Plongée profonde dans les grands classiques du cinéma cette semaine avec la vision d’un film orphelin mais inoubliable : La Nuit du Chasseur de Charles Laugthon. Un sombre rendez-vous avec le diable au clair de lune.
Mythique, la Nuit du Chasseur fait partie de ces films qui n’ont jamais eu la destinée qu’ils auraient dût connaitre mais qui les a tout de même rattrapé. C’est bien parce qu’il est totalement intemporel que ce film de Charles Laugthon fut totalement écarté à l’époque pour être aujourd’hui reconnu comme l’un des grands classiques du cinéma.
Il faut dire qu’à l’époque où le cinéma d’après-guerre est en Technicolor, où le rythme et le suspens est plus enlevé que précédemment, Charles Laughton prend tout le monde à contre courant en réalisant son film en noir et blanc avec un travail exceptionnel et magnifique sur l’éclairage, le rapprochant du cinéma expressionniste allemand en vogue des années plus tôt. Mais ce classicisme hors du temps n’est que la surface d’un film bien plus complexe dans son contenu.
Robert Mitchum y incarne un pasteur sorti de prison et cherchant à retrouver l’argent détenu par son ex compagnon de cellule. S’en suivra alors une quête acharnée, remplie de manigance pour faire révéler aux enfants toute l’histoire. Entre film noir et western, le film joue très justement sur les deux genre tout en incorporant des éléments de contes fantastiques rappelant les histoires des frères Grimm ou de Charles Perrault. En effet, plus on avance dans le récit, plus Mitchum devient menaçant et se révèle presque être le mal incarné face à l’innocence des enfants, orphelins, qui cherchent à lui échapper en parcourant un bout des Etats-Unis. Impossible de ne pas penser aux sombres contes de notre enfance ici transformés en course poursuite de tous les dangers, un aspect d’ailleurs renforcé par le travail sur la photographie citée plus haut.
De nombreuses thématiques se dégagent du film, le rendant bien plus profond qu’il n’y parait. Que ce soit la mise en exergue d’une Amérique trop prompte à tout remettre entre les mains du Seigneur à la dualité permanente de l’être humain. Cette dualité est d’ailleurs observable pendant tout le film, à commencer par le numéro de Mitchum sur le bien et le mal, l’amour et la haine tatoués sur ses mains mais se poursuit ensuite entre le monde des adultes et celui des enfants, la perversion de l’argent dans une innocente poupée et bien sûr l’utilisation du noir et blanc.
Ajoutez cette histoire diabolique et cette mise en scène sublime un Robert Mitchum dans l’un de ses meilleurs rôles (instaurant même un visage sur l’idée du croque-mitaines) et vous aurez forcément un grand film. Mais cela n’a pas été son destin. Face au classicisme apparent, le public n’a pas répondu présent. Un échec au box office tel que Laugthon décida d’abandonner la réalisation et de retourner devant la caméra, faisant de La Nuit du Chasseur son unique film. Mais quel film !
Aujourd’hui, non content d’être devenu culte, il est considéré aujourd’hui comme un grand classique du cinéma, objet d’études sans fin des cinéphiles et cinéastes. Avec le recul, on s’aperçoit d’ailleurs à quel point les auteurs d’aujourd’hui ont pu être influencés par cette Nuit du Chasseur. Des frères Coen (dont le récent True Grit peut être une variante du film, dépeignant de la même manière ces cotés de l’Amérique) à Guillermo Del Toro (dont on retrouve ici cette dualité entre l’innocence des enfants face à la menace adulte présente dans son Labyrinthe de Pan) en passant par nombre de grands réalisateurs (Scorsese, Burton…).
Tous ces éléments font de la Nuit du Chasseur de Laughton un film unique, orphelin, inclassable mais absolument incontournable.