Petite précision utile à tous ceux qui pourraient se laisser séduire par la publicité orchestrée autour de The American, ne vous attendez surtout pas au thriller haletant que laisse présager la bande-annonce, complètement à côté de la plaque (une fois n’est pas coutume… )
Certes, cette adaptation du roman de Martin Booth (1), nous entraîne dans le sillage d’un tueur à bout de souffle (George Clooney), poursuivi par des confrères animés des plus mauvaises intentions. Et certes, le film repose sur des codes propres au thriller – climat de paranoïa, personnages ambigus, inquiétants, courses-poursuites nocturnes et fusillades – disséminés ça et là au gré de la narration.
Mais voilà, le rythme du film, lui, n’a rien, mais alors rien de trépidant…
Et pour cause ! Le cinéaste aux commandes ici n’est pas un habitué des films d’action spectaculaires et des mises en scène nerveuses. Il s’agit d’Anton Corbijn, ancien photographe spécialisé dans les portraits de stars du rock et auteur du très remarqué Control, présenté il y a deux ans à Cannes.
Ce biopic de Iain Curtis, le défunt leader de Joy Division, se distinguait par une esthétique très travaillée – noir & blanc sublime et en plans fixes parfaitement cadrés -, un refus du sensationnalisme et un rythme lancinant.
Même si le réalisateur néerlandais a émis le souhait de changer radicalement de registre avec cette adaptation, il reste fidèle à cette logique de mise en scène lente et épurée.
Evidemment, il y a quelques scènes d’action, assez rythmées et efficaces, mais elles sont plutôt rares. On comprend très vite que le suspense, lié à une intrigue assez basique, est bien moins important que l’étude psychologique du personnage principal. Ce qui a intéressé le cinéaste – et sans doute l’auteur du bouquin – c’est d’observer les failles qui s’ouvrent dans l’âme de ce tueur impitoyable.
Le vernis du professionnel minutieux, mutique et froid, se craquèle soudain pour laisser entrevoir la profonde solitude qui le ronge, et l’envie de pouvoir vivre enfin une vie ordinaire, loin de l’agitation de son métier.
Cette métamorphose se fait par étapes, que Corbijn prend le temps de détailler : une mission en Suède qui tourne mal, pendant laquelle est sacrifiée une innocente ; la désagréable sensation de passer du statut de “chasseur” à celui de “proie” ; l’obligation de se mettre au vert dans un village des Abruzzes tranquille et ensoleillé ; la rencontre d’un prêtre qui semble avoir tout compris de sa personnalité ; l’amour naissant avec une ravissante prostituée…
Le cinéaste, tire profit du décor naturel de Castel del Monte, dont les routes sinueuses et escarpées traduisent le vertige qui saisit soudain le personnage, en pleine remise en question professionnelle et personnelle.
De même, il joue sur les effets d’ombre et de lumière pour créer une ambiance crépusculaire et fantomatique qui convient parfaitement à cette histoire de rédemption impossible.
Enfin, il utilise ses dons de photographe pour mettre en valeur un George Clooney d’une sobriété exemplaire. On devine que l’acteur, également producteur associé du film avec son vieux compère Grant Heslov, a vu dans ce rôle l’opportunité de montrer une autre facette de son talent, d’incarner un personnage plus complexe, plus ambigu que ce qu’il joue d’habitude…
Corbijn met aussi en valeur les traits burinés de Johan Leysen et la beauté de ses actrices, Irina Björklund, Thekla Reuten et Violante Placido.
Le problème, c’est que si d’un point de vue artistique, le film est assez réussi, le scénario manque singulièrement de densité.
Le script n’a rien de novateur. Par exemple, Bons baisers de Bruges, sorti il y a deux ans, reposait aussi sur l’idée de la rédemption de tueurs fatigués et créait une ambiance insolite en exploitant le décor singulier de la vieille cité belge.
Du coup, l’effet de surprise ne joue plus et on s’ennuie un peu – pour ne pas dire beaucoup – face à ce cheminement balisé et hautement prévisible, hélas…
Les défenseurs du film objecteront que l’intrigue n’est pas importante, que seul compte le cheminement du personnage principal, tout en intériorité, que Corbijn lorgne plus du côté de Michelangelo Antonioni et de son Profession reporter que d’un Michael Mann ou d’un Paul Greengrass. D’accord, et l’ambition est tout à fait louable, mais en citant le maître italien, Anton Corbijn s’expose à une comparaison qui ne peut que tourner en sa défaveur. Profession reporter était certes très lent et avare en explications, mais il était aussi plus intense, plus fin et marqué par une scène finale époustouflante de virtuosité technique.
Le cinéaste néerlandais est plutôt doué, mais force est de constater qu’il ne possède pas encore la maîtrise de la narration et de l’abstraction de son modèle…
The American ne manque pas de qualités, mais il risque fort de mécontenter une bonne partie des spectateurs. Ceux qui s’attendaient à un film d’action trépidant vont probablement sortir de la salle furieux d’avoir été trompés sur la marchandise. Les cinéphile, eux, seront eux aussi divisés quant à l’intérêt d’un film certes joliment fait, mais un peu creux et déjà-vu…
(1) : “The american” (“A very private gentleman”) de Martin Booth
– éd.Florence Massot
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The American
Réalisateur : Anton Corbijn
Avec : George Clooney, Violante Placido, Paolo Bonacelli, Thekla Reuten, Johan Leysen, Irina Björklund
Origine : Etats-Unis
Genre : errance psychologique
Durée : 1h43
Date de sortie France : 27/10/2010
Note pour ce film : ●●●○○○
contrepoint critique chez : Abus de ciné
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