“Draquila, l’Italie qui tremble” de Sabina Guzzanti

Par Boustoune

Le 6 avril 2009, à 3h30 du matin, la ville de L’Aquila, capitale de la région des Abruzzes, est ravagée par un tremblement de terre de magnitude 6.3 sur l’échelle de Richter. 295 personnes trouvent la mort dans la catastrophe. Le centre-ville est entièrement évacué et interdit d’accès. Des milliers de personnes se retrouvent sans toit…
Et alors, et alors… Silvio est arrivéééé.

Le chef du conseil italien, Silvio Berlusconi, s’est immédiatement rendu au chevet des habitants traumatisés, promettant aux sinistrés la construction rapide de nouveaux logements en périphérie de la ville, conçus selon les normes antisismiques, et mettant à leur disposition des hébergements provisoire, dans des camps de fortune ou, pour les plus âgés, dans des hôtels confortables, mais éloignés de la ville…
Certains voient en lui un homme providentiel, un héros politique se démenant pour le bien-être de ses administrés…
Les autres voient en lui un filou opportuniste et dénoncent une manoeuvre politicienne destinée à faire oublier les différents scandales médiatiques et affaires judiciaires dans lesquels est empêtré il Cavaliere.  Mais aussi à faire appliquer un plan d’urgence assez opaque, offrant à Guido Bertolaso, président de la Protection Civile et proche de Berlusconi, les pleins pouvoirs pour la reconstruction de la zone, au détriment des municipalités et de la région.

Sabina Guzzanti, satiriste politique réputée en Italie et documentariste que l’on pourrait comparer à un Michael Moore en jupons, appartient définitivement à la seconde catégorie.
Avec Draquila, l’Italie qui tremble, elle se propose de dénoncer les dérives du pouvoir italien et le système édifiant mis en place par Berlusconi, mélange de magouilles politico-financières, de bidouillages des textes de loi, de contrôle des média, de musèlement des pouvoirs locaux et d’idéologie néo-fasciste…

Balayons tout de suite d’un revers de la main les premières critiques qui vont s’abattre sur la cinéaste. Oui, Sabina Guzzanti est de parti-pris. Elle ne partage absolument pas les idées politiques ultra-libérales de Silvio Berlusconi et, écoeurée par les scandales sexuels, les magouilles étouffées par la justice et les grossièretés proférées en public par ce dernier, le juge indigne de gouverner le pays.
Alors, elle n’hésite pas à lui rentrer dans le lard, le faisant passer tantôt pour un guignol, un bouffon grotesque – en l’imitant elle-même, avec talent – ou en mettant en lumière toutes les choses peu glorieuses généralement cachées par les média italiens, à la solde du pouvoir.
Son film n’est pas un documentaire au sens strict. C’est un pamphlet virulent contre le pouvoir berlusconien, un brûlot politique féroce qui vise à faire chuter il Cavaliere comme Fahrenheit 9/11 cherchait à déboulonner George W.Bush.

Mais attention, à la différence de Michael Moore, qui, pour son film, usait des mêmes méthodes que ceux qu’il combattait – mauvaise foi, images larmoyantes, patriotisme exacerbé – Sabina Guzzanti s’est livrée à une vraie enquête de terrain, Ou du moins, elle a essayé, passant outre les interdictions de filmer, la censure, les pressions, et bon nombre de basses manoeuvres qui en disent déjà long sur la liberté d’expression et d’information chez nos voisins transalpins…

La cinéaste oppose les témoignages d’une poignée d’habitants satisfaits de l’attention que leur porte le chef du conseil à la grogne de la grande majorité de la population, consciente de la manipulation médiatique destinée à assurer le prestige de Berlusconi et furieuse du décalage entre les paroles du gouvernement et ses actes… Ce faisant, elle donne la parole à tous ceux qui en étaient privés.
Comme elle l’affirme à plusieurs reprises, les média italiens, acquis à la cause de Berlusconi, écartent soigneusement toutes les informations qui pourraient être gênantes pour leur protégé et ne laissent filtrer que les témoignages favorables au Cavaliere…

Pire, les habitants de L’Aquila n’ont même pas le droit de manifester leur mécontentement dans la rue. Quand certains sinistrés tentent de dérouler des banderoles ou distribuer des tracts pour alerter leurs semblables du détournement des fonds publics, les policiers interviennent immédiatement pour museler les impudents.
D’ailleurs, on est assez stupéfaits de constater que les camps de fortunes aménagés en périphérie de la ville sont gardés jour et nuit par l’armée, la police ou les gardes de la protection civile. Officiellement pour protéger les camps des voleurs…
“Pour voler quoi ?” s’emporte une femme, agacée de l’omniprésence des forces de l’ordre dans les camps.
Car ces troupes ne se contentent pas de chasser les voleurs. Ils empêchent les journalistes de pénétrer dans les lieux et veillent à appliquer les règles édictées par les chefs des camps, qui s’apparentent à des contraintes liberticides.
Et, quand l’opération communication de Berlusconi s’achève avec la livraison de quelques appartements flambants neuf, mais totalement impersonnels à un nombre restreint de familles sinistrées, ce sont eux qui sont aussi chargés de faire évacuer les camps. Et tant pis si tout le monde n’a pas été relogé…
Le centre-ville étant toujours en ruines, les laissés-pour-compte sont priés d’aller voir ailleurs, loin de leur ville détruite…

Pourtant, on ne peut pas dire qu’il n’y avait pas les fonds nécessaires pour reloger tout le monde, pour réparer les bâtiments encore habitables en centre-ville ou pour faire durer un peu plus les logements temporaires en attendant la construction de suffisamment de logements pour tout le monde…
Avec tout l’argent dépensé pour l’organisation du G20 à L’Aquila, par exemple – une facture astronomique – ou avec les fonds proposés par les différents pays alliés de l’Italie, que le gouvernement Berlusconi a refusés…
C’est sûr, il valait mieux rester maître de la reconstruction de la ville, surtout quand elle permet de toutes les magouilles immobilières, les pots-de-vin, le détournement des fonds publics… Comme tout ceci se fait dans l’opacité la plus totale, sous couvert d’un état d’urgence, il aurait eu tort de se priver…

On est assez stupéfaits de voir que c’est à la Protection Civile qu’à été confiée la gestion de la reconstruction de la ville, plutôt qu’aux autorités locales. Ce n’est pourtant pas le métier de ces gens-là ! Les agents de la Protection Civile doivent assurer un travail de terrain, assurer la sécurité des habitants, prévenir toute catastrophe et secourir les victimes… D’ailleurs, la cinéaste pointe leur manque de réactivité face aux signes avant-coureurs du séisme. L’activité sismique anormale pendant les jours qui ont précédé le drame n’a pas été suffisamment relayée, et la ville n’a été évacuée qu’au moment du tremblement de terre…
Apparemment, à la Protection Civile – et surtout dans le bureau du chef de l’organisme Guido Bertolaso – on est plus doué pour compter les billets de banques soustraits aux citoyens italiens… Comme le souligne Guzzanti, le bonhomme est soupçonné de malversations et de corruption dans diverses affaires d’attribution de marchés publics.  Il aurait échangé des contrats immobiliers juteux ou l’attribution de chantiers  contre des faveurs sexuelles et des dessous-de-table.

Mais le document le plus révoltant, qui a d’ailleurs provoqué la colère de centaines de sinistré de L’Aquila, c’est la divulgation d’un enregistrement téléphonique entre des proches de Berlusconi, le soir du drame, dans lequel ceux-ci se réjouissent de la situation et des possibilités de combines crapuleuses qu’elle offre.
Ils riaient!” s’indigne un homme, qui a tout perdu dans la catastrophe, “Nous, on ne riait pas !”.
Difficile de ne pas partager le sentiment de révolte, la colère de ces gens face à un pouvoir méprisant, symbolique des dérives de l’ultralibéralisme et des politiques favorables aux plus riches et aux plus filous. Et après, ces hommes politiques pourris jusqu’à la moelle viennent s’autoproclamer pourfendeurs de la mafia et promoteurs de la justice sociale ! La bonne blague!

Sabina Guzzanti ne se prive pas d’enfoncer le clou et de se livrer à un démontage en règle du “système” Berlusconi, quitte à commettre quelques maladresses.
La dénonciation des liens de Berlusconi avec la mafia sicilienne, par exemple, manque un peu de rigueur. On peut évidemment adhérer totalement à cette hypothèse somme toute assez vraisemblable, vu que la Cosa Nostra est présente dès qu’il y a du pouvoir et de l’argent en jeu en Italie, mais les preuves annoncées sont assez faiblardes – le témoignage du fils d’un mafioso repenti – et cela nous dévie un peu du sujet de départ – les conséquences du séisme – qui se suffisait à lui-même…

Mais, malgré quelques séquences moins percutantes, le film tient néanmoins son pari. Déjà parce qu’il donne à réfléchir sur la politique menée par Silvio Berlusconi et ses sbires, une idéologie néo-fasciste enrobée d’une couche de guimauve  pour mieux faire passer l’amère pilule au peuple. Et parce qu’il invite à ne pas laisser la démocratie se laisser ainsi piétiner…
Ensuite parce qu’il sert de contrepoint choc aux média qui glorifient le chef du conseil italien et s’appliquent à passer sous silence tout ce qui pourrait écorner son image d’homme sympathique aux yeux du public/des électeurs.
Enfin et surtout parce qu’il se substitue à une opposition politique scandaleusement absente et silencieuse, et relaye la voix de centaines d’hommes et de femmes dont les droits sont bafoués par les autorités…

On peut penser ce que l’on veut des méthodes employées par la cinéaste ou de son parti-pris ostensiblement anti-Berlusconi, mais force est de constater que Sabina Guzzanti ne manque ni d’audace, ni de ténacité.
Il fallait un sacré courage pour attaquer aussi frontalement l’un des hommes les plus puissants d’Italie.
Espérons que ce Van Helsing des temps modernes – armée non pas de crucifix et autres gousses d’ail, mais d’un humour acéré comme un pieu en bois – contribuera à éliminer ce système malfaisant qui vampirise (1) le pays jour après jour, au risque de le laisser exsangue.

(1) : pour ceux qui n’auraient pas saisi le jeu de mots, le titre du film est une référence au  Dracula de Bram Stocker…

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Draquila, l’Italie qui tremble
Draquila – L’Italia che trema

Réalisatrice : Sabina Guzzanti
Avec : Sabina Guzzanti, Silvio Berlusconi, Guido Bertolaso et les habitants de L’Aquila
Origine : Italie
Genre : pamphlet acéré comme un pieu en bois
Durée : 1h33
Date de sortie France : 03/11/2010
Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  Critikat

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