Rien ne nous en apprend plus sur un auteur que d’examiner le lieu où il travaille. Si quelques scénaristes se vantent de pouvoir écrire n’importe où, la plupart d’entre eux ont besoin de se réfugier dans un lieu dédié. C’est dans ce sanctuaire qu’ils passent de longues heures solitaires à créer leurs histoires, coupés du reste du monde. Je vous propose de découvrir, à travers cette nouvelle rubrique, les bureaux de quelques scénaristes français(e), mais aussi leurs méthodes, leurs routines d’écriture…
C’est mon confrère Yann Le Gal qui me fait l’honneur d’inaugurer cette série et je l’en remercie un bon million de fois.
Yann Le Gal est scénariste de cinéma et de télévision, mais aussi réalisateur. On lui doit notamment l’écriture du magnifique film Enfances, dont il a mis en images un segment. Il a très généreusement accepté de nous ouvrir la porte de son bureau.
Depuis combien de temps travaillez-vous comme scénariste ?
Depuis maintenant une vingtaine d’années. Autrement dit plus de la moitié de ma vie. Mais ça ne fait qu’une petite dizaine d’années que j’arrive vraiment à en vivre.
Travaillez-vous dans un coin de votre habitation ou dans une pièce dédiée ?
Mon fils m’a piqué mon bureau à sa naissance, il y a neuf ans. Depuis je squatte un bout du salon.
Pouvez-vous décrire ce bureau ?
Mon bureau n’a aucun charme ni aucun intérêt particulier. C’est une table achetée lors de mon installation à Paris comme étudiant et qui m’a suivi dans les déménagements successifs. La chaise, par contre, a changé au fil du temps. Depuis quelques semaines, j’ai une chaise d’écolier indienne achetée chez un brocanteur. L’idée d’écrire sur une chaise d’écolier m’amuse.
Avez-vous choisi un espace neutre ou êtes-vous contraire entouré d’objets et souvenirs ?
Je n’ai aucun investissement affectif dans les objets. Du coup, mon bureau est très neutre. Aucun objet, aucune image, juste un ordinateur dans un coin, un scanner dans un autre sur lequel s’entassent les différents dossiers en cours et une imprimante (laser mono-chrome) sous la table.
J’ai également un ordinateur portable sur lequel je travaille beaucoup et qui me permet de rejoindre le canapé. Je fais souvent des allées et venues entre les deux endroits et le canapé est un endroit assez idéal pour écrire à la main. Écrire ou lire allongé est bien agréable.
Êtes-vous capable de travailler hors de cette « tanière » ?
Sans aucun problème. Je peux écrire à peu près n’importe où. Dans le métro souvent.
Travaillez-vous parfois dans des lieux publics ?
Tous les jeudis matin, quand la femme de ménage investit les lieux. Je me réfugie alors dans le Starbuck des Halles. Mais sinon, je suis casanier. Je n’irai jamais naturellement dans un café pour écrire.
Êtes-vous satisfait de votre bureau et/ou l’organisation de vos journées de travail. Si la réponse est non, qu’aimeriez-vous pouvoir changer?
Pour ce qui est du bureau en lui-même, non rien de spécial à changer… Sur le quotidien, oui, le plus difficile est de gérer les horaires fixes. Se dire que dans une heure il faut impérativement s’arrêter est une vraie source d’angoisse ou de frustration.
Préférez-vous travailler seul ou avec un co-auteur ?
Ça ne m’ait jamais arrivé d’écrire avec un co-auteur, même si ça risque de se passer prochainement et que j’appréhende un peu. C’est moins le fait de travailler à deux qui me rebute que le manque de hiérarchie. Il faut qu’il y ait un leader dans un duo, et autant cette hiérarchie se créé automatiquement dans une relation avec un réalisateur (on fait alors un scénario sur mesure et le travail consiste à faire le meilleur scénario possible pour le réalisateur) autant ça me semble plus compliqué avec un co-auteur.
Êtes-vous plutôt Mac ou PC ?
Mac un jour Mac toujours.
Utilisez-vous un logiciel d’écriture ? Si oui lequel ?
J’en ai essayé plusieurs. J’ai abandonné Word il y a longtemps pour Final Draft. J’ai un peu essayé Celtx (notamment avec un « réalisateur militant pro logiciels libres de droits ») mais je crois que Final Draft me plaît plus. Moins de bugs et plus de possibilités de personnalisation.
Travaillez-vous à horaires fixes ?
Le plus souvent possible oui. Je démarre à 8h30 jusqu’au retour de mon fils, à 16h30 ou 18h. Ensuite il y a souvent des extras, soit en soirée quand mon épouse rentre tard soit de nuit quand elle dort. Quelques fois je me lève vers les 5h30 pour avoir deux heures de tranquillité avant le réveil de la famille. Ce sont en général les meilleures heures. Dormir trois ou quatre heures par nuit a des avantages.
Combien de temps de travail en moyenne par jour.
Au dehors des journées en partie gâchées par les obligations sociales (rendez vous avec des producteurs, etc), entre 9 et 12 heures par jour, 5 ou 6 jours par semaine.
Jusqu’à combien de pages utiles pouvez-vous écrire par jour?
Ça ne peut évidemment être quantifiable que lors du travail d’écriture, mais en moyenne, ça varie entre 8 et 15 pages par jour.
Avez-vous besoin de faire des pauses à heure fixe ?
Non. D’ailleurs, je fais une croix sur le déjeuner qui a la mauvaise conséquence de me donner envie de dormir. L’envie de sieste est une grande ennemie méconnue du scénariste.
Travaillez-vous dans le silence total ? En musique ?
Ça dépend des moments. Mais quand je mets de la musique, c’est toujours la même play list ce qui a comme avantage que je ne l’entends pas. La musique me sert à m’isoler, non pas à m’inspirer où à me plonger dans un mood propre à l’écriture. Quand j’écris dans un endroit public, j’ai toujours le casque dans les oreilles.
Avez-vous un ou des compagnon(s) d’écriture à quatre pattes ?
Aucun.
Vous coupez-vous du reste du monde ou restez-vous connecté à votre entourage (mail, téléphone, Twitter, Facebook…) ?
J’aimerais bien y arriver mais c’est un combat que j’ai renoncé à mener. Saloperie d’Internet ! Par contre, je filtre pour le téléphone.
Avez-vous des rituels d’écriture ?
Non pas vraiment.
Utilisez-vous une méthode particulière (tableau, fiches, cahier…) ?
Je ne suis pas sûr que ce soit une méthode car rien n’est inscrit dans le marbre. C’est plutôt une habitude de fonctionnement. J’ai un cahier (« the cahier » moleskine) sur lequel j’écris, je prends des notes, et sur lequel je décris tout le processus d’un personnage, d’une histoire. Ce n’est pas seulement une prise de notes, mais plus un cheminement intellectuel. C’est important pour moi de pouvoir relire et retrouver la logique de l’idée plus que l’idée elle-même…
Sur ce cahier, je mets en général à plat la structure et les personnages d’une histoire. Une fois que la structure est satisfaisante, je dialogue sur un dos de scénario voué à aller à la poubelle. Quand plusieurs scènes se suivent correctement, je tape au propre ce qui me permet de faire des changements rapidement sur ce premier jet. Je ne reviens pas en arrière, j’avance. Quand je sais que je me trompe ou que j’ai d’autres pistes, je les note sur mon cahier. Cela me permet d’arriver en quelques semaines à une première version. Version que je me retiens de lire ! Je la mets de côté pendant deux ou trois semaines, je bosse sur autre chose et ensuite j’y reviens. Le vrai travail commence là. Le métier de scénariste est un métier de réécriture. Pas d’écriture. Tout le monde peut écrire « Int. Jour ». Seul un véritable scénariste sait réécrire.
Comment trouvez-vous l’inspiration ? Musique, photos, films ?
Aucune idée. Ça peut venir de n’importe quoi. Une phrase entendue dans un diner, un film, un article. L’important c’est de rester ouvert, dans une sorte d’attention flottante et avoir la capacité de relier des idées et ou des bouts inspirations entre eux.
Avez-vous besoin de « carburants » (thé, café, tabac, nourriture…) ?
Café soluble avec du lait et du sucre, merci…
A quel moment et dans quel lieu pratiquez-vous le mieux le brainstorming ?
Si on entend par brainstorming, des séances de travail et de cogitation à plusieurs, je ne peux pas vraiment répondre parce que j’ai plus l’habitude de travailler seul. Sinon, quand j’ai besoin de réfléchir, je sors et je marche…
Prenez-vous beaucoup de notes ? Comment les organisez-vous (carnet, notes volantes, logiciel…) ?
J’ai répondu un peu plus haut à la question. Mais la prise de note ne se fait que sur papier, sur le fameux carnet noir.
Etes-vous sujet à la procrastination ?
Au sens littéral du terme non, pas vraiment. Je rends mes textes toujours vite et je n’attends pas la dernière minute. Par contre j’aimerais pouvoir me déconcentrer moins. Ne pas être tenté de faire des micro-pauses Internet.
Avez-vous déjà été frappé par le writer’s block ? Si oui, quelle est votre recette pour en sortir ?
Non. Ça ne m’est jamais arrivé. Je pense qu’être sur plusieurs sujets, projets en même temps, passer de l’un à l’autre permet en partie de n’avoir jamais l’angoisse de la page blanche ou de se sentir bloqué.
Quand vous prenez des vacances, vous coupez-vous totalement de votre travail ?
Impossible. Partir en vacances est un vrai calvaire et j’en prends souvent plus par obligation familiale que par besoin. Il m’est viscéralement impossible de passer 48 heures sans écrire. Alors la nuit, en douce, quand tout le monde dort…
Qu’aimez-vous faire quand vous ne travaillez pas?
Lire évidemment même si le temps me manque depuis plusieurs années et les vacances sont un peu dédiées à ça. Et sinon la photographie… Mais j’ai un peu l’impression de travailler tout le temps. Le cerveau ne s’arrête pas vraiment.
Avez-vous un ouvrage culte traitant de l’écriture ?
Écriture de Stephen King.
Qui est votre scénariste fétiche ?
Billy Wilder.
Je vous invite à découvrir, ce mois-ci, deux œuvres signées par Yann Le Gal: Corps perdus, ce soir à 20h35 sur France 3, et Pasteur, l’homme qui a vu, un docu-fiction qui sera diffusé le 29 mars à 20h35 sur France 2.
Coming next: la visite d’un nouveau bureau de scénariste…
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