Je ne vais pas vous l’apprendre, mes idées d’articles naissent très souvent des mails que vous m’adressez. Certaines questions y reviennent chroniquement: comment devient-on scénariste, quelles qualités faut-il posséder, comment fait-on pour garder la foi lorsqu’on rame depuis des mois, voire des années? Il se trouve que j’ai eu à répondre à cette dernière interrogation deux fois la semaine dernière, et dans des contextes fort différents: au cours d’une interview pour un guide à l’usage des jeunes cinéastes, puis, quelques heures plus tard, d’un échange avec une lectrice via Formspring. J’en ai aussitôt déduit que ce sujet méritait d’être développé dans ces colonnes.
Il est impossible de prévoir à l’avance qui d’un jeune auteur plutôt qu’un autre réussira à devenir professionnel mais ce qui est certain en revanche, c’est que pour avoir une chance même infime d’y parvenir, il faut commencer par agir en professionnel en traitant l’écriture comme un métier à part entière…
Selon l’adage populaire, largement véhiculé par les belles-mères, banquiers, pharmaciennes, poissons rouges et certains instituts de sondages, le métier de scénariste n’en serait pas un. Mince alors! Cela n’empêche pourtant pas quelques centaines d’entre nous à exercer cette profession contres vents et marées et quelques milliers d’auteurs aspirants de rêver de rejoindre nos rangs, qu’ils réalisent ou non qu’ils s’apprêtent à mener une bataille de longue haleine.
Il est certain que l’économie actuelle des secteurs du cinéma et de l’audiovisuel ne prêtent pas toujours à l’optimisme et que la décision de vouer sa vie à l’écriture est rarement applaudie par son entourage, ce qui ne rend le parcours que plus pénible.
Je suppose que vous savez qu’il est très difficile de devenir scénariste, notamment sur notre sol où il existe encore trop peu de structures de formation (et donc de places disponibles) mais ce n’est pas le sujet qui va nous préoccuper aujourd’hui. Ce dont je voudrais vous faire prendre conscience, c’est que quel que soit le moment de votre existence où vous déciderez éventuellement de devenir scénariste et quel que soit le mode de formation pour lequel vous opterez, vous serez seul face à vous même pour atteindre cet objectif.
Il est somme toute facile d’écrire un scénario dans son coin, à ses heures perdues, et de le déposer à la SACD mais ce n’est pas ça qui fera de vous un auteur professionnel.
Comme c’est le cas pour toute profession artistique, il est angoissant d’abandonner études « classiques » ou emploi salarié pour se lancer dans une activité qui n’offre aucune garantie de revenus, de stabilité ou de durée. Si j’aime passionnément mon métier, au point de lui consacrer ce blog, je ne saurais que difficilement le recommander à un tiers, tant il est hasardeux.
C’est un choix intime que chacun doit effectuer en connaissance de cause, et à ses propres risques. J’ai presque envie de dire que c’est l’écriture qui nous choisit plutôt que l’inverse. Lorsqu’on ressent le besoin viscéral d’écrire, on est prêt à endurer bien des maux…
Ce qui m’irrite en revanche, ce sont les personnes qui « aimeraient écrire mais », rayez la mention inutile:
- n’ont pas le temps
- ont trop de choses en tête pour trouver l’inspiration
- attendent la bonne conjoncture planétaire
A partir du moment où l’on décide de devenir scénariste professionnel, que l’on a choisi d’y consacrer ses journées, et bien il faut travailler, même si c’est
on spec (et donc pour des clopinettes) dans les premiers temps. Car vous savez quoi? L’écriture est un travail comme un autre et doit être envisagée comme tel:
1. En travaillant quotidiennement et à heures fixes. Ne soyez pas complaisant avec vous-mêmes. Vous êtes fatigués? Vous n’avez
« pas envie »? Serait-ce une raison acceptable de ne pas vous rendre sur votre lieu de travail salarié, ou en cours? Certainement pas. Pour devenir auteur il faut vraiment le vouloir et être prêt à s’investir sérieusement dans ce projet.Agissez comme n’importe quel travailleur:
- levez-vous tous les matins à heure fixe (et raisonnable, pas de grasse mat’)
- prenez un vrai petit-déjeuner (contrairement à bien des idées reçues, l’écriture est une activité très physique)
- sautez sous la douche et habillez-vous
Si vous voulez que votre entourage et vos futurs interlocuteurs respectent votre travail, commencez par le respecter vous-même. Il est évident qu’exercer une activité à domicile induit une certaine décontraction vestimentaire, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il faut se laisser aller. On n’exerce pas un vrai travail en pyjama ou en vieux jogging pourrave, l’haleine chargée et le cheveu sale. Se préparer le matin fait partie du rituel associé à n’importe quel travail.
2. En s’aménageant un véritable espace de travailIl est évident que tout le monde n’a pas la chance de pouvoir s’offrir
une pièce entièrement dédiée à l’écriture mais travailler sur un coin de table de cuisine, ou vautré sur un canapé n’est pas très productif (ne vous étonnez pas après que vos proches vous prennent pour un(e) gros(se) fainéant(e)
)…Essayez de vous installer un vrai bureau, tant pis s’il est exigu, ce qui compte c’est qu’il soit confortable et que ayez du plaisir à y passer de longues heures à écrire. Choisissez un endroit le plus calme possible, loin de toute distraction perturbatrice (télé, console de jeux, gamins…), débarrassez-le de tous les objets qui n’ont pas trait à votre univers créatif, choisissez avec soin les objets qui vous entoureront (certains auteurs préfèrent au contraire un espace totalement épuré).Si vous vous installez près d’une fenêtre, assurez-vous que ce ne sera pas une source de distraction ou de nuisance sonore. Apprenez à filtrer vos appels téléphoniques: dans l’esprit de votre entourage, notamment vos amis, travailler à domicile équivaut à ne pas travailler du tout, ils n’auront donc aucun scrupule à vous appeler dans la journée pour peu qu’ils aient un peu de temps à tuer.Même chose pour les mails et les réseaux sociaux: si avec le temps on apprend à conserver sa concentration en dépit de ce genre d’interludes (
quitte à en devenir dépendant, hmm), lorsqu’on débute en écriture, c’est totalement impossible et contre-productif.
3. En se créant un planning et se fixant des objectifsVoyons les choses en face: vous débutez peut-être une carrière d’auteur mais pour le moment tout le monde s’en fiche, en particulier les producteurs, diffuseurs, cinéastes… Bref, personne ne va venir vous passer commande pour une série géniale ou le long-métrage du siècle.C’est à vous de définir dans quel(s) secteur(s), ciné, TV, animation, transmédia, BD, jeu vidéo… vous souhaitez écrire et d’essayer d’y mettre un pied. Renseignez-vous sur ce qui ce fait dans ce domaine, suivez l’actualité des projets en cours, faites l’inventaire des bourses et concours auxquels vous pourriez participer, des formations annexes que vous pourriez suivre et organisez tous vos projets dans votre emploi du temps.Fixez-vous un objectif quotidien, un nombre de pages par exemple, tout en restant réaliste. L’écriture professionnelle est un sport de haut niveau si j’ose dire, elle nécessite échauffement, exercices et rigueur, elle implique des performances graduelles. Inutile de vous auto-flageller si vous ne parvenez pas toujours à tenir le rythme, mais ne soyez pas non plus trop complaisant avec vous-même…Autorisez-vous de vraies pauses, si possible à heure fixe, et tenez vous y strictement (si c’est une heure par exemple, ce n’est pas une heure quinze) car la barrière entre repos et
procrastination est mince, surtout lorsqu’on débute…
4. En vous créant un réseau professionnelSi vous souhaitez devenir scénariste, il va vous falloir
collaborer avec des cinéastes,
démarcher des producteurs, rencontrer d’autres auteurs, bref
briser au plus vite votre isolement.Fréquentez des forums sur le Net, rejoignez une
association de jeunes scénaristes, assistez à
des festivals, des tables-rondes, bref, bougez-vous les fesses.
5. En démarchant comme un professionnel
Surtout, soyez réaliste dans vos attentes: concentrez-vous dans un premier temps sur d’autres jeunes travailleurs du monde du spectacle,
ne harcelez pas des professionnels reconnus, même via le Net! Non seulement vous ne les intéresserez pas à ce stade embryonnaire de votre carrière mais vous risquez au contraire de vous les mettre à dos.
Autre point essentiel,
apprenez à bien pitcher vos projets car lorsque vous décrocherez enfin ce premier rendez-vous tant espéré, si vous ne vous montrez pas à la hauteur, si vous passez pour un amateur, on ne vous accordera pas de seconde chance.
Enfin, qui dit démarcher comme un professionnel implique aussi de savoir gérer les refus comme un professionnel, car ils font partie intégrante de ce métier et ce à tous les stades de carrière, j’y reviendrai très prochainement dans un article dédié.
Lorsque j’ai débuté ma propre carrière de scénariste, un
« professionnel de la profession » m’a annoncé qu’il me faudrait ramer entre cinq et dix ans avant de vraiment vivre de ce métier, de m’y faire une place. Ça m’a doucement fait ricaner à l’époque, tellement j’étais motivée/pêchue/courageuse/ambitieuse de la mort qui tue. Ben vous savez quoi, jeunes padawans? Il avait raison le bougre! Parce qu’on se croit tiré d’affaire le jour où on signe son premier contrat, on a l’impression pendant quarante huit heures d’être le roi du pétrole mais on retombe vite sur Terre…
Si on devait définir ce qu’est un scénariste professionnel, on pourrait dire que c’est amateur qui n’a pas lâché l’affaire. S’il vous semble insoutenable de galérer pendant plusieurs années, sans aucune certitude que votre rêve finisse par se réaliser in fine, en passant aux yeux de votre entourage au mieux pour un doux rêveur au pire pour un parasite, autant changer immédiatement de carrière, cela vous évitera bien des déceptions et des années de vache maigre. Etre scénariste doit vous rendre profondément heureux, même pauvre, malchanceux, inconnu, sinon c’est du pur masochisme…