Petite précision utile pour nos lecteurs qui aiment sentir sur eux le souffle brûlant du vent de l’Ouest américain, entendre siffler les balles après un silence de plomb lors d’un duel au soleil, les chevauchées fantastiques, les batailles entre cowboys et indiens : si La Dernière piste est bien un western, un vrai de vrai, et qu’il contient, d’une certaine façon, tous les éléments précités, il possède un ton particulier, bien loin des traditionnels westerns hollywoodiens, et un rythme hautement contemplatif.
Ce n’est pas un film d’action, loin de là…
Pour autant, il ‘agit assurément d’un film intéressant, qui traite ses sujets avec finesse, intelligence et cohérence par rapport au précédent film de la cinéaste.
Wendy & Lucy était en effet un film d’errance, dans lequel une jeune femme solitaire et paumée traversait les Etats-Unis en quête d’une région plus prospère, afin de trouver un emploi et un minimum de stabilité.
Une démarche qui rappelait celles des pionniers ayant quitté leurs attaches, leurs racines, pour tenter leur chance en allant vers un ailleurs hypothétiquement meilleur. Une route vers l’inconnu, avec ce que cela suppose comme dangers et déceptions…
Rien d’étonnant, donc, à ce que la cinéaste s’intéresse justement à cette époque pour son nouveau film.
S’inspirant de la vie de Stephen Meek, qui servait de guide à ceux qui voulaient traverser l’Oregon pour aller vers l’ouest, et de journaux intimes de personnes ayant eu affaire à lui, le scénario s’intéresse à trois familles de trappeurs qui voyant que le commerce de peaux et de fourrures est sur le déclin à l’est du pays, prennent la décision de tenter leur chance à l’ouest du pays, le nouvel eldorado. pour pouvoir gagner leur vie.
Ils engagent donc Stephen Meek, un cavalier solitaire et bourru, pour les guider à travers les étendues montagneuses et désertiques de l’Oregon.
Hélas, celui-ci perd son chemin et le groupe se retrouve en situation périlleuse : les réserves d’eau potable sont insuffisantes pour finir le trajet ou revenir en arrière, et, pour avancer, il faut emprunter une route non-conventionnelle proche des territoires indiens (1)…
Ces familles étaient parties pour acquérir gloire et fortune, elles doivent désormais lutter pour leur survie élémentaire…
Peut-on y voir l’allégorie d’une société américaine où tout repose sur le rêve d’une vie libre et aisée, mais où de nombreux individus se retrouvent rejetés dans la marge et contraints de lutter pour survivre, pour se frayer une petite place au soleil? Sans doute…
En tout cas, le film prend des résonnances très contemporaines, abordant des sujets encore et toujours d’actualité…
Il y est déjà question de marasme économique et de tentative désespéré de découvrir de nouveaux marchés, de nouveaux horizons à conquérir. A la fin du XIXème siècle, le far-west était un eldorado possible. Mais qu’en est-il aujourd’hui? Quelles sont les possibilités pour les citoyens américains d’aujourd’hui?
Le film traite aussi de préoccupations écologiques. Plus que l’or ou l’or noir, sans doute présents en abondance dans les roches de l’Oregon de l’époque, la vraie richesse naturelle après laquelle courent les protagonistes du film est l’une des choses les plus précieuses au monde : l’eau.
Privés d’eau potable et perdus en plein désert, les personnages sont prêts à tout pour trouver de l’eau, y compris à faire confiance à un “sauvage” indien capturé en chemin…
Il y est donc également question du rapport aux ethnies et aux cultures différentes, de la peur de l’étranger, de la difficile communication entre les peuples… Le film pose subtilement des interrogations essentielles : qui est le plus sauvage dans cette histoire? Cet indien court vêtu parlant un jargon incompréhensible, mais capable de compassion envers les pionniers en souffrance, ou bien Meek, qui rêve de faire la peau à ce “peau rouge” malgré l’opposition farouche de ses compagnons?
Enfin, le film met à mal l’idée d’une figure masculine dominante et paternaliste, très répandue à cette époque – et encore aujourd’hui, parfois, vu le machisme ambiant – au profit d’un personnage féminin qui se rebelle contre l’ordre établi pour imposer son point de vue et faire triompher la raison…
Au début, on voit les épouses des trappeurs vaquer à leurs occupations ménagères : préparation des repas, ramassage de petit bois et tricot. Elles doivent se contenter de suivre leurs hommes qui décident de toutes les orientations importantes – et finissent par se perdre.
Une des scènes les plus caractéristique de cette domination masculine est celle de la décision concernant le sort de l’indien capturé. Meek veut l’exécuter, pensant qu’il sera plus gênant qu’utile, le trappeur le plus influent du groupe pense qu’il peut les guider à un point d’eau et préfère l’emmener. Le groupe doit donc voter…
Les hommes se prononcent tour à tour, mais leurs épouses n’ont pas voix au chapitre (2). Ces messieurs sont debout ou à cheval, les femmes sont assises et mutiques, finalement la même posture que l’indien. Une façon de montrer que, pour les hommes, elles ne valent guère plus que cet indigène qu’ils méprisent…
L’une de ces épouses dévouées, Emily Tetherow va pourtant peu à peu prendre de l’assurance et se faire sa place dans cet environnement masculin. Déjà, elle donne fréquemment des conseils à son mari, le met en garde contre le comportement erratique de Meek, qui ne sait absolument pas où il les emmène mais refuse de l’admettre. Puis elle s’oppose avec de plus en plus de véhémence à ce guide macho et bourru, jusqu’à défier son autorité naturelle par le seul langage qu’il comprenne, celui de la poudre à fusil…
Finalement, elle réussira à se faire respecter. Mieux, c’est probablement grâce à ses prises de position que le groupe réussira à retrouver sa route…
Le message de la cinéaste est clair : l’avenir du pays, de la collectivité, passe par davantage d’égalité entre les ethnies, les cultures, les sexes et davantage de respect et de concertation plutôt que d’un usage archaïque de la violence…
Passionnant…
Mais au-delà de cette allégorie sociale, le film, comme les trois long-métrages précédents de la cinéaste, est avant tout le récit d’une évolution individuelle, la transformation d’une personne passive, subissant les événements, en actrice de sa propre existence, assumant ses prises de position et ses choix.
Dans ce rôle-là, est-il vraiment utile de préciser que Michelle Williams, déjà vedette de Wendy & Lucy, est impeccable ?
Elle incarne son personnage avec beaucoup de force et, en même temps, beaucoup de retenue.
Ses partenaires sont également très bien en place, à commencer par ses camarades Shirley Henderson et Zoe Kazan. Mais aussi les hommes du récit : Bruce Greenwood, outrancier pile comme il le faut dans le rôle de Meek, Will Patton et Paul Dano…
Mais leur jeu ne pèserait pas bien lourd sans la mise en scène de Kelly Reichardt. La cinéaste ressemble à son personnage féminin principal : elle sait où elle veut aller et fait des choix courageux pour y arriver.
Elle prend le parti du format 4/3 plutôt que du cinémascope, ce qui est une hérésie pour de nombreux cinéastes biberonnés au cinéma hollywoodien des années 1950/1960 et aux grands westerns de cet âge d’or. Tout cela pour donner un aspect réaliste au film, s’éloigner des clichés habituels du genre et remettre l’humain au coeur des débats…
Dans la même optique, elle choisit des cadrages à bonne distance des acteurs, les fondant presque dans le paysage. Un style qui n’est pas sans évoquer les premiers films de Terrence Malick, cinéaste “des grands espaces et des voix intérieures”.
Et surtout, elle choisit ce rythme lent pour montrer la banalité et le côté routinier de cette vie de pionnier, bien loin de l’imagerie folklorique des légendes de l’ouest et de leurs vie d’aventures trépidantes.
Certains n’apprécieront pas, c’est certain, mais ce parti-pris est parfaitement justifié et donne un certain cachet à l’oeuvre.
En tout cas, nous, nous sommes conquis par cette vision féministe et humaniste de la conquête de l’ouest, qui confirme tout le bien que l’on pensait de Kelly Reichardt.
Souhaitons que La Dernière piste ne soit pas le dernier film de cette réalisatrice au style affirmé et élégant, qui ose réfléchir avec pertinence et subtilité à l’état de nos sociétés contemporaines…
Yiiiih Aaaaah!
(1) : La découverte de cette route, baptisée “Meek’s cutoff” (titre original du film) a fortement aidé à l’installation des pionniers en Oregon.
(2) : Le Territoire du Wyoming est le premier à accorder le droit de vote aux citoyennes américaines, en 1869. En Oregon, il faudra attendre 1912.
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Meek’s cutoff
Réalisatrice : Kelly Reichardt
Avec : Michelle Williams, Bruce Greenwood, Wil Patton, Paul Dano, Shirley Henderson, Zoe Kazan
Origine : Etats-Unis
Genre : conquête de l’ouest
Durée : 1h44
Date de sortie France : 22/06/2011
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Le JDD