Dans le bureau de Jean-Christophe Hervé

Par Nathalielenoir

Rien ne nous en apprend plus sur un auteur que d’examiner le lieu où il travaille. Si quelques scénaristes se vantent de pouvoir écrire n’importe où, la plupart d’entre eux ont besoin de se réfugier dans un lieu dédié. C’est dans ce sanctuaire qu’ils passent de longues heures solitaires à créer leurs histoires, coupés du reste du monde. Je vous propose de découvrir, à travers cette nouvelle rubrique, les bureaux de quelques scénaristes français(e), mais aussi leurs méthodes, leurs routines d’écriture…

Pour cette nouvelle édition, c’est mon confrère Jean-Christophe Hervé qui nous ouvre la porte de son bureau…

Réalisateur et scénariste, Jean-Christophe Hervé a co-signé avec son comparse Cédric Perrin de nombreux épisodes de séries TV: HeidiAdresse inconnueGraine de maire … Le tandem travaille actuellement sur plusieurs séries d’animation et développe en parallèle un projet de long-métrage pour le cinéma.

Depuis combien de temps travaillez-vous comme scénariste ?

J’écris des histoires depuis l’âge de quatorze ans, mais les gens à qui je les fais lire n‘ont eu la présence d’esprit de me payer pour ça que depuis environ sept ans.

Travaillez-vous dans un coin de votre habitation ou dans une pièce dédiée ?

C’est à la fois un coin de mon habitation, une pièce dédiée, et parfois même toute mon habitation. En fait ça dépend de mon humeur, du projet sur lequel je travaille, et de la phase d’écriture dans laquelle je suis. Au début du processus, j’ai besoin de réfléchir, et pour ça, je peux arpenter tout l’appartement, m’allonger sur le parquet, m’enfermer dans un placard. Parfois même m’asseoir dans l’escalier de l’immeuble et guetter les bruits de la vie, des bribes de conversation, la musique qui s’échappe, là-haut, du 4ème

Ensuite vient la phase de « rédaction », où il faut taper sur un clavier. Pour ça, j’ai en général un coin bureau qui se trouve dans la suite parenta… enfin dans ma chambre quoi. J’aurais rêvé avoir un bureau pour moi tout seul, mais j’ai deux enfants et chacun voulait sa chambre. Surtout la petite de deux ans, elle a insisté comme pas possible, du coup j’ai craqué. Bon mais quand ma petite femme est à la maison (oui, elle n’a pas non plus vraiment un travail de fonctionnaire), je lui laisse la ch… le bureau, et je vais m’exiler dans le salon ou la chambre de mon fils avec mon Macbook. Bref, je suis un SBF, un scénariste sans bureau fixe.

Pouvez-vous décrire ce bureau ?

Alors, c’est à la fois un coin de mon habitation, une pièce déd…  Comment ça je l’ai déjà dit ?

Avez-vous choisi un espace neutre ou êtes-vous au contraire entouré d’objets et souvenirs ?

Autour de moi, c’est le plus neutre possible. D’une manière générale, je déteste les « bibelots ». La première fois que je m’en suis aperçu, c’est quand j’ai effectué mon premier déménagement. Les cartons que ça peut remplir toutes ces petites choses. Et la poussière ! En fait, sur mon bureau (quand j’en ai un), il y a juste une sorte de lapin radioactif qui, je l’espère, me bombarde de neutrons créatifs. C’est un cadeau de Noël de ma belle-mère, je n’ai pas le droit de le jeter. Enfin tant que je ne change pas de belle-mère.

Etes-vous capable de travailler hors de cette « tanière » ?

Une tanière ? Quelle tanière ?

Travaillez-vous parfois dans des lieux publics ?

Plus maintenant. Pourquoi payer des consommations dans un café, alors qu’on peut écrire gratos chez soi ? Mais ça m’est arrivé quand j’étais plus jeune et que j’habitais Paris. Sans doute le côté mythique de Sartre au Flore ou d’Hemingway à la Closerie des Lilas. C’était le Paris de ma jeunesse, au temps où j’étais très pauvre et très heureux. Paris était une fête quoi…

En réalité, l’endroit qui m’a le plus inspiré a été le McDo de la place de la République. La réalité est moche.

Etes-vous satisfait de votre bureau et/ou l’organisation de vos journées de travail. Si la réponse est non, qu’aimeriez-vous pouvoir changer?

Vu que je travaille à la maison, sans personne pour me dire ce que je dois faire ni à quel moment, j’avoue que je suis assez content de l’organisation de mes journées de travail.

Préférez-vous travailler seul ou avec un co-auteur ?

En fait, même si j’ai toujours plus ou moins écrit, ma « carrière » de scénariste a vraiment démarré quand j’ai rencontré mon co-auteur, en la personne de Cedric Perrin. J’avais déjà fait auparavant des tentatives d’alliance avec des copains, mais la sauce n’avait pas pris (aucune allusion là-dedans). Avec Cédric, on a suffisamment de points communs pour pouvoir se parler, et suffisamment de différences pour avoir envie de s’écouter (c’est beau ça, non ?).

Pour le dire vite, Cédric est plus « instinctif » que moi, plus « libre », et je suis plus « rationnel », plus structure.

Etes-vous plutôt Mac ou PC ?

J’ai croisé la route de mon premier Mac il y a 20 ans, et il me soutient depuis tout ce temps (aucune allusion,  etc). En fait, ça a été une rencontre importante dans ma vie, et je me souviens encore de mon émoi au moment d’acheter mon premier « Mac LC ». C’est dire mon niveau de sociabilité.

Utilisez-vous un logiciel d’écriture ? Si oui lequel ?

Word, par défaut, avec des feuilles de style et des raccourcis clavier. Ça marche très bien, sauf quand ça marche pas. J’ai testé Final Draft, mais comme pour l’instant personne ne m‘oblige à bosser là-dessus, j’ai laissé tomber. Je me souviens que ce qui m’avait rebuté, c’était justement la difficulté de transformer un document Final Draft en document Word. On perdait toutes les mises en forme. Mais c’était avant la guerre (d’Irak), je ne sais pas si ça a changé depuis.

Travaillez-vous à horaires fixes ?

J’aimerais bien, mais l’heure n’arrête pas de bouger. Je commence il est 9 heures, et j’ai à peine écrit 3 lignes qu’il est midi. Du coup, je ne me fixe plus d’horaires.

Combien de temps de travail en moyenne par jour ?

Je n’ai jamais fait ce calcul. Certains jours je travaille beaucoup, du matin au soir, et même un bout de nuit. Parfois je travaille moins. Et parfois, je ne travaille pas du tout. Bon, la difficulté de répondre vraiment à cette question tient au fait que le métier de scénariste est particulier. On se sert tellement de « la vie » pour déclencher ou enrichir nos idées, qu’on travaille finalement peut-être tout le temps. Même la nuit. (Bon du coup, c’est vraiment pas bien payé comme boulot).

Jusqu’à combien de pages utiles pouvez-vous écrire par jour?

Houla, vous êtes de la police ?

Avez-vous besoin de faire des pauses à heure fixe ?

À heure fixe, non pas vraiment. Quand je fais des pauses, c’est qu’en général ça ne se passe pas très bien. Et je cherche une excuse pour m’arrêter. Parce que quand ça carbure, que je suis vraiment « dedans », j’oublie totalement de faire des pauses.

Travaillez-vous dans le silence total ? En musique ?

Dans le silence. Quand j’écoute de la musique, j’ai besoin de l’écouter vraiment. Dans mon canapé, pile entre mes deux enceintes, les yeux mi-clos, dans une attitude quasi extatique. Donc je ne peux rien faire d’autre en même temps. La musique n’est pas un bruit qui m’accompagne. C’est quelqu’un, quelque chose qui me parle, et donc je l’écoute. En revanche, j’aime bien faire des pauses musicales, en jouant un peu de guitare ou de piano. Ça fait un bien fou (enfin tant que je suis seul dans la pièce). En fait, dans une autre vie, j’aurais voulu être Keith Jarrett.

Avez-vous un ou des compagnon(s) d’écriture à quatre pattes ?

Non. Les chats me gonflent. Les chiens j’en ai eu quand j’étais petit, mais tout le monde pleure quand ils meurent, alors merci.

Sinon, un jour il y a une mouche qui s’est posée sur mon clavier, mais elle n’est pas restée.

Vous coupez-vous du reste du monde ou restez-vous connecté à votre entourage (mail, téléphone, Twitter, Facebook…) ?

Et comment je ferais pour procrastiner si je me coupais du monde ? Non, Internet est là, en fond permanent. Mails, Facebook, Morandini (ben quoi ?), les News… Mais je ne suis pas sur Twitter. C’est un outil formidable, mais pas pour moi. J’attends d’être super célèbre ou d’être au milieu d’une révolution arabe. Ou les deux.

Avez-vous des rituels d’écriture ?

Genre faire trois fois le tour de sa chaise à cloche-pied ou se laver quinze fois les mains avant de commencer ? Non, je n’ai pas ça.

Utilisez-vous une méthode particulière (tableau, fiches, cahier…) ?

Tout dépend du projet. L’écriture d’un épisode de dessin animé de 7 minutes est passablement différente de l’écriture d’un long métrage ou encore d’une série de 8x 52 minutes. C’est surtout pour les projets « longs » qu’une méthode me paraît nécessaire. Ecrire les principaux nœuds dramatiques sur des feuilles scotchées au mur par exemple.

Comment trouvez-vous l’inspiration ? Musique, photos, films ?

J’ai envie de dire, même si c’est gonflé, que c’est plutôt elle qui me trouve, quand ça lui chante. C’est mystérieux, et un peu flippant. Vous savez, il y a des matins où on se lève et on sent que tout est fluide, dans son corps, dans sa tête, on se trouve beau (enfin…). Et puis, il ya des jours où c’est tout l’inverse. On est maladroit, tout est laborieux, on s’énerve, on énerve les autres. Et il n’y aucune explication à cela. C’est juste qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Alors en ce qui me concerne, il y a des jours à idées, et des jours à néant. La technique se travaille, l’esprit est un muscle. Mais pour l’inspiration, j’ai l’impression que ce n’est pas vraiment nous qui décidons.

Avez-vous besoin de « carburants » (thé, café, tabac, nourriture…) ?

Un Nescafé décaféiné de temps en temps (plutôt l’hiver), des glaces (plutôt en été), des gâteaux (toute l’année). C’est moins un carburant qu’une excuse de plus pour retarder le moment de s’y mettre.

A quel moment et dans quel lieu pratiquez-vous le mieux le brainstorming ?

En face de mon co-auteur, quel que soit le moment ou le lieu.

Prenez-vous beaucoup de notes ? Comment les organisez-vous (carnet, notes volantes, logiciel…) ?

J’en prends surtout au début d’un projet « long ». J’ai toujours la trouille de ne plus me souvenir d’une idée. Alors je note, sur des bouts de papiers, des tickets de métro quand je suis dehors, et je m’empresse de recopier ça au propre quand je rentre. Ça s’accumule, ça murit, et à un moment, on passe l’aimant au-dessus de ce tas de limaille et les choses se mettent en place. Les bonnes idées s’accrochent, les autres partent au recyclage.

Etes-vous sujet à la procrastination ?

Absolument. C’est ma spécialité, ma vraie méthode de travail en fait. Je ne sais pas attaquer une écriture en démarrant sur les chapeaux de roue. C’est comme s’il me fallait auparavant pousser de lourdes portes en acier massif avec mes petits bras chétifs, pour enfin pénétrer dans mon royaume imaginaire. Une fois que je suis dedans, je me sens bien, tout est assez clair autour de moi, je vois les personnages, les situations, l’ambiance, je me ballade dans ce monde virtuel, et je décris ce que je vois, comme un voyageur dans un pays étranger. Mais pour ouvrir ces bon dieu de portes, quelle souffrance ! Alors je m’y prends en plusieurs fois, d’où la fameuse procrastination.

Avez-vous déjà été frappé par le writer’s block ? Si oui, quelle est votre recette pour en sortir ?

L’un des avantages de travailler en binôme, c’est qu’on n’a pas peur des blocages, puisqu’on se dit que l’autre trouvera la solution. Et si ce n’est pas le cas, un bon brainstorming entre les deux arrive en général à débloquer la situation.

Quand vous prenez des vacances, vous coupez-vous totalement de votre travail ?

J’aimerais bien. Dans une vie antérieure, j’étais assistant-réalisateur et j’avais donc le statut d’intermittent du spectacle. Un statut génial qui vous permet de prendre des vacances sans vous poser la question de comment vous allez les payer, ou de quoi vous allez vivre à la reprise. Maintenant que je suis scénariste, je n’ai plus le confort de pouvoir tout arrêter pour prendre des congés, parce que je suis toujours dans une incertitude financière qui m’empêche d’être pleinement détendu. Alors si j’ai la chance d’avoir du travail, oui, je le prends avec moi, même en « vacances ».

Qu’aimez-vous faire quand vous ne travaillez pas?

Regarder mes enfants vivre.

Avez-vous un ouvrage culte traitant de l’écriture ?

J’ai une bibliothèque pleine à craquer de bouquins sur l’écriture, j’adore ça. Chacun sa névrose…

Mais j’ai un faible pour La Dramaturgie de Lavandier. Quand je suis arrivé à Paris, il y a une vingtaine d’année, il n’existait AUNCUN livre sur le sujet. Aucun. J’écrivais des tas de morceaux d’histoires, des débuts de romans, qui s’achevaient au bout d’une trentaine de pages faute de savoir les structurer et de savoir véritablement ce que je voulais dire.

Et puis est arrivé La Dramaturgie. Ça a été une révélation. J’ai pu enfin écrire des histoires en entier. Bon, j’aime bien aussi Truby, parce qu’il a une approche différente, mais je trouve que Lavandier est d’une clarté pédagogique remarquable. Et puis les premières amours… Ça m’a toujours étonné qu’on trouve normal qu’il faille apprendre le solfège et faire des gammes pour être un bon musicien, mais que concernant l’écriture, le génie personnel suffisait.

Ma petite fierté, comme un rêve de gosse, c’est d’avoir proposé aux Éditions Dixit la traduction d’un ouvrage sur la Psychologie des Personnages. C’est un travail qui m’a bien amusé, et enrichi (pas financièrement hein). Il est en vente dans toutes les bonnes librairies. (On a le droit ?)

Qui est votre scénariste fétiche ?

Mon fils. Il invente toujours des histoires incroyables pour essayer d’avoir un bonbon.

Quelle est votre actu ?

En ce moment, je vis surtout du dessin animé. Il y a pas mal de séries qui devraient commencer à être diffusées l’année prochaine (Petit Spirou, Les Minijusticiers saison 2, Bricoclub, Fish & Chips…). Il y a aussi un projet de long métrage, initié et porté par un ami réalisateur, et que Cedric et moi avons réécrit. Et puis des projets de séries pour la télévision.

Je vous invite à visionner une interview vidéo de Jean-Christophe Hervé sur le site des Gees, l’une des séries d’animation auxquelles il prête sa plume.

Rendez-vous dans quinze jours pour visiter un nouveau bureau de scénariste… le mien à vrai dire!

Copyright©Nathalie Lenoir 2011