A l’origine de Machete, il y a un vieux scénario écrit par Robert Rodriguez juste après le tournage de Desperado et surtout, un personnage, Isidoro Cortez, un super-agent mexicain aussi à l’aise avec des flingues qu’avec des lames bien affûtées. Le film ne s’est jamais tourné, mais le bonhomme a fini par apparaître à l’écran sous les traits burinés du cousin de Rodriguez, l’inestimable Danny Trejo, dans la série des Spy Kids.
Puis il y a eu la volonté commune de Robert Rodriguez et Quentin Tarantino de réaliser un diptyque en hommage à ces séries B déjantées qui ont forgé leur cinéphilie et ont enchanté leur jeunesse, et qui étaient projetées en double programme dans des cinémas spécialisés dans le film d’exploitation fauché.
Chacun des deux compères a donc signé un des volets du projet “Grindhouse”, du nom donné à ces cinémas. Tarantino a signé Boulevard de la mort, croisement improbable entre film d’horreur, course-poursuite automobile et cinéma d’auteur très “Nouvelle Vague”. Rodriguez, lui, a signé Planète terreur, zombie-flick shooté à l’adrénaline et aux idées les plus folles.
Et entre les deux films, il y avait de fausses bande-annonces de films de genre, réalisés par d’autres cinéastes, comme Werewolf Women of the SS de Rob Zombie – le titre parle de lui même – ou Don’t, parodie des films Hammer signée Edgar Wright (1).
Robert Rodriguez n’a pas pu résister à la tentation de tourner lui-même la fausse bande-annonce de Machete, clin d’oeil aux films d’action virile qui ont nourri son adolescence et ont inspiré, entre autres, El Mariachi ou Desperado.
Avec, toujours dans le rôle-titre, l’imposant Danny Trejo .
Au départ, ce n’était donc qu’un clin d’oeil à un personnage récurrent de l’oeuvre de Rodriguez, une apparition hitchcockienne, voire une blague un peu potache. Mais le plaisir pris au cours de ce tournage, allié aux commentaires enthousiastes de certains spectateur face à la fausse bande-annonce, et à l’insistance de Trejo, ont poussé le cinéaste mexicain à réaliser le long-métrage correspondant. Et voici donc la version longue qui débarque sur nos écrans, tenant toutes ses promesses en offrant un spectacle complètement délirant, plein de testostérone, d’explosions, de fusillades et de répliques-cultes en puissance.
Le script reprend à peu près la trame de la bande-annonce originelle.
Machete (Danny Trejo, donc) était un ancien federale, un des rares policiers mexicains incorruptible. Mais, il a été pris au piège par le narcotrafiquant Torrez (Steven Seagal), qui l’a laissé pour mort après avoir assassiné sa femme et sa fille.
Mais c’est bien connu, les héros ne meurent jamais. On retrouve Machete de l’autre côté de la frontière, au Texas, prêt à commencer une nouvelle vie, comme tous ses camarades chicanos qui ont réussi à pénétrer sur le sol américain sans se faire arrêter par la police des frontières ou pire, descendre par les miliciens d’extrême-droite de Von (Don Johnson (2)).
Le problème, c’est qu’avec une tête pareille, personne ne veut l’embaucher pour faire des petits travaux ou du jardinage. On pense plus volontiers à lui pour commettre un assassinat politique, par exemple.
Il est engagé par Michael Booth (Jeff Fahey) pour assassiner le sénateur McLaughlin (Robert De Niro) (3), un politicien ultra-conservateur qui déteste les latinos et envisage, s’il est réélu, de construire un mur de séparation entre Mexique et Etats-Unis tout le long de la frontière (4). Machete n’a pas d’autre choix que d’accepter le contrat s’il ne veut pas être expulsé.
Le jour J, alors qu’il est sur un toit d’immeuble, prêt à accomplir sa tâche, un second tireur tente de l’abattre avant de blesser le sénateur. Machete comprend qu’il n’a été engagé que pour servir de bouc émissaire. Booth était en fait un des hommes de main de McLaughlin, et l’attentat, un simulacre destiné à faire remonter la cote de popularité du sénateur juste avant les élections, tout en faisant grimper les tensions communautaires. Le plan était parfait, à un détail près : Machete survit. C’est bien connu, les héros ne meurent jamais…
Booth pensait avoir engagé un pauvre péon inoffensif, facile à mettre hors circuit. Erreur : il a “fait chier le mauvais mexicain”. Machete a beau avoir sur le dos les hommes de main de Booth, des tueurs patibulaires et la police américaine, en l’occurrence la très sexy Sartana (Jessica Alba), c’est lui qui mène la danse et il entend bien faire régner l’ordre à sa manière – très affûtée.
Et quand il apprend que Booth, McLaughlin, Von et son vieil ennemi Torrez sont tous liés les uns aux autres par les mêmes magouilles crapuleuses, sa motivation s’en trouve évidemment renforcée.
En clair, ça va barder, d’autant que Machete peut compter sur quelques amis excités de la gâchette comme Luz (Michelle Rodriguez), vendeuse de tacos le jour et révolutionnaire armée la nuit, plus connue sous le nom de guerre de “Shé”, alter-égo féminin de Ché Guevarra, et sur son frangin, “Padre” (Cheech Marin) un prêtre qui a une curieuse interprétation de la justice divine…
Sur le papier, on s’attendait donc à un film d’action bien bourrin et très fun avec fusillades dantesques, explosions à gogo, affrontements virils et répliques qui tuent
A l’écran, c’est exactement cela, en mieux. Un grand trip d’action décomplexé, dans la lignée de Planète terror ou des premiers films mexicains de Rodriguez, entre thriller violent et western parodique.
Danny Trejo, qui tient enfin son grand rôle après des années de seconds rôles de truands ou d’hommes de main hargneux, s’en donne à coeur joie dans la peau du superflic mexicain, concurrençant aisément Jason Voorhees (5) dans le concours de décapitations à la machette, mettant à terre des gorilles avec des outils de… jardinage, ou vérifiant la longueur du tube digestif de l’être humain tout en réalisant une évasion spectaculaire (il faut le voir pour le croire).
Les autres acteurs sont au diapason, s’amusant comme des fous dans des numéros de cabotinage décomplexé ou d’autodérision.
Côté bad guys, Steven Seagal s’autoparodie à coups de froncement de sourcils et de moulinets de sabre. Il est aussi mauvais que d’habitude, mais là c’est permis et même exigé par contrat. Tom Savini abandonne les effets spéciaux pour incarner un tueur à gages (im)pitoyable. Jeff Fahey et Don Johnson jouent les pourris avec délectation.
Du côté des “gentils”, Cheech Marin se régale et nous régale en jouant ce prêtre haut en couleurs qui donne les derniers sacrements à coups de canon scié et est aussi prompt à assurer le culte qu’à débiter des répliques, cultes également :
”- Pitié, Padre. ¨Pardonnez-moi…
- Dieu pardonne. Moi pas…”
Mais les filles sont aussi très en forme(s). Jessica Alba ne sert pas à grand-chose, si ce n’est à apporter une petite touche de féminité bienvenue dans un univers très viril. On lui décernerait bien le titre d’actrice la plus sexy du film, mais elle doit faire face à la concurrence de Lindsay Lohan, qui nous émoustille en batifolant avec Machete dans une piscine, et de Michelle Rodriguez, qui combine tenue sexy moulante et look de guerrière révolutionnaire, bandeau sur l’oeil – comme l’Elle Driver de Kill Bill ou Christina Lindberg dans Thriller – et mitraillette au poing.
Toute cette joyeuse troupe joue à cache-cache tout au long du film, jusqu’à l’affrontement final, qui bascule dans le grand n’importe quoi. Les deux camps jettent toutes leurs forces dans la bataille. On se bat à coups de poings, d’armes blanches, de flingues, de mitrailleuses, de bazooka ou de débouche-chiottes (un lapin crétin égaré, sans doute…). Machete fait des cascades à moto. Robert De Niro cabotine déguisé en péon. Une nonne exterminatrice surgit d’on ne sait où, si ce n’est de chez Ferrara et de son Ange de la vengeance. Des infirmières sexy dans le plus pur style “Chicks with guns” cher à l’auteur de Jackie Brown viennent administrer des pilules calibre 9 mm. Steven Seagal oublie de casser des bras et se prend une branlée pour la première fois de sa carrière. Comme quoi, huit ans de blues et de burgers, ça laisse des traces…
Mais du N’importe quoi totalement jouissif, flirtant avec le ridicule sans jamais Oui, c’est du grand n’importe quoi, mais qui ne sombre jamais dans le ridicule. Du grand n’importe quoi de talent, du grand n’importe quoi hautement jouissif, qui procure un véritable plaisir régressif.
Si vous vous attendiez à du grand cinéma, vous pouvez passer votre chemin. L’ambition de Robert Rodriguez et d’Ethan Maniquis, le co-réalisateur, n’était certainement pas de livrer un chef d’oeuvre du film d’art & d’essai, mais de livrer un divertissement hautement efficace, qui enthousiasmerait son public et rendrait hommage au cinéma de genre qu’il affectionne, en brassant très large, des vieux films de “mexploitation” à John Woo, en passant par Sergio Leone et Sam Peckinpah.
C’est réussi, et cela réjouira aussi bien les admirateurs du cinéaste (il en a) que les amateurs de pastiches déjantés.
On attend maintenant d’autres adaptations Grindhouse aussi funs que celle-là, et, pourquoi pas, les suites annoncées dans le générique de fin, Machete kills et Machete kills again…
(1) : Pour être complets, ajoutons le Thanksgiving d’Eli Roth et le Hobo with a shotgun de Jason Eisener, John Davies et Rob Cotterill. Ces deux bandes-annonces devraient elles aussi se muer prochainement en de véritables longs-métrages.
(2) : Ironiquement, le générique affiche “introducing Don Johnson” / “pour la première fois à l’écran, Don Johnson”, alors que l’acteur de Miami Vice a joué dans de nombreux films et séries.
(3) : Petit écart par rapport à la bande-annonce originelle, dans laquelle Machete devait assassiner… John F. Kennedy.
(4) : Cette barrière, la “Secure fence” existe bel et bien et, depuis 2006, elle continue d’être prolongée le long de la frontière. Machete avec son aspect vintage, est supposé se dérouler dans les années 1960/1970.
(5) : Le tueur de la série des Vendredi 13 dont l’arme favorite est la machette.
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Machete
Machete
Réalisateurs : Robert Rodriguez, Ethan Maniquis
Avec : Danny Trejo, Michelle Rodriguez, Jessica Alba, Jeff Fahey, Steven Seagal, Robert De Niro
Origine : Etats-Unis, Mexique
Genre : Grindhouse film
Durée : 1h45
Date de sortie France : 01/12/2010
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Blog d’une ciné-geekette
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