Le générique défile sobrement, avec en fond sonore un grondement qui s’amplifie. On pense à la rumeur d’une foule en colère, d’une révolte…
En fait, c’est le bruit des hélices d’une éolienne artisanale installée dans un petit village , au coeur des hauts-plateaux du Kirghizstan. La solution, selon son inventeur, aux problèmes énergétiques de la population locale, trop pauvre pour payer des factures d’électricité de plus en plus onéreuses. Quelques-unes de ces machines, améliorées avec des matériaux plus aérodynamiques et placées à des endroits offrant une bonne prise au vent, produiraient naturellement les ressources nécessaires à l’activité de la population. Mais les autorités font la sourde oreille. Ils le taxent de doux-rêveur, d’écolo-bricolo-rigolo…
Pourtant, l’homme est bien plus qualifié que ces bureaucrates pour traiter des problèmes énergétiques et humains. Les habitants du village l’appellent Svet-Ake (1), “Monsieur Lumière”. C’est lui qui répare les lignes qui alimentent la région et vient chez les gens pour bricoler leurs installations. Et, une fois son travail effectué, il reste prendre le thé et discuter avec eux de leurs problèmes personnels. Les politiciens, eux, se préoccupent uniquement de leurs propres intérêts, insensibles aux situations souvent précaires de leurs administrés.
Avant d’aller plus loin, il convient d’expliciter le contexte historique du film. Le Kirghizstan est l’un des pays de l’ex-URSS qui a le mieux su négocier son virage vers l’autonomie et la démocratie. Mais le président Akaïev, démocratiquement élu et homme fort du pays depuis l’indépendance, s’est peu à peu replié sur lui-même et a fait évoluer son régime vers l’autoritarisme. Des émeutes ont éclaté à Bichkek, la capitale, en avril 2005, et cette “révolution des tulipes” a permis au peuple de renverser le despote.
Le Voleur de lumière se déroule à cette période-là, au moment du changement de régime. Au début du film, on entend une radio diffuser des informations décrivant les émeutes dans la capitale. Le village de Svet-Ake n’est, pas vraiment concerné par cette agitation. Pas directement, en tout cas. La population est trop engluée dans ses problèmes pour réagir. De nombreux hommes ont quitté leur famille pour partir vers la Russie voisine, en quête de travail et de prospérité.
La seule perturbation visible est la lutte d’influence autour de l’administration du village. Les politiciens au pouvoir essaient de sauver leur place dans ce contexte troublé et doivent faire à l’offensive d’un jeune loup aux dents longues, riche industriel ayant fait fortune de manière douteuse, qui cherche à faire main basse sur le village pour obtenir des terrains à bas prix.
Les rêves utopiques de Svet-Ake, et l’aide qu’il apporte à ses voisins les plus pauvres en trafiquant les compteurs, ne cadrent avec les philosophies d’aucun de ces deux clans. Il doit faire face à des hommes puissants prêts à tout pour protéger leurs intérêts…
A travers ce film, Aktan Arym Kubat expose de manière subtile les enjeux auxquels est confronté son pays, et dénonce les maux qui l’empêche de progresser.
En apparence, tout va bien : la population est libre, elle bénéficie des aides d’un état démocratique, mais le pouvoir est corrompu. Ceux qui sont en place ne cherchent qu’à s’enrichir individuellement et à se maintenir en place. Et quand le peuple réussit à les renverser, ceux qui prennent leur place s’avèrent tout aussi autoritaires et mafieux.
Le pays doit faire face à des problèmes liés à la modernisation, à la mondialisation de l’économie, aux bouleversements géopolitiques et économiques qui secouent la planète depuis vingt ans, aux problèmes énergétiques et écologiques…
Le Voleur de lumière est une oeuvre que l’on pourrait qualifier de prophétique puisqu’elle a été écrite avant la chute d’Akaïev et qu’elle a été diffusée au moment où de nouveaux mouvements populaires ont éclaté au Kirghizstan et ont fait chuter le nouveau tyran corrompu, Kourmanbek Bakiev… (2)
Mais ce n’est pas un film politique au sens strict. Le cinéaste réagit moins contre un régime en place qu’il ne milite pour davantage de justice sociale, pour le bien-être d’un peuple, d’une nation. C’est un film à l’image de son personnage et de son auteur – qui interprète d’ailleurs lui-même le rôle : courageux, sincère, généreux…
On pourrait ajouter touchant et poétique. Des qualités s’appliquent autant à la distribution, qui mêle avec bonheur comédiens professionnels et amateurs, qu’à la mise en scène d’Aktan Arym Kubat, portée par des cadrages sublimes, dont d’audacieux plans aériens, et de remarquables effets de lumière.
Oui, Le Voleur de lumière est un film lumineux, dans tous les sens du terme. Et cette fois, il ne s’agit pas d’un des jeux de mots faciles de votre serviteur. On est transportés par la beauté des paysages, par celle des visages baignés de douceur, caressés par les rayons du soleil. On aime aussi ces clairs obscurs qui laissent briller un peu de lumière dans les ténèbres…
Et, fort logiquement, Le Voleur de lumière se clôt sur l’image de l’hélice d’une éolienne artisanale qui tourne pour alimenter une petite ampoule. Une lueur d’espoir pour un peuple dont l’apprentissage de la démocratie est plus long et douloureux que prévu. Ce plan final répond au générique de début. Et le vrombissement des pales nous évoque irrésistiblement le grondement de colère qui s’amplifie contre un pouvoir autoritaire et corrompu.
Le message humaniste rejoint le message écologiste pour donner un film magnifique, d’une énergie revigorante…
(1) : Titre original du film
(2) : La situation reste tendue dans le pays, qui doit faire face à des tensions communautaires entre les kirghizes et les minorités ouzbek.
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Le Voleur de lumière
Svet-Ake
Réalisateur : Aktan Arym Kubat
Avec : Aktan Arym Kubat, Taalaikan Abazova, Askat Sulaimanov, Asan Amanov, Stanbek Toichubaev
Origine : Kirghisztan
Genre : film lumineux
Durée : 1h16
Date de sortie France : 02/03/2011
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Phil Siné
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