Alors que la Cinemathèque va ouvrir cette semaine ses portes à l’exposition Kubrick, il était impensable de ne pas lui rendre hommage à travers le monument de frissons Shining qu’il considérait comme l’un de ses films les plus personnel.
Après l’échec commercial de Barry Lyndon, il était préférable pour Stanley Kubrick de réaliser un film plus grand public pour rassurer la Warner. Après plusieurs lectures, son choix va se porter sur l’un des romans du maître de l’horreur, Shining de Stephen King. Mais, au grand dam de son auteur, le réalisateur va revoir en profondeur le roman pour le faire sien et le rendre bien plus psychologique. Jack Torrance se voit ainsi remettre les clés de l’hôtel Overlook pour en assurer la garde à l’approche de l’hiver. L’occasion de se mettre à travailler sur un roman et de se rapprocher de sa petite famille. Mais l’hôtel isolé et rempli de mystères va peu à peu le faire sombrer dans la folie.
Avec Stanley Kubrick, un récit simple peut très rapidement relever d’innombrables questions et interprétations. C’est encore le cas ici où l’histoire est faite de plusieurs niveaux de lecture. Il y a ainsi l’intrigue de base d’un père qui devient fou à cause d’un hôtel hanté et va commencer à vouloir assassiner femme et enfant. Mais c’est aussi l’histoire d’un couple qui se déchire à cause du travail et des problèmes d’alcool du père et où l’enfant cherche à trouver sa place. Alors l’hôtel n’y est pour rien et sert seulement de cadre fantastique (permettant de faire passer la noirceur de l’histoire plus facilement) car tout aurait pu se dérouler dans un appartement à Manhattan que l’histoire en aurait été aussi prenante.
A cette histoire déjà remplie de frissons, Kubrick ajoute des éléments permettant d’approfondir la folie de son personnage principal et de rejoindre ses thèmes favoris. Ainsi le labyrinthe (qui n’était pas dans le roman) met en relief les dédales dans lesquels s’est perdu l’esprit de Jack Torrance, en particulier lors d’une transition bluffante entre la maquette et la réalité. Cette idée du labyrinthe se retrouve dans tout le film avec les couloirs vides de l’hôtel que parcoure le jeune Danny en tricycle jusqu’aux motifs de la moquette. L’autre thème se rapprochant de la folie évoqué en permanence pendant tout le film est celui de la dualité, celle du bien et du mal qui tentent de prendre possession d’un esprit ou de deux aspects de la personnalité se battant. Ce n’est pas un hasard si les apparitions sont des jumelles, si Danny parle avec un ami imaginaire, si les miroirs on une présence prépondérante dans le récit (d’ailleurs, dans sa discussion avec le serveur dans les toilettes, Jack regarde-t-il cette vision ou se regarde-t-il dans le miroir ? exemple parfait de la maitrise de Kubrick sur l’ambiguïté de la situation). Cette dualité est aussi évoquée graphiquement pendant tout le récit, du générique d’ouverture à l’emploi régulier de plans à la symétrie parfaite et dérangeante.
Avec ces éléments psychologiques prépondérants, le réalisateur n’en oublie pas pour autant l’horreur et n’hésite pas à mettre le spectateur mal à l’aise. La vision des jumelles dans le couloir avec des images presque subliminales de leurs corps ensanglantés fait froid dans le dos, tout comme la rencontre avec l’occupante de la chambre 237. Et la cascade de sang ne fait qu’ajouter à la terreur qui menace Wendy et Danny jusqu’à la poursuite glaciale dans le labyrinthe. Et l‘image finale de cette photographie du passé nous laissera alors dans le doute sur les événements qui viennent de se dérouler, sur leur véracité et leur actualité (sommes-nous alors dans un labyrinthe temporel où des âmes ne font que rejouer le théatre de leur folie ?).
Stanley Kubrick nous offre donc un monument de terreur dont la performance de Jack Nicholson est l’une des composantes essentielles. Car si le réalisateur était sans arrêt sur le dos de Shelley Duvall (la faisant ainsi entrer encore plus en profondeur dans son rôle de femme apeurée), il laisse par contre à son acteur assez de latitude pour livrer une performance hallucinante. Jack Nicholson n’est pas là pour rassurer. Il est complètement imprévisible et la folie débridée qui l’habite est une menace permanente qui ne fait que s’amplifier jusqu’au final. Après son rôle dans Vol au dessus d’un Nid de Coucous et le futur Joker du Batman de Tim Burton, pas étonnant qu’on le classe dans les rôles de psychotiques !
Au delà d’un récit parfaitement maitrisé qui fait froid dans le dos, il faut également rappeler que Stanley Kubrick apporte également à chaque fois une évolution technologique pour le servir. Ici c’est la steady-cam qu’il emploie jusque dans ses derniers retranchements pour nous faire parcourir l’hôtel à la hauteur de Danny et coller au plus près des personnages dans la poursuite du labyrinthe, ne laissant pas au spectateur le loisir de relâcher la pression. Et ce n’est qu’un des aspects que Kubrick à soigné car il ne faut pas non plus oublier cette perfection du cadrage, la particularité des décors ou encore la musique employée pour illustrer la folie de Shining.
Face à une telle maitrise et une telle perfection du récit d’horreur tout en restant très personnel, Stephen King se sentira trahi, la critique sera divisée mais le public conquis (c’est l’un des films les plus rentables de Kubrick). Mais surtout, il devient très vite un classique du genre à ranger aux côtés de l’Exorciste. L’un des films les plus effrayants du cinéma, qui marque à chaque vision et dans lequel nous trouvons toujours de nouvelles interprétations mais aussi souvent cité et parodié (Les Simpsons y ont d’ailleurs rendu leur meilleur hommage). Bref, tout ce qui en fait un film intemporel et culte.