“Holiday” de Guillaume Nicloux

Par Boustoune

En une dizaine d’années, Guillaume Nicloux s’est imposé, par ses écrits et ses films, comme l’un des chefs de file du polar français. Une affaire privée en 2002, puis Cette femme-là en 2003, ont réussi à séduire les amateurs du genre, grâce à leurs ambiances étranges, leurs personnages atypiques et surtout à la mise en scène efficace du cinéaste.
Mais Le Concile de pierre, film de commande adapté du roman de Jean-Christophe Grangé, ne marquera pas les mémoires des cinéphiles, ses qualités artistiques se retrouvant plombées par une intrigue au dénouement ridicule. Et La Clef, dernier volet de sa trilogie noire, a dérouté public et critiques, laissant craindre une nette perte d’inspiration du cinéaste.

Alors, avec Holiday, Guillaume Nicloux a choisi de retourner aux sources et de retrouver ce mélange de comédie et de polar qui avait assuré le succès de Le Poulpe, le film qui l’a fait connaître du grand public  – et dont on ne désespère pas voir un jour une suite (1). Il a embarqué ses acteurs-fétiches, Jean-Pierre Darroussin, Josiane Balasko et Yves Verhoeven, dans une nouvelle aventure cinématographique, une partie de Cluedo géante dans un hôtel de charme près de Cahors.

De charme ou de charmes, car cet établissement apparemment bien sous tous rapports, tenu par un maître d’hôtel distingué (le toujours très raide et classieux Eric Naggar), ressemble plus, en y regardant de plus près, à un gigantesque lupanar ou un joyeux bordel. D’où une affiche revendiquant la description de “comédie polisexe” et un générique de début assez particulier…

Il faut dire que si le personnage principal, Michel Trémois (Jean-Pierre Darroussin) a emmené son épouse Nadine (Judith Godrèche) passer le week-end dans ce manoir isolé, c’était avant tout pour relancer son couple, tombé en panne des sens depuis près d’un an. Usure du quotidien? Blocage psychologique? Crise de la quarantaine? Toujours est-il que Madame n’arrivait plus à atteindre l’orgasme…

Le bonhomme comptait bien profiter de ce week-end pour qu’elle se détende et qu’elle puisse retrouver un petit peu d’ardeur. C’était sans compter sur la présence de sa belle-mère  (Josiane Balasko) , dépressive depuis que son mari l’a quittée. Et sur les autres clients de l’hôtel, tous plus bizarres les uns que les autres : un nain échangiste et sa bimbo de femme, un voyeur vicelard à la dentition infecte , un gynécologue suicidaire, une nymphomane dominatrice, un vieux beau sexuellement actif, un peintre don juan et une cantatrice castratrice. Rien que ça…
Plus une domestique complètement allumée (géniale Françoise Lebrun) qui refuse d’accéder aux demandes des clients…
Et donc, cluedo oblige, un meurtre, dont il s’est retrouvé le principal suspect…
Le film est construit comme un long flashback dans lequel Trémois, au bord de l’épuisement, le nez cassé et les nerfs en pelote, raconte au couple de pharmaciens qui l’a recueilli la succession d’événements pénibles qui ont pourri son week-end et peut-être sa vie…

Guillaume Nicloux s’amuse à détourner les clichés d’un genre très codifié, le “whodunit” (2) façon Agatha Christie.
Comme chez la romancière anglaise, on y retrouve un soin apporté au huis-clos, des personnages très stéréotypés, tous susceptibles d’avoir eu une bonne raison de tuer la victime, ainsi qu’un flic perspicace façon Hercule Poirot, qui se fera mousser au final en donnant son explication du crime à l’ensemble des suspects et des témoins – c’est toujours mieux que son collègue, un policier du genre à cogner d’abord et à poser les questions après…

Mais ici, l’intrigue policière n’a absolument aucune importance.
Ce qui compte, c’est l’ambiance déjantée et gentiment lubrique que met en place le metteur en scène, la description de personnages tous plus profonds qu’ils n’en ont l’air de prime abord.
Le film policier classique auquel on aurait pu s’attendre se mue rapidement en comédie de moeurs déjantée, flirtant discrètement avec le fantastique et la psychanalyse.

Oui, le cocktail est aussi étrange que ceux qu’offre le barman de l’hôtel à ses clients.
Certains spectateurs le trouveront peu ragoûtant, voire carrément pas bon, c’est sûr… L’humour décalé ne fait pas rire tout le monde, loin de là, et les spectateurs français, en règle générale, n’aiment pas trop être bousculés dans leurs petites habitudes narratives.
Mais Guillaume Nicloux n’en a cure. Il a toujours eu cette volonté de briser les barrières entre les genres, de centrer son récit sur les personnages et les aspects de la nature humaine qu’ils illustrent. Comédie, fantastique, polar ne servent que de vecteur à une fine analyse comportementale qui recense les petits travers et les gros défauts de nos congénères – et, quelque part, les nôtres… C’est peut-être pour cela que ses oeuvres mettent le public mal à l’aise.

Après avoir consacré ses précédents films à explorer les recoins les plus sombres de l’âme humaine, les blessures qui ne peuvent cicatriser et les peurs les plus profondes, et avant de traiter d’aliénation religieuse, de désirs refoulés et de folie dans son adaptation de “La Religieuse” de Diderot, le cinéaste s’est offert cette parenthèse ludique, une variation sur le thème de la sexualité et des fantasmes érotiques. Qui a dit que la chair était triste ?
Ici, l’aspect comique prend le pas sur la noirceur. Même si le personnage joué par Darroussin est plongé en plein cauchemar, comme Griffin Dunne dans le After hours de Scorsese, il se dégage du film un certain optimisme, une fantaisie loufoque bienvenue. Pour peu que l’on accepte d’emblée les règles du jeu – l’aspect théâtral outrancier, les personnages très stéréotypés, l’humour du cinéaste fait souvent mouche, grâce aux dialogues percutants ou gentiment loufoques coécrits avec Jean-Bernard Pouy (3), grâce aux acteurs, tous utilisés dans leur emploi de prédilection et dirigés à la perfection.

Oui, malgré la gravité des sujets abordés – crise du couple, solitude, frustrations et identité sexuelle troublée – Holiday est un film souvent drôle et léger. C’est à la fois sa force et sa limite.
On aurait préféré que le dosage soit légèrement inversé, que Nicloux signe un film plus noir, avec des pointes de comédie cruelle. Il y avait de quoi signer un cauchemar lynchien (pléonasme), l’hôtel ressemblant plus à un hôpital psychiatrique qu’à un relais-château, un peu comme le Grand Northern de Twin Peaks. Ou bien un polar glauque comme Feux rouges, de Cédric Kahn, auquel on pense un peu ici, de par la présence de Jean-Pierre Darroussin et d’un point de départ similaire – un homme se retrouve accusé de meurtre après une nuit d’ivresse dont il n’a que peu de souvenirs…
Malgré le soin apporté par le cinéaste à l’ambiance visuelle et sonore – comme toujours, c’est impeccable – il manque ici un petit quelque chose, une pointe d’acidité, de noirceur, qui aurait donné à l’oeuvre toute sa dimension.

Mais ne fantasmons pas sur ce qu’aurait pu être ce long-métrage et contentons-nous de  ce qu’il est : une comédie loufoque et gentiment décalée, un brin nonchalante, à l’image des musiques que l’excentrique Julien Doré a composées pour ce film. Holiday est un film de transition dans la carrière du cinéaste, une récréation pas inoubliable, mais plaisante, qui nous permettra d’attendre tranquillement l’aboutissement de ses autres projets cinématographiques, autrement plus consistants.

(1) : C’est apparemment dans l’air, mais il faudra encore patienter un peu… Plus de détails chez Zoo-city
(2) : “whodunit”: terme anglais, contraction de “who have done it ?” (qui l’a fait ? en français…), désignant une intrigue policière centrée exclusivement autour de la recherche du coupable.
(3) : créateur de la série de romans “Le Poulpe” et ami de longue date de Nicloux.

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Holiday
Holiday

Réalisateur : Guillaume Nicloux
Avec : Jean-Pierre Darroussin, Judith Godrèche, Josiane Balasko, Françoise Lebrun, Biyouna, Marc Rioufol, Eric Naggar
Origine : France
Genre : comédie polisexe
Durée : 1h30
Date de sortie France : 08/12/2010
Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  Le Figaro

(Dieu que cette affiche
est laide !)
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