Clint Eastwood poursuit sa carrière de réalisateur avec la régularité métronomique d’un film par an. Un rythme de travail soutenu qui lui permet, à la manière des maîtres du cinéma hollywoodien des années 1930/1950, de toucher un peu à tous les genres.
On a vu le cinéaste américain exceller dans le western, le polar ou le film de guerre, s’aventurer avec bonheur sur le terrain de la comédie, du mélodrame romantique, de la biographie d’homme célèbre, et même, l’an passé, dans le film sportif…
Cette fois, il s’essaie non pas à un genre nouveau, mais deux : le film choral façon Iñarritu et le fantastique/surnaturel.
En effet, Au-delà est composé de trois histoires convergentes ayant pour sujet principal la mort et surtout ce qu’il se passe après – pour les défunts et pour les vivants.
La première concerne une journaliste française (Cécile de France) qui, en vacances en Thaïlande, est emportée par le tristement fameux tsunami de décembre 2004 (1). Heurtée par un objet, entraînée au fond de l’eau, elle est miraculeusement sauvée de la noyade par une équipe de secouristes. Mais elle s’est retrouvée en état de mort clinique pendant plusieurs minutes, et a vu ce que tous ceux ayant connu des EMI (2) décrivent, un tunnel débouchant sur une sorte de clarté cotonneuse où se trouvent les âmes des personnes décédées.
L’accident l’a secouée, bien plus qu’elle ne veut l’admettre. Elle est moins concentrée sur son travail, comme si une partie d’elle-même était restée dans l’Océan Pacifique, à des kilomètres de là. Elle éprouve le besoin de partager cette curieuse expérience, d’en parler avec d’autres ayant subi la même mésaventure…
Seconde histoire, celle de George Lonegan (Matt Damon). L’homme est un vrai médium, capable de communiquer avec les morts. Un don, selon son frère, qui l’encourage à profiter de ce talent particulier pour faire fortune. Une malédiction, selon l’intéressé. George a décidé d’arrêter ces activités médiumniques déprimantes et éprouvantes. Il a choisi de tenir tous ces morts à l’écart pour se concentrer sur sa vie à lui, si possible rencontrer quelqu’un et profiter d’une existence normale. Mais ce n’est pas si simple que cela…
Le troisième récit nous entraîne en Angleterre, dans le sillage d’un jeune garçon (George McLaren) qui vient de perdre son frère jumeau dans un accident. Sa mère est en cure de désintoxication, son père est absent depuis longtemps. On le place dans des foyers d’accueil pour lui donner un cadre de vie plus agréable, mais le garçon reste prostré, mutique, dans un état second. Il n’arrive pas à faire son deuil et se sent complètement perdu sans ce frère qui le protégeait toujours des difficultés…
Trois histoires, trois variations autour de la mort, du deuil, de l’obligation de continuer à vivre…
On sent dans ce scénario, signé par le scénariste chevronné Peter Morgan, la volonté d’aborder la problématique sous plusieurs angles différents, de montrer à la fois des deuils personnels, individuels, et des deuils collectifs, induits par la diffusion d’images de catastrophes meurtrières – comme le tsunami sud-asiatique de 2004 ou les attentats de Londres en 2005, tous deux décrits par le film – qui nous touchent en plein coeur et provoquent une compassion universelle.
“Universelle”, le mot est lâché. Le film a volontairement été tourné sur trois continents, dans plusieurs pays, dans plusieurs langues différentes pour montrer que la mort et le devenir de l’âme humaine sont des sujets d’angoisse ou de réflexion pour tous les peuples, toutes les cultures, toutes les religions… Il entend ainsi toucher un large public…
Avec Au-delà, Eastwood est visiblement ambitieux. Trop, sans doute… Car, hélas, le résultat final s’avère très en-deçà de nos attentes…
Oh, la mise en scène du cinéaste américain n’est pas en cause. Comme toujours, elle brille par son élégance, par la fluidité de ses plans-séquences, par la rigueur de ses cadrages, dignes de toiles de maîtres.
Chef-opérateur attitré d’Eastwood, Tom Stern a travaillé jusqu’à l’obtention d’images parfaites et de trois ambiances distinctes pour les trois intrigues du film, jouant toutes sur les clairs-obscurs. Et la musique, composée par Clint lui-même, accompagne toujours aussi efficacement l’action…
Non, vraiment, on retrouve sans aucun doute la patte du cinéaste et de ses collaborateurs habituels. Sur ce point-là, rien à redire…
Le problème vient principalement du scénario et de sa construction…
Le film choral est certainement l’un des genres cinématographiques les plus ardus à maîtriser, les plus “casse-gueule”, et Eastwood, malgré son talent et son expérience, n’a pas réussi à déjouer tous les pièges inhérents à ce type d’exercice.
Il a pourtant su éviter le principal écueil de ce genre de film : le déséquilibre entre les différentes histoires, les différents protagonistes. Ici, pas de jaloux ! Les trois histoires sont développées de la même façon. Chacune leur tour, dans un ordre invariable, pendant un temps donné…
Au début, cela est une force, car les scènes introductives, spectaculaires, donnent envie d’en savoir plus sur les personnages. Mais très vite, la construction devient lassante par son côté trop mécanique, trop chronométré, trop balisé, d’autant que le scénario renie vite ses belles promesses pour tomber dans un scénario mélodramatique assez plat, englué dans le pathos mais ne provoquant que bien peu d’émotion…
Autre problème, qui ne gênera peut-être que les spectateurs amateurs de version-originale, la volonté d’Eastwood de tourner en français les scènes parisiennes du film. Il pensait peut-être mettre ses acteurs francophones plus à l’aise en faisant cela, ou atteindre un peu plus de réalisme. Patatras, c’est tout l’inverse qui se produit…
Ne maîtrisant pas notre langue, Eastwood n’a pas su diriger efficacement lesdits acteurs qui, pour le coup, jouent relativement faux des dialogues assez peu convaincants… D’habitude, Cécile de France et Thierry Neuvic sont plutôt convaincants, mais là, on a la désagréable impression que quelque chose ne fonctionne pas…
Les parties américaine et anglaise sonnent plus juste, mais elles s’avèrent frustrantes. La structure narrative empêche le cinéaste d’aller au fond des choses, de prendre le temps de développer les personnages. On aurait aimé, par exemple, qu’Eastwood approfondisse un peu plus le lien entre George et la belle Mélanie (Bryce Dallas Howard), petite lumière douce au milieu d’un univers d’une noirceur déprimante, ou qu’il montre plus la douleur de ce garçon dévasté par la mort de son jumeau, comme amputé d’une partie de son âme…
Mais non, obnubilé par le timing de son film et la nécessité de faire converger les trois histoires dans un méli-mélo de bons sentiments sirupeux, Clint Eastwood oublie une chose essentielle : nous toucher et nous émouvoir…
Mais comment convaincre avec une structure aussi artificielle, une architecture scénaristique aussi apparente? Les péripéties et la jonction des trois destinées sont hélas un peu “téléphonées”…
Vous nous excuserez cette dernière expression, qui constitue une belle transition pour nous permettre de fustiger le recours assez ridicule, au milieu du film, au placement de produit, pour une marque célèbre de téléphone portable…
Du grand n’importe quoi qui nous étonne franchement de la part d’un cinéaste aussi important qu’Eastwood.
Cette publicité déguisée était-elle vraiment nécessaire au financement du film? Franchement, on en doute, et on espère que ce genre de pratique ne se généralisera pas.
Ce n’est qu’un détail, évidemment, mais il est symptomatique de la maladresse et de la lourdeur de l’ensemble du projet.
Au-delà n’est pas un grand film, vous l’aurez compris. Mais, et c’est bien embêtant, ce n’est même pas un film “mineur” dans la carrière de Clint Eastwood. Il est encore en-deçà… un gâchis de talents exaspérant.
La mise en scène est brillante, bien sûr, mais cela ne suffit pas à sauver une oeuvre médiocre et inaboutie, qui apparait in fine comme une coquille vide, un réel gâchis de talents…
On attendait un tsunami d’émotions et d’images fortes, on se retrouve avec une gentille bluette fantastique sans grand intérêt qui, c’est un comble, manque cruellement de vie.
On préfère oublier cette parenthèse désenchantée et espérer que le grand Clint retrouve un peu de sa superbe avec le film qu’il tourne actuellement, consacré à la vie de John Edgar Hoover, le très polémique créateur du FBI…
(1) : Le 26 décembre 2004, un séisme a provoqué la formation d’un tsunami qui a touché tous les pays d’Asie du Sud, causant la mort de près de 220 000 personnes.
(2) : EMI : Expérience de Mort Imminente. Equivalent français de l’acronyme anglais NDE (Near Death Experience)
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Au-delà
Hereafter
Réalisateur : Clint Eastwood
Avec : Cécile de France, Matt Damon, Bryce Dallas Howard, Thierry Neuvic, George & Frankie McLaren
Origine : Etats-Unis
Genre : trois histoire de l’au-delà
Durée : 2h08
Date de sortie France : 19/01/2011
Note pour ce film : ●●○○○○
contrepoint critique chez : Nicolinux
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