Dans le bureau de Cédric Salmon

Par Nathalielenoir

Rien ne nous en apprend plus sur un auteur que d’examiner le lieu où il travaille. Si quelques scénaristes se vantent de pouvoir écrire n’importe où, la plupart d’entre eux ont besoin de se réfugier dans un lieu dédié. C’est dans ce sanctuaire qu’ils passent de longues heures solitaires à créer leurs histoires, coupés du reste du monde. Je vous propose de découvrir, à travers cette nouvelle rubrique, les bureaux de quelques scénaristes français(e), mais aussi leurs méthodes, leurs routines d’écriture…

Pour cette quatrième édition, c’est mon confrère Cédric Salmon qui nous ouvre la porte du bureau…

Après avoir visité les bureaux de Yann Le Gal, Robin Barataud et Stéphanie Girerd, c’est au tour de Cédric Salmon de nous ouvrir les portes de son espace de travail.

Il est réalisateur et scénariste, membre de la SACD et du conseil constitutif de la Guilde Française des Scénaristes. Il anime le site High Concept sur lequel il dispense notamment un tutoriel vidéo tiré d’un séminaire qu’il a animé en 2010 auprès des étudiants du Conservatoire européen d’écriture audiovisuelle (CEEA).

Depuis combien de temps travaillez-vous comme scénariste ?

J’ai obtenu mon diplôme audiovisuel en 2001 (de la section réalisation de l’Institut International de l’Image et du Son), mais je vis réellement de la création de mes propres fictions depuis 2004.

Travaillez-vous dans un coin de votre habitation ou dans une pièce dédiée ?

La recherche et développement de fictions originales est une activité très risquée financièrement : si je ne créé pas des projets intéressants, je suis bon pour manger des pâtes tous les jours car il n’existe aucune assurance chômage pour les auteurs.
Fort heureusement, la créativité est une chose qui s’entretient et j’ai tout un tas de techniques dans ma besace qui me permettent de garder un bon rythme de travail.
A commencer par mon bureau et l’organisation de mes journées. La créativité étant par essence un goût pour l’exploration et l’aventure, je m’efforce de développer celui-ci en écrivant rarement au même endroit, et jamais à heures fixes. C’est bien simple, je suis capable de travailler n’importe où et n’importe quand: la nuit, le matin, l’après-midi, dans les bibliothèques, dans les cafés, chez moi dans mon bureau, sur mon canapé, ou même dans les locaux de la production si besoin.



J’écris parfois de nuit.

Pouvez-vous décrire ce bureau ?

A chaque fois que je déménage — ça m’est arrivé plusieurs fois récemment car j’aime le changement --, je réquisitionne une pièce lumineuse que j’agence de la façon suivante : éclairé par la lumière naturelle de la fenêtre, un large bureau est installé à l’angle d’un mur que je peins d’une couleur vive, et sur lequel j’affiche mes notes ou des références visuelles sur un tableau (le fameux « board » du scénariste). Je peux contempler ce mur d’affichage sur un sofa que j’installe bien en face, qui me permet aussi de recevoir mes collaborateurs confortablement. A porté de main, figurent des ouvrages dans une bibliothèque dédiée au cinéma et à la dramaturgie.




Le bureau dans lequel j’ai notamment travaillé sur le Village français.

Avez-vous choisi un espace neutre ou êtes-vous contraire entouré d’objets et souvenirs ?

C’est un espace assez neutre, qui a vocation d’accueillir des dessins et des photos qui rendent compte de l’ambiance que je veux obtenir sur les récits que je crée. Toutefois, ma bibliothèque contient des livres rares et des notes personnelles auxquels je suis trèèèès attaché.

Préférez-vous travailler seul ou avec un co-auteur ?

J’ai l’habitude de travailler en équipe car je suis également réalisateur. La fiction audiovisuelle étant une œuvre de collaboration, la question est plutôt de savoir avec qui je souhaite collaborer, et à partir de quand. La réponse à cette question dépend évidemment des projets. Certains me sont très personnels, et j’y travaille seul  « porte fermée » jusqu’au premier draft. Pour les autres, je travaille en atelier d’écriture avec deux autres scénaristes (sans compter mon chat) qui possèdent un niveau technique très élevé et surtout avec qui je partage un langage de travail commun — ce qui nous permet de développer rapidement.

Êtes-vous plutôt Mac ou PC ?

Je travaille sur un PC (qui est également une station de montage).

Utilisez-vous un logiciel d’écriture ? Si oui lequel ?

J’écris mes continuités dialoguées sur Final Draft car j’utilise une mise en forme américaine assez rigoureuse pour le minutage : dans mes scénarios, une page équivaut réellement à une minute de film (bien que ce ne soit pas une obligation en France).

Combien de temps de travail en moyenne par jour ?

Il est difficile de répondre à cette question car un auteur travaille aussi (et surtout) quand il n’écrit pas : je suis toujours à la recherche de concepts, de scènes, de personnages… c’est devenu un réflexe, comme une respiration. Du 24h/24h. ( Je réutilise parfois mes rêves !) Mais je consacre au minimum 3 heures par jour à la rédaction proprement dite.

Jusqu’à combien de pages utiles pouvez-vous écrire par jour ?

La créativité est une chose fragile : trop de stress peut inhiber la partie de notre cerveau qui trouve les idées. Bien entendu pour travailler, il m’arrive souvent de me fixer un objectif.  Celui-ci peut être quantitatif (« je travaille X heures sur ce projet, et j’obtiendrai ce que j’obtiendrai« ), ou bien qualitatif (« ça prendra le temps que ça prendra mais je ne m’arrêterai que quand j’aurai obtenu X pages »). En ce qui me concerne, J’obtiendrai-ce-que-j’obtiendrai et Ça-prendra-le temps-que-ça-prendra sont deux stratégies qui se valent d’un point de vue créatif, parce qu’elles ne me mettent pas la pression. Je laisse aux idées le temps d’émerger, et c’est parfait. En travaillant comme ça il me faut environ 3 semaines pour pondre un séquencier, et 3 autres semaines pour pondre un premier draft. Vient ensuite le vrai boulot : la réécriture.

Mais la notion de « page utile par jour » cumule les deux contraintes, qualitative et quantitative (qui me paraissent pourtant contradictoires et irréconciliables), et elle a sur ma créativité des effets désastreux. Je ne travaille pas comme ça.

Avez-vous besoin de faire des pauses à heure fixe ?

Non. Pas de pauses à heures fixes mais de nombreuses pauses par jour. C’est un de mes trucs pour booster mon travail : je définis d’abord dans mon emploi du temps les moments ludiques de ma journée, ces fameuses pauses qui encadrent mes plages de création. Je prends ça comme du donnant-donnant : pour créer, il faut recevoir… sinon la source se tarit !

Travaillez-vous dans le silence total ? En musique ?

Le bruit ne me dérange pas, mais je ne mets pas non plus de la musique pour travailler. (Sauf évidemment quand je mets ma « casquette de réalisateur » et que je travaille la bande son avec mon compositeur et mon ingénieur du son --ce que nous faisons avant même le tournage, en lisant le scénario).

Par ailleurs, je suis bassiste et je gratouille parfois pendant mes pauses.

Avez-vous un ou des compagnon(s) d’écriture à quatre pattes ?

J’ai un chat (que les fidèles lecteurs de mon blog vidéo ont déjà surnommé « 1-2-3-cat », en référence à la technique d’écriture du 1-2-3 que j’enseigne sur mon site), mais ce n’est absolument pas un compagnon d’écriture. Le bougre d’animal est plutôt un saboteur : j’ai malheureusement hérité du seul chat d’artiste qui ne supporte pas que son maître travaille… Dès que je m’assois à l’ordinateur, ce n’est que miaulements, sauts sur le clavier, ou cabrioles pour faire la star… Mais jugez par vous même :

Vous coupez-vous du reste du monde ou restez-vous connecté à votre entourage (mail, téléphone, Twitter, Facebook…) ?

Je n’ai pas besoin du silence pour me concentrer, mais par contre je n’aime pas dialoguer avec quelqu’un durant mes phases de travail (peut-être parce que la fiction est déjà un moyen d’expression). Je suis donc totalement déconnecté quand je me consacre à une histoire, et ce pour n’importe qui.

Dans ces moments là, il n’y a pas de bat phone pour me joindre (au grand désespoir de mon agent !)

Avez-vous des rituels d’écriture ?

Juste un : tous les matins, j’écris 3 pages à la main dans mon café favori, près de chez moi (quasiment au saut du lit), tandis que la serveuse me sert illico un café allongé et du fromage blanc. Je précise que ces pages sont uniquement pour moi, elles n’ont pas vocation à être utiles mais plutôt à me « libérer » l’imagination. Ensuite je discute un peu avec les autres habitués et ma journée de travail peut commencer (je prends parfois un ordinateur portable avec moi pour rester sur place).  A l’ère de l’ordinateur, c’est presque mon seul contact avec un stylo de la journée !




Mes pages du matin. 

Utilisez-vous une méthode particulière (tableau, fiches, cahier…) ?

En plus des techniques que j’explique dans mon blog, je dessine beaucoup.

Comment trouvez-vous l’inspiration ? Musique, photos, films ?

Je lis énormément, je vais au théâtre, au cinéma… (Au minimum deux films par semaine, sans compter les rétrospectives de classiques, que je dévore.)

Par ailleurs, j’adhère totalement à la théorie de Léonard de Vinci qui pensait que la créativité n’est pas une capacité à créer ex nihilo, mais plutôt une aptitude à établir des connexions originales entre des choses qui sont habituellement dissociées. C’est pourquoi pour moi, tout est potentiellement une source d’inspiration, surtout ce qui n’est pas — à priori — de l’ordre du 7ème art.

Avez-vous besoin de « carburants » (thé, café, tabac, nourriture…) ?

Pas spécialement… à part mon fromage blanc et mon café du matin bien sûr !

A quel moment et dans quel lieu pratiquez-vous le mieux le brainstorming ?

Probablement pendant ces fameuses pages du matin.

Prenez-vous beaucoup de notes ? Comment les organisez-vous (carnet, notes volantes, logiciel…) ?

J’obtiens donc au minimum 3 pages de notes manuscrites par jour, qui sont consignées dans des carnets, et je surligne les éléments qui me paraissent intéressants. Quand vient le moment de travailler sur la direction artistique d’un scénario (ce que je fais de plus en plus), j’emploie aussi un énorme classeur qui contient la continuité dialoguée éclatée en séquences. Chacune de ces parties étant elles-mêmes divisées en sous-parties pour simplifier mon travail (« enjeu de la scène », « thèmes et motifs narratifs », « éléments à ne pas rater visuellement »,  »contexte historique »…). J’y place entre autre les pages de mes carnets qui s’y rapportent.

Êtes-vous sujet à la procrastination ?

Non, mais j’ai d’autres formes d’auto-censure à combattre ! Mes pages du matin me servent notamment à les identifier.

Avez-vous déjà été frappé par le writer’s block ? Si oui, quelle est votre recette pour en sortir ?

Je n’ai pas de solution miracle malheureusement, et je suis parfois sujet aux mêmes blocages que mes collègues. Simplement vu ma spécialité, j’expérimente tous les jours les problèmes de la création et j’ai appris à ne plus en avoir peur. Il y aurait beaucoup à dire sur la créativité (j’ai d’ailleurs récemment donné une conférence sur ce thème). Pour résumer, disons que toutes les techniques pour surmonter les blocages créatifs découlent d’une volonté d’éprouver un sentiment de sécurité, afin de mettre partiellement en sommeil l’hémisphère gauche de notre cerveau, qui a un rôle de censure mais aussi de protection. Je compte faire un billet sur ce sujet prochainement.

Quand vous prenez des vacances, vous coupez-vous totalement de votre travail ?

Disons que je ne suis pas joignable, ce qui est très reposant.

Qu’aimez-vous faire quand vous ne travaillez pas?

Je dessine et je pratique les arts martiaux…. mais ce sont aussi des formes d’expression qui nécessitent de la créativité finalement.

Avez-vous un ouvrage culte traitant de l’écriture ?

Pas spécialement de l’écriture, mais les carnets de note de Léonard de Vinci m’inspirent souvent.

Qui est votre scénariste fétiche ?

Il n’est pas dans ma nature d’être un « fan » mais les premiers scénarios que j’ai lus m’ont fait une forte impression qui est encore vive dans ma mémoire : Double indemnity, Sunset Boulevard (Billy Wilder), The last boy scout (Shane Black), et Body heat (Lawrence Kasdan) m’ont bien calmés à l’époque. En matière de série, je me rappelle que le pilote de Nip-Tuck (Ryan Murphy) m’a aussi scotché. Mais cette liste n’est en rien exhaustive. Depuis 2001, je lis régulièrement des scénarios, souvent des specs, qui m’étonnent souvent par leur qualité. Je me souviens notamment de Julia, un projet de film écrit par mon collègue Hervé Hadmar qui est à ce jour le plus beau scénario que j’ai lu en français. Il n’a jamais pu le monter malheureusement.

Quelle est votre actu ?

En TV, j’ai actuellement 5 séries dans les tuyaux : un thriller d’action à caractère international pour Europa TV (co-écrit avec Julie Chemla),  une série d’anticipation pour BFC (co-écrite avec Julie encore), une série historique européenne pour Le don films (co-écrite avec Marc-Olivier Louveau), une série policière avec un twist fantastique pour Panama et Shooting prod (que j’ai développée seul), et enfin une série noire pour Boxeur de lune (co-écrite avec India Bouquerel).

Par ailleurs, j’écris en ce moment mon premier long (et j’ai surement des rediffusions à venir mais je ne m’en tiens pas informé.)

Rendez-vous dans quinze jours pour découvrir un nouveau bureau de scénariste…

Copyright©Nathalie Lenoir 2011