“Detective Dee, le mystère de la flamme fantôme” de Tsui Hark

Chine, en l’an 690, sous la dynastie Tang.
La seconde capitale, Luoyang, se prépare au couronnement de l’impératrice Wu Zetian, qui aura lieu juste après l’édification d’une gigantesque statue de Bouddha, symbolique de la grandeur du pouvoir et de son côté sacré.
C’est la première fois qu’une femme va prendre le pouvoir, et ce n’est pas sans conséquences dans une société plutôt patriarcale et misogyne. Les rivalités claniques s’en trouvent exacerbées et des complots se trament dans les alcôves du palais, pour empêcher Wu Zetian de prendre ses fonctions.

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Soudain, plusieurs personnalités influentes, proches du pouvoir, meurent selon un inexplicable phénomène de combustion spontanée.
Le peuple s’agite, craignant de voir dans ces morts spectaculaires le signe d’une colère divine ou la manifestation de démons, de quoi remettre en question la légitimité de Wu Zetian, jusque-là protégée par le grand prêtre .
Pour résoudre au plus vite cette mystérieuse affaire, la future impératrice décide de réhabiliter le juge Dee, un de ses anciens opposants dont elle avait ordonné l’emprisonnement, plusieurs années auparavant. Elle lui adjoint ses meilleurs limiers : sa favorite, la belle Jing, et son officier en chef, l’albinos Bei Dong-lai.
Le trio n’a que quelques jours pour démêler les fils d’une intrigue complexe et teintée de paranormal…

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Le personnage du détective Dee s’inspire d’une figure historique, le juge Ti (1), qui a réellement exercé des fonctions d’homme de loi dans la chine impériale du VIIème siècle, mais qui est surtout connu pour ses exploits littéraires. D’abord protagoniste de vieux romans chinois, au XVIIIème siècle, le juge Ti a ensuite été popularisé par le néerlandais Robert Van Gulik, qui en a fait le héros récurrent de ses romans policiers historiques (2) dans les années 1940/1960.
C’est aujourd’hui au cinéma hongkongais de lui donner la vedette d’un film d’aventures policières et historiques, dans Detective Dee, le mystère de la flamme fantôme, où il peut une nouvelle fois démontrer ses facultés intellectuelles et son esprit de déduction… Mais aussi une certaine maîtrise des arts martiaux et des techniques de combat.
Ben oui, quoi, avec une telle équipe aux commandes, il ne fallait pas s’attendre à une intrigue mollassonne : Andy Lau dans le rôle-titre, assisté de Li Bing-bing et Deng Chao, Sammo Hung pour la chorégraphie des combats et Tsui Hark à la mise en scène…

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Aïe, le problème avec Tsui Hark, c’est que voir un de ses films, c’est comme jouer à pile ou face. On a une chance sur deux de voir une oeuvre aboutie . Et autant de voir un nanar laborieux…
Mais fort heureusement, Detective Dee, le mystère de la flamme fantôme appartient à la première catégorie et est ce que le cinéaste a proposé de plus enthousiasmant depuis Time & Tide (sorti en 2000).
Dès le début du film, Tsui Hark nous en met plein la vue avec son décor impressionnant, ce gigantesque Bouddha surplombant le palais impérial, nous accroche avec la première scène de combustion spontanée, impressionnante et parfaitement exécutée, et présente les enjeux de l’intrigue avec un minimum de plans, ce qui nous donne très vite envie d’en savoir un peu plus…
Et pour nous chauffer un peu plus, il clôt la scène de la libération du juge Dee par une démonstration d’arts martiaux, orchestrée par Sammo Hung avec le sens du rythme et du spectacle qu’on lui connaît.

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Ce film mélange les genres avec bonheur :
Une intrigue policière qui flirte avec des éléments surnaturels – entre les combustions spontanées, les apparitions de cerfs bavards, la visite d’une ville fantôme souterraine et le combat contre un spectre/marionnette, il y a de quoi faire…
Un film d’aventures “à l’ancienne”, riche en péripéties et dont les nombreux morceaux de bravoure, contrairement à trop de blockbusters hollywoodiens modernes, ne semblent pas mis en place uniquement pour satisfaire à la création du jeu vidéo dérivé…
Un wuxia avec des combats – à mains nues ou au sabre – n’abusant pas des effets spéciaux faisant voler les belligérants à dix mètres au-dessus du sol, ce qui ne les empêche pas d’être spectaculaires…
Un film historique en costumes qui nous plonge dans les arcanes du pouvoir de la dynastie Tang…
Et pour couronner le tout, un film d’auteur intelligent et subtil. A la fois pamphlet politique, critiquant la Chine contemporaine par le biais du film historique, réflexion sur le pouvoir et le patriotisme, l’honneur et le sens du sacrifice, et film porteur d’un inattendu message féministe…

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La mise en scène est ample et généreuse, les mouvements de caméra sont élégants. Le travail sur l’image est particulièrement soigné, tout comme celui sur les décors, tous magnifiques et en adéquation avec les thèmes du film.
Et, sans surprise, les acteurs sont excellents : Andy Lau apporte tout son charisme au personnage et possède ce côté stoïque, à la fois sage et rusé, qui suscite immédiatement l’adhésion du spectateur. Carina Lau, l’une des actrices-fétiche de Wong Kar-Waï, incarne avec talent une impératrice ambigüe, à la fois fragile, de par sa condition de femme politique dans un milieu machiste, et forte, ainsi que le prouve son côté tyrannique, pour ne pas dire sanguinaire.
Li Bing-bing évolue dans le même registre, à la fois femme belle, sensuelle et soumise et guerrière impitoyable, maniant le fouet à la perfection (oh oui, oh oui… hum, désolé). On apprécie sa grâce, son charme féminin, et son jeu d’actrice délicat. Alors, pas de confusion, le bling-bling : pas bien, Li Bing-bing : très bien…
Ajoutons à cela les belles performances de Deng Chao et de Tony Leung Ka-Fai dans des rôles “secondaires”, et le tableau sera complet…

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Fort de toutes ces qualités artistiques et techniques, Tsui Hark réussit parfaitement là où Guy Ritchie s’est lamentablement vautré avec son Sherlock Holmes.
Le seul reproche qu’on pourrait lui adresser tient à la résolution de l’énigme, un poil trop prévisible…

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Detective Dee, le mystère de la flamme fantôme est donc un divertissement de haute tenue qui pourra plaire autant aux fans de cinéma asiatique qu’aux néophytes amateurs de films d’aventures classiques. Et les cinéphiles plus exigeants ne seront pas en reste puisqu’ils pourront décortiquer les scènes les plus ambitieuses de l’oeuvre, tant sur le plan de la technique que de la symbolique.
A voir en salle, donc, et sur grand écran, pour profiter pleinement du spectacle et (re)découvrir le talent de Tsui Hark, auteur prolifique et chef de file, en son temps, de la nouvelle vague hongkongaise des années 1980/1990.

(1) : Di Renjie ou Ti Jen-Tsié
(2) : “Les enquêtes du Juge Ti, l’intégrale” de Robert Van Gulik, 4 volumes – coll. Pulp fiction – éd. La Découverte

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Detective Dee Detective Dee, le mystère de la flamme fantôme
Di renjie zhi tongtian diguo

Réalisateur : Tsui Hark
Avec : Andy Lau, Li Bing-bing, Carina Lau, Deng Chao, Tony Leung Ka-Fai, Richard Ng
Origine : Chine
Genre : film d’aventures à l’ancienne
Durée : 2h03
Date de sortie France : 20/04/2011
Note pour ce film : ●●●●●

contrepoint critique chez :  Bavaria (Sens critique)

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