Rien ne nous en apprend plus sur un auteur que d’examiner le lieu où il travaille. Si quelques scénaristes se vantent de pouvoir écrire n’importe où, la plupart d’entre eux ont besoin de se réfugier dans un lieu dédié. C’est dans ce sanctuaire qu’ils passent de longues heures solitaires à créer leurs histoires, coupés du reste du monde. Je vous propose de découvrir, à travers cette nouvelle rubrique, les bureaux de quelques scénaristes français(e), mais aussi leurs méthodes, leurs routines d’écriture…
Pour cette nouvelle édition, c’est mon confrère Eric Kristy qui a accepté de nous ouvrir la porte de son bureau…
Romancier et scénariste, Eric Kristy a créé des séries comme Une femme d’honneur, Franck Keller, Le Proc, et plus récemment, il a signé la Bible et les premiers épisodes de Doc Martin. Chevalier des Arts et des Lettres, il écrit à l’heure actuelle un biopic consacré à l’immense poète et chanteur Georges Brassens.
Depuis combien de temps travaillez-vous comme scénariste ?
Un peu plus de vingt ans. Après avoir été musicien pendant une dizaine d’années, puis journaliste ou assimilé, j’ai commencé à écrire des nouvelles policières, et des romans noirs. J’ai été publié à la Série Noire/Gallimard et au Fleuve Noir au milieu des années 80. A cette période, la télévision cherchait de nouveaux auteurs, et le vivier du roman policier de l’époque a donné plusieurs scénaristes comme Alexis Lecaye, Didier Cohen, Tito Topin, Joël Houssin, Thierry Jonquet, Emmanuel Errer, Hugues Pagan, moi-même, et bien d’autres que j’oublie certainement. Le point commun entre ces auteurs qui avaient entre 30 et 40 ans quand ils ont débuté dans le scénar : une solide culture polardesque, un univers, une expérience. (Des qualités qu’on retrouve aujourd’hui chez Virginie Brac ou Anne Giafferi, pour ne citer qu’elles.) Bref, nous avons aussitôt travaillé sur de nouveaux projets, policiers pour la plupart, dont la télé était extrêmement demandeuse et friande dans ces années-là. C’est ainsi que le début des années 90 a vu éclore de nombreuses séries et collections qui ont vite rencontré un très large succès, critique et public. J’ai eu la chance de monter dans ce train à ce moment-là.
Travaillez-vous dans un coin de votre habitation ou dans une pièce dédiée ?
Oui, un grand bureau avec bibliothèque.
Pouvez-vous décrire ce bureau ?
Foutoir, souk, bordel, capharnaüm, bazar… Des milliers de bouquins, de dossiers, d’archives, de boîtes, de journaux, de classeurs… Mais je m’y sens bien et m’y retrouve à peu près !
Avez-vous choisi un espace neutre ou êtes-vous contraire entouré d’objets et souvenirs ?
J’adore les objets, j’en suis entouré, voire cerné. Sans être collectionneur, j’accumule beaucoup et jette très peu ! Des documents, des gadgets, des stylos, des vieux jouets, des trucs, des machins…
Etes-vous capable de travailler hors de cette « tanière » ?
Très mal. J’ai une jolie maison à la campagne où je pourrais très bien écrire, mais je m’y sens immédiatement en vacances, et donc y travailler devient un véritable calvaire pour moi. Je ne travaille efficacement -sinon bien !- qu’à Paris.
Travaillez-vous parfois dans des lieux publics ?
Jamais. Et pourtant j’adorerais écrire sur une terrasse, dans un parc, un jardin. Mais là encore, ce qui se passe autour de moi prend le dessus, et je suis incapable de réfléchir, me concentrer ou écrire une ligne. Je crois aussi que je n’ai pas très envie de donner le spectacle de moi au travail…
Etes-vous satisfait de votre bureau et/ou l’organisation de vos journées de travail. Si la réponse est non, qu’aimeriez-vous pouvoir changer?
Je me suis fait à l’inorganisation et au désordre. Je n’ai pas eu le choix. Me discipliner aujourd’hui serait synonyme d’angoisse absolue.
Préférez-vous travailler seul ou avec un co-auteur ?
J’ai pratiqué les deux systèmes, mais aujourd’hui je suis plutôt solitaire. Mais si je me lance dans une nouvelle série (ce qui fait partie de mes projets), je retravaillerai volontiers en collaboration. Cela dit, je me méfie un peu des ateliers d’écriture, où tout le monde donne son avis, où les auteurs sont anonymes, interchangeables et donc virables à merci. Les « Scénaristes en Batterie », c’est pas trop mon truc ! Même scepticisme devant le poste de directeur de collection, qui n’est efficace que lorsque l’auteur qui en a la charge bénéficie d’un réel pouvoir éditorial, ce qui est très rarement le cas en France. Mais les choses vont certainement évoluer, c’est tout bêtement une question de survie pour nous tous !
Etes-vous plutôt Mac ou PC ?
Mac. Mais l’informatique et ses mystères ne me passionnent vraiment pas. Les ordinateurs sont des outils, rien de plus : j’attends d’eux qu’ils fonctionnent, mais je me moque complètement de savoir comment !
Utilisez-vous un logiciel d’écriture ? Si oui lequel ?
Word, en général et parce que c’est simple. Final Draft, s’il le faut, mais je trouve le rendu vraiment peu attractif. Là encore, je me fais mal à cette uniformisation qui tendrait à concerner même la police de caractères, la couleur de l’encre et le grammage du papier !
Travaillez-vous à horaires fixes ?
Oui, à peu près.
Combien de temps de travail en moyenne par jour ?
Je ne sais pas. Pratiquement tous les jours. Beaucoup. Trop, parfois.
Jusqu’à combien de pages utiles pouvez-vous écrire par jour?
Je n’en ai aucune idée. Je reviens beaucoup en arrière, mes scénarios restent très longtemps à l’état d’énormes brouillons illisibles pour quelqu’un d’autre que moi. Le risque étant qu’ils le demeurent quand ils sont terminés !
Travaillez-vous dans le silence total ? En musique ?
Dans le silence. Plus jeune, il m’est arrivé de tuer des bébés, des épouses, des voisins ou des animaux bruyants, et qui troublaient ma concentration. Je tiens à dire que je le regrette aujourd’hui.
Vous coupez-vous du reste du monde ou restez-vous connecté à votre entourage (mail, téléphone, Twitter, Facebook…) ?
Je reste très connecté, sans que cela me perturbe, au contraire. Mails, Twitter ou Facebook ne me déconcentrent pas du tout ! De plus, le balançage de vannes en un nombre limité de caractères est un exercice très formateur !
Utilisez-vous une méthode particulière (tableau, fiches, cahier…) ?
Aucun rituel d’écriture, aucune méthode. Des notes, des gribouillis, des ratures, des petits dessins. Rien de prédéfini.
Comment trouvez-vous l’inspiration ? Musique, photos, films ?
Lectures, presse, littérature, radio, télé, films, chaînes info en boucle, expérience personnelle, la vie, quoi…
Avez-vous besoin de « carburants » (thé, café, tabac, nourriture…) ?
Je ne fume plus depuis plus de trois ans, c’est l’une de mes plus belles victoires. Je lutte aujourd’hui pour arrêter la sucrette, le haricot vert et l’endive.
Prenez-vous beaucoup de notes ? Comment les organisez-vous (carnet, notes volantes, logiciel…) ?
Carnets surtout. J’en ai partout, je prends des tas de notes, dont souvent je ne me sers pas, d’ailleurs. Mais c’est sans doute une façon d’ordonner ma pensée.
Etes-vous sujet à la procrastination ?
Enormément. Heureusement, l’urgence et l’angoisse sont mes plus grands moteurs.
Avez-vous déjà été frappé par le writer’s block ? Si oui, quelle est votre recette pour en sortir ?
Oui. A chaque fois que j’ai trop de temps devant moi. Il suffit que le spectre du retard approche pour que les choses s’arrangent, plus ou moins bien. J’ai besoin de cette mise en danger, de cet inconfort que je me crée tout seul, et il n’y a rien de plus agaçant et stressant.
Qu’aimez-vous faire quand vous ne travaillez pas?
Beaucoup de choses : photo, dessin, musique… Regarder le spectacle du monde, vivre avec les miens, traîner, faire la fête, voir les potes, rire… Imaginer des histoires, aussi, car j’ai toujours du mal à considérer ce que je fais comme un travail.
Avez-vous un ouvrage culte traitant de l’écriture ?
Non. C’est comme les modes d’emploi : ça me déprime et je ne peux pas les lire ! En revanche, j’ai dévoré les biographies de certains auteurs, certaines correspondances aussi. J’ai toujours appris sur le tas, ou avec mes confrères et co-auteurs, parmi lesquels je tiens à citer Christian Biegalski, Didier Cohen et Alexis Lecaye. Et aussi des personnalités comme Claude de Givray, Laurence Bachman ou Jean-Pierre Guérin (entre autres), qui m’ont fait très tôt confiance et m’ont donné ma chance.
Qui est votre scénariste fétiche ?
Je n’en ai pas. Mais il y a des films ou des séries dont les scénarios m’ont marqué à jamais : La Grande Illusion, La règle du jeu, Scorsese, Hitchcock, Truffaut, NYPD Blue, La 317ème section, The Shield, Spielberg, Coppola, Quand la ville dort, Eastwood…Les grands « raconteurs d’histoires », Dumas, Hugo, Zola, auraient certainement fait d’excellents scénaristes… Je n’oublie évidemment pas parmi mes « maîtres » les mythiques auteurs de romans noirs, Irish, Chandler, Ellroy, Thompson, Manchette, ainsi que certains dessinateurs / illustrateurs dont l’univers me fascine : Tardi, Hugo Pratt, Enki Bilal…
Quelle est votre actu ?
Chargée. Le tournage de Brassens, la mauvaise réputation, dont j’ai écrit le scénario, se termine en juin (réalisateur Gérard Marx, production Auteurs Associés pour France2), et j’ai hâte de voir le premier montage. Il y a longtemps que je ne m’étais pas autant passionné et investi dans un projet. A part ça, je travaille sur un pilote de série policière pour Kwaï Productions, une comédie pour GMT, un autre projet pour Making Prod, mais aussi un recueil de nouvelles ainsi qu’un roman noir, très noir… Sans parler des autres petites idées qui me trottent dans la tête, et de mes engagements au sein de divers organismes touchant aux auteurs et à leurs droits.
Références :
Rendez-vous dans quinze jours pour visiter un nouveau bureau de scénariste…
Copyright©Nathalie Lenoir 2011