“Outrage” de Takeshi Kitano

Y-aurait-il deux cinéastes nommés Takeshi Kitano ?
Comment imaginer que c’est le même homme qui nous a offert, au début de l’année, le très beau Achille et la tortue, l’un de nos coups de coeur de 2010, et qui, quelques mois après, nous livre cet Outrage fait au polar, film de genre médiocre, plat et ennuyeux ?

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En fait, à l’instar du Dr Jekyll/Mr Hyde de Robert Louis Stevenson, il y a toujours eu une sorte de dualité au sein de cette personnalité du cinéma japonais.
D’un côté, il y a le Docteur Kitano, cinéaste d’art & essai estimé, capable de livrer des oeuvres subtiles, fines, d’une bouleversante mélancolie, .
De l’autre, il y a Mister Takeshi, ou “Beat Takeshi”, le pseudonyme qu’il utilise pour faire l’acteur. Son physique atypique, fermé, dur, austère, agité de tics nerveux, convient parfaitement aux rôles de tueurs, de truands, de voyous et il ne se prive jamais de l’exploiter dans ses propres films ou chez d’autres (Fukasaku, Oshima, Miike…). Il tend à aller vers le cinéma de genre plus violent ou le burlesque totalement déjanté…

On peut évidemment aimer les deux facettes du personnage. Apprécier l’acteur quand il joue les instructeurs sadiques dans Battle Royale ou les brutes charismatiques dans Blood & Bones… Apprécier le cinéaste quand il livre les pudiques et intimistes Hana-Bi ou L’été de Kikujiro
Et évidemment, quand il parvient à concilier ces deux aspects de sa personnalité, comme dans Sonatine ou Violent cop, ou quand il en joue avec beaucoup d’autodérision, notamment dans Takeshi’s.
Mais force est de constater que, dans tous les films cités, le charme venait surtout de la finesse avec laquelle le cinéaste traitait ses sujets.
Si ses films de yakuza ont fait sensation, c’est avant tout parce que le Docteur Kitano veillait au grain et canalisait les excès de Mr Takeshi.
Sonatine et Hana-Bi sont magnifiques car la violence y est reléguée au second plan par rapport à l’émotion et aux tragédies humaines…
On a vu que, dès qu’il s’aventurait sur le terrain du film de genre pur et dur, le cinéaste perdait indéniablement de sa superbe.
Prenez Aniki, mon frère, par exemple. Le film est certes correctement filmé, mais son intrigue n’a rien de très enthousiasmant – une banale histoire de guerre des gangs et d’honneur tribal – et repose un peu trop sur des scènes de violente gratuite.

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Hé bien Outrage, c’est exactement pareil…
Même schéma narratif, avec yakuza à bout de course pris dans une guerre des gangs impitoyable. Même façon de filmer, même façon de jouer monolithique et peu expressive. Ici, Mister Takeshi prend carrément le dessus sur le Docteur Kitano… Et le résultat n’est pas brillant…

On se lasse très rapidement de cette succession de règlements de comptes, d’alliances et de trahisons, de petits complots fratricides, de coups tordus en tout genre, de doigts coupés et de fusillades, de crimes inutilement sadiques…
D’autant que le rythme n’est pas franchement soutenu et que les enjeux dramatiques sont bien minces…
La seule chose un tant soit peu intéressante, dans cette histoire, c’est la description des changements de mentalités dans le monde des truands.
On passe d’une organisation clanique à l’ancienne, avec des chefs à l’autorité incontestée et des hommes de mains fidèles, liés par le code de l’honneur yakuza, à des comportements plus individualistes, où de jeunes loups aux dents longues, prêts à toutes les compromissions et les trahisons, intriguent pour prendre le pouvoir.

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C’est aussi le chant du cygne d’une pègre reposant exclusivement sur des activités illégales classiques (trafics en tous genres, extorsions de fonds, “protection” de la population, tripots clandestins…) et laissant place à une criminalité en “col blanc”, avec petits génies de la finance et des affaires, trafics moins moraux mais plus lucratifs…

Mais tout cela a déjà été vu et revu dans des films récents, chez Johnnie To par exemple (Election 1 &2) ou même, d’une certaine façon, dans des films venus des Etats-Unis (American gangster) ou d’Europe (Gomorrah)…
Idem pour le coup du héros “melvillien” fatigué, en fin de parcours. Le stéréotype est lui aussi usé, archi-usé, plus du tout dans le coup…
Comme tout est hautement prévisible, que la violence extrême  de certaines scènes ne choquera plus que les petites natures et que l’humour de Kitano manque ici cruellement de subtilité, c’est l’ennui qui domine, hélas…
Avec Outrage, Takeshi Kitano ne progresse pas. Pire, il régresse en refaisant, en moins bien, ce qu’il a déjà fait avant…

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Maintenant, peut-être ce film paresseux n’est-il qu’une oeuvre commerciale destinée à renflouer les finances d’Office Kitano et permettre au cinéaste de financer des projets plus expérimentaux, plus personnels et autrement plus ambitieux. Dans ce cas, tant mieux, et vivement le prochain film…
Il n’empêche que cet Outrage n’avait pas sa place en compétition à Cannes cette année. C’était, et de loin, le film le plus plat, le plus médiocre de la sélection officielle – à l’exception, peut-être, de Wall Street : l’argent ne dort jamais – et on regrette qu’il n’ait été retenu que sur le nom du cinéaste, alors que les sections parallèles regorgeaient de pépites qui, elles, ont eu le mérite de proposer des oeuvres originales aux spectateurs…
Allez, on oublie cela très vite, on range Mr Takeshi dans le placard, et on laisse le Dr Kitano se remettre au travail pour nous livrer une de ces oeuvres fortes dont il a le secret…

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Outrage Outrage
Autoreiji

Réalisateur : Takeshi Kitano
Avec : Takeshi Kitano, Kippei Shiina, Ryo Kase, Jun Kinimura, Renji Ishibashi,  Takashi Tsukamoto
Origine : Japon
Genre : outrage fait à l’intelligence du spectateur
Durée : 1h 49
Date de sortie France : 24/11/2010
Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  Critikat

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