Festival de Cannes avec Robert De Niro en président du jury oblige, revenons sur la palme d’or de Martin Scorsese qui vient de sortir en blu-ray : Taxi Driver.
Après une première collaboration fructueuse sur Mean Streets, les routes de Martin Scorsese et Robert De Niro commencent à mener vers le succès. Alors que le premier réalise dans la foulée Alice n’est plus ici, le second obtient un oscar du meilleur second rôle pour sa performance dans Le Parrain II. Grâce à leur renomée ascendante, les producteurs demandent au duo de se pencher sur le scénario de Paul Shrader, Taxi Driver. Devant l’intensité de l’histoire, Scorsese et De Niro s’investissent alors pleinement.
A première vue simple vigilante movie, Taxi Driver est en fait bien plus que cela. Ici Travis Bickle est un soldat qui rentre du Viet-Nam et plonge peu à peu dans les enfer de son âme. Insomnies, solitude renforcée, et besoins refoulés le conduisent peu à peu dans la folie jusqu’à ce qu’il croise une jeune prostituée de douze ans qu’il va décider de sauver, comme sa seule rédemption possible. Ce n’est donc pas seulement une simple histoire de vengeance et de justice personnelle qui anime le personnage mais un mal-être permanent, bien représentatif d’une génération enragée par cette guerre du Vietnam.
Car si elle n’est jamais montrée, c’est bien de cette guerre et de ces désillusions dont il est question ici. Le personnage de Travis est si marqué par ce qu’il a vécu et cette éviction qu’il est mentalement déséquilibré et va se placer lui-même en marge de la société. Robert De Niro arrive ici à parfaitement retranscrire toute la solitude et le mal qui ronge son personnage tout en exprimant une rage à faire frissonner. La scène que tout le monde a retenu du film (le culte « You talkin’ to me ?» face au miroir) et passée à la postérité est évidemment la plus représentative dans la plongée dans la folie du personnage. Mais cette folie est bien compréhensible par le public qui ressent aussi difficilement le rejet de Travis par Betsy qu’il ne peut que cautionner son attitude vis-à-vis de la jeune Iris. On notera d’ailleurs également participation au casting d’Harvey Keitel qui retrouve donc De Niro après Mean Streets mais surtout la révélation de Jodie Foster qui, si elle n’en est pas à son premier film (Scorsese venait justement de la diriger sur Alice n’est plus ici Harvey) doit composer à 12 ans le rôle d’une jeune prostituée qui se satisfait plutôt bien de sa position.
En plus de la performance de Robert De Niro, il y a aussi l’esprit désespéré qui habite les Etats-Unis à cette période qui est parfaitement retranscrit dans le récit de Paul Shrader et la mise en scène de Martin Scorsese. Avec la fin de la guerre du Vietnam, le Watergate et le choc pétrolier (et un second imminent), le flower power a laissé sa place à une rage latente et une souffrance muette qui ressurgissent pleinement dans Taxi Driver et qui préfigure déjà ce qui va arriver dans les années 80. Ici Scorsese nous fait errer de nuit avec le taxi de Bickle dans un New-York poisseux où règne la perversion et l’inhumanité, comme si la ville n’était remplie que d’âmes égarées. Le réalisateur reste accrochés à son personnage et nous montre la ville telle qu’il la voit, sous son jour le plus noir et violent. Le seul rayon de soleil qui y vivait a disparu (Betsy) et Iris reste donc le seul espoir de renaissance d’un homme mais aussi d’un système en pleine déchéance, jusque dans un final sanglant d’une rare violence, autant physique que psychologique.
Bien plus qu’un simple vigilante movie à la Dirty Harry ou Death Wish, Taxi Driver exprime tout le mal-être d’un pays. Révélant toute la rage qui sous-tendait déjà Mean Streets et qui se poursuivra dans la filmographie de Scorsese et De Niro (Raging Bull entre autres), Taxi Driver se fait le porte-parole d’une Amérique de la nuit purement ignorée. Son influence se fera bien sentir dans les années 80 au cinéma mais aussi dans d’autres domaines comme le comic-book. Impossible en effet de ne pas penser au Rorschach de Watchmen, celui-ci étant aussi taciturne que Travis Bickle et voyant en New-York les mêmes maux qui mettent à mal la société (prostitution, trafics, violence …) et en les réglant de la même manière. Le parallèle avec les super-héros vus par Alan Moore ou Frank Miller n’est d’ailleurs pas fortuit puisque sont personnage immensément torturé peut bien faire penser à Bruce Wayne dans son heure la plus sombre (le taxi étant sa batmobile) ou à un certain Moon Knight.
Quoi qu’il en soit, la réception de Taxi Driver sera unanime. Le public sera en fera un succès et le rendra culte. Mais les critiques sont aussi unanimes, de même que les professionnels qui le nommeront 4 fois aux oscars et surtout lui décerneront la Palme d’Or au festival de Cannes de 1976. Les carrières de Martin Scorsese et Robert De Niro sont maintenant prêtes à décoller.
Le film vient par ailleurs de sortir dans un bluray indispensable. La qualité de la restauration est impeccable et les bonus nombreux et passionnants (commentaires audio, making-of d’une heures, interviews, histoires autour des taxis et de new-york, …).