi! – Tiens, par exemple, Emilie Dequenne. Parce que ce serait drôle qu’un charcutier psychopathe veuille faire de la rosette de Rosetta…
Jetez-la sur la route au volant de sa voiture, sans but ni destination, et faites-lui prendre en stop un jeune homme apparemment aussi paumé qu’elle. Un brun ténébreux, genre Benjamin Biolay. Voire Biolay lui-même, c’est mieux, car ce serait marrant de voir l’auteur d’une chanson intitulée “Bain de sang” plongé dans un film d’horreur…
Emmenez le duo jusqu’à la funeste auberge et faites-les rencontrer la faune locale : une horde de Hell’s angels (trois gugusses en blouson noir feront l’affaire…), un shérif retraité – pardon, un flic retraité – et la propriétaire des lieux, une ex-championne de catch reconvertie dans la restauration… et les enlèvements de clients de passage…
Pour ce rôle-ci, le choix est vite fait… Des actrices au physique imposant, crédibles dans un rôle de péquenaude psychopathe, il n’y en a pas des masses. Le nom de Yolande Moreau s’impose très vite…
A partir de là, débrouillez-vous pour que l’héroïne soit kidnappée et enfermée dans une cage, à côté d’autres victimes de la folledingue. Saupoudrez d’une pincée de “torture-flick” façon Hostel (les captifs se font gaver comme des oies avec une infâme bouillie noirâtre).
Ajoutez à tout cela une poignée de goules. Oui, des goules… Des morts-vivants, quoi… Mais avec un look qui évoque les crawlers de The Descent…
En fait, le restaurant, c’est pour nourrir ces créatures, et les prisonniers sont au menu…
Enfin, nappez tout cela d’un final évoquant pêle-mêle Rio Bravo, Assaut et La Nuit des morts-vivants. Secouez bien tout ça et vous aurez…
… La Meute, le premier long-métrage de Franck Richard.
Une mixture cinématographique hautement curieuse, qui fait cohabiter des genres pas forcément compatibles entre eux – horreur, fantastique, western et film d’art et d’essai à message social – et brasse les références filmiques dans un grand vent de n’importe quoi…
Bon, après tout, pourquoi pas… Au moins c’est original, et le “n’importe quoi”, quand il est revendiqué et assumé, peut déboucher sur un spectacle parfaitement jouissif. Mais comme le rappelait récemment mon collègue PaKa dans une de ses chroniques BD, ce n’est pas parce qu’on fait du n’importe quoi qu’il faut le faire n’importe comment… Et là – hélas – c’est fait n’importe comment…
Le principal problème que l’on rencontre en regardant La Meute est que l’on ne sait pas trop comment on doit appréhender le film.
Le début du film semble jouer la carte de la parodie loufoque, avec ces “méchants” bikers en toc, joués par des acteurs pris en flagrant délit de cabotinage éhonté, ou son décor reconstituant un simili far-west dans les grands espaces du plat pays…
Le hic, c’est qu’on ne rit pas comme on le devrait…
Si on peut s’amuser d’une ou deux répliques sauvages de Yolande Moreau : “Si tu ne dégages pas de là, je repeins mon lino avec le jus de tes couilles”, on reste perplexe quand le personnage joué par Emilie Dequenne s’empêtre dans une histoire “drôle” un brin longuette… Et on est même interloqués de voir l’excellent Philippe Nahon, en parodie de vieux shérif, se transformer en homme qui murmurait à l’oreille des bicyclettes et enfourcher son deux-roues tel un poor lonesome cowboy……
Peut-être est-ce tellement décalé que tout le monde ne peut pas apprécier cet humour… Peut-être est-ce trop subtil pour nous autres, petits critiques de la blogosphère…
Mais bon, on est prêt à jouer le jeu, à accepter la carte de cet humour rustique particulier, de cette approche au dixième degré, du moment que l’action s’emballe un peu et que l’on bascule dans un bon gros délire jubilatoire.
Sauf que non, Franck Richard, en tant que fan du genre, a aussi envie de proposer un vrai film d’horreur sérieux, qui respecte les conventions du genre à la lettre.
Alors c’est parti pour une succession de scènes convenues – donc pas du tout terrifiantes – et de facilités scénaristiques hautement improbables.
Difficile, par exemple, de gober que l’héroïne tente d’élucider seule le mystère de la disparition de cet auto-stoppeur qu’elle ne connaît que depuis à peine une heure… Et qu’elle se jette elle-même dans la gueule du loup…
Evidemment, si elle reprend la route jusqu’à trouver un véritable officier de police, il n’y a plus de film… Mais bon, quand même, l’auteur aurait pu faire un petit effort d’imagination…
Et ça, c’est encore acceptable… Car le scénario souffre de nombreuses incohérences… On peine à comprendre les motivations du personnage joué par Benjamin Biolay (L’acteur lui-même semble un peu perdu, d’ailleurs…). Et on a du mal à comprendre le cheminement du groupe complet : Pourquoi, après avoir neutralisé l’aubergiste psychopathe, les protagonistes ne s’enfuient-ils pas ? Et s’ils voulaient vraiment buter les créatures, pourquoi vont-ils rejoindre les bikers plutôt que de les attendre sagement dans le snack-bar? Absurde, non? Quant aux créatures, vu l’ingéniosité dont elles font preuve pour aller chasser leurs proies potentielles, on se demande bien quelle est l’utilité de Yolande Moreau là-dedans…. Manifestement, les goules n’ont pas besoin d’elle pour trouver de quoi manger…
Le cinéaste essaie bien une amorce d’explication sur la nature réelle de ces créatures : les monstres sont en fait d’anciens mineurs ensevelis et oubliés après la fermeture des bassins miniers… Ils sont liés aux terrils et réclament vengeance…
Cette idée – la meilleure du film - confère au récit un côté social, historique et politique, qui s’inscrit dans la lignée des auteurs cités en référence par Franck Richard, les John Ford, George Romero ou John Carpenter…
Sauf que, d’une part, ces références sont écrasantes pour un jeune réalisateur débutant, et d’autre part, le ton parodique/outrancier mis en place depuis le début décrédibilise totalement ce message “sérieux” de l’oeuvre…
Restent les effets horrifiques, relativement réussis, mais très rares. La meute elle-même n’a pas trop fière allure : elle semble ne compter que trois ou quatre créatures. A peine le double en final… On se fout de notre goule ou quoi ?
Et puis, le problème, c’est que l’on ne frissonne pas plus que l’on ne rigole… On n’est pas horrifié non plus, si ce n’est de voir de bons acteurs gâcher leur talent en cabotinant sans vergogne dans cette sombre histoire…
Pire : on se surprend fréquemment à regarder sa montre, pour en finir au plus vite avec cet objet filmique passablement ennuyeux…
Bref, ce n’est pas avec ce film que l’on arrivera à convaincre les détracteurs du cinéma de genre à la française… Dommage… Le cinéaste était sans doute animé des meilleures intentions, mais, à cause de son manque de moyens flagrant, de ses maladresses au niveau du scénario et de la mise en scène et de son incapacité à choisir entre deux voies radicalement opposées, et incompatibles, La Meute ressemble à une série Z ringarde et affligeante…
On aurait aimé aimer ce film, longtemps attendu et présenté comme l’emblème de la jeune garde du cinéma horrifique français depuis sa projection polémique à Cannes. Raté… Il faudra encore du travail pour atteindre le niveau de nos voisins espagnols dans le domaine… Eux ont assurément les bonnes recettes…
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La Meute
La Meute
Réalisateur : Franck Richard
Avec : Yolande Moreau, Emilie Dequenne, Benjamin Biolay, Philippe Nahon
Origine : France, Belgique
Genre : Foutage de goule…
Durée : 1h32
Date de sortie France : 29/09/2010
Note pour ce film : ●○○○○○
contrepoint critique chez : Cinéma is not dead
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