Elles se prénomment Noémie et Priscilla. Elles sont jeunes et belles. Elles sont à l’âge de passer le baccalauréat et de commencer leur vie d’adulte.
Pourtant, elles veulent mettre fin à leurs jours. Mourir ensemble, dans un même élan, un même vertige, de façon délibérée, choisie, comme l’écrivain Heinrich von Kleist, qu’elles étudient au lycée…
La citation n’est pas fortuite. Car si on les dit “gothiques”, ces Filles en noir, qui donnent son titre au nouveau film de Jean-Paul Civeyrac, sont plutôt romantiques, au sens allemand du terme. Comprenez : à la fois portées sur le mystère et la spiritualité, et rebelles au système de pensée dominant, à l’ordre établi.
Pour elles, la mort n’est pas une fin mais un renouveau, le passage d’un état charnel à un état spirituel. Le suicide n’est pas un acte lâche mais un acte courageux, le refus d’une vie forcément imparfaite, source de frustrations, de dépit, de souffrances, et d’un enfermement dans un quotidien banal, affligeant de médiocrité.
On peut les comprendre. Il est vrai que leur quotidien n’est guère brillant…
Les amours ? Noémie a déjà fait une tentative de suicide, suite à une rupture sentimentale douloureuse. Priscilla est en train de se faire plaquer par son copain. Autour d’elles, les garçons sont immatures et les hommes sont lâches ou pervers…
La famille ? Priscilla est livrée à elle-même. En froid avec des parents qui ne s’occupent pas d’elle, elle est hébergée par sa soeur. Mais cette dernière la délaisse elle-aussi pour passer du bon temps avec son fiancé.
Et même quand le cadre familial semble stable, aimant, protecteur, comme celui de Noémie, ce n’est qu’une façade dissimulant secrets inavouables, incommunicabilité et hypocrisie…
L’avenir professionnel ? Quel avenir ? Etre chômeuses, être exploitées ou exploiter les autres? Elles trouvent la société “dégueulasse”, pensent qu’il faudrait tout brûler et tout recommencer… Mais comme elles savent pertinemment qu’on ne les laissera pas faire, elles préfèrent quitter ce monde de leur plein gré, plutôt que de trimer en attendant une mort minable, devant la télé, en train de manger des chips, ou bien vieilles et impotentes, délaissée de tout le monde…
La mort a toujours été au centre des oeuvres de Jean-Paul Civeyrac, tout comme les fantômes et le deuil. Mais cette fois, le cinéaste innove : il ne s’agit plus de pleurer la disparition d’un proche, mais de se préparer à passer soi-même de l’autre côté… Les personnages sont en effet leurs propres fantômes, des mortes en sursis, portant déjà le deuil de ce qu’elles sont/de ce qu’elles étaient…
A moins que, de leur point de vue, elle ne portent le deuil de tous les autres, leurs camarades, leurs parents, déjà morts à l’intérieur, incapables de réagir face aux injustices, incapable de nourrir des idéaux, de se battre pour un monde meilleur, plus juste, incapable, même, de communiquer les uns avec les autres…
Le portrait de notre société contemporaine, vu par le regard des deux adolescente, est en effet peu flatteur… Le rêve et les utopies sont remplacés par une médiocrité grise, terne, lugubre…
Ah, c’est sûr qu’il ne s’agit pas d’une comédie… Des filles en noir est film froid et crépusculaire, qui pourrait facilement susciter la déprime. Surtout pour une sortie automnale, sous la grisaille pluvieuse de novembre…
Mais, paradoxalement, l’oeuvre de Jean-Paul Civeyrac dégage une certaine douceur. La photo d’Hichame Alaoui joue sur des tonalités brunes/sombres enveloppantes, qui, paradoxalement dégagent une certaine chaleur, bien plus, en tout cas, que le gris-béton des paysages urbains. Elle confère aussi au film une ambiance vaporeuse, presque onirique, qui en atténue la dureté.
Un traitement des images similaire à celui de The Virgin suicides de Sofia Coppola, auquel on pense forcément un peu, sujet oblige… Sans la musique de Air, bien sûr, mais avec celle de Brahms, Bach, etc… Ce n’est pas mal non plus…
Et puis, il y a l’énergie, le feu intérieur des deux personnages, joués par deux comédiennes que l’on jurerait confirmées, mais qui font pourtant leurs débuts à l’écran. Des débuts fracassants, il faut le dire.
La brune Léa Tissier incarne une Priscilla fiévreuse et tourmentée, prête à suivre jusqu’au bout la seule fille qui semble s’intéresser à elle. D’abord passive, elle affirme peu à peu sa personnalité, plus complexe qu’elle n’y paraît.
La blonde Elise Lhomeau campe une fille charismatique, intense et mystérieuse, dont chaque regard semble destiné à vous transpercer l’âme. Elle aussi laisse peu à peu entrevoir les failles que porte en elle la belle Noémie.
Toutes deux font preuve d’une présence à l’écran qui n’a rien à envier à leur aînées, et on ne serait pas étonnés de les revoir très prochainement à l’écran, chez d’autres cinéastes qui auront su apprécier leurs formidables performances dans ce film…
Même si la mise en scène de Jean-Paul Civeyrac est tout à fait appréciable, ce sont elles qui portent véritablement le film sur leurs jeunes épaules. Et qui font de Des filles en noir l’une des belles réussites françaises de l’automne…
A découvrir, donc…
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Des filles en noir
Réalisateur : Jean-Paul Civeyrac
Avec : Elise Lhomeau, Léa Tissier, Elise Caron, Isabelle Sadoyan, Thierry Paret, Roger Jendly
Origine : France
Genre : Virgin suicides à la française
Durée : 1h25
Date de sortie France : 03/11/2010
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Filmosphère
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